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Liban : le parti de Dieu, seul maître du Sud du pays

Ian Hamel, de retour du Sud du Liban

Pour les Israéliens comme pour les Américains, le Hezbollah ne serait qu’une organisation terroriste, aussi dangereuse qu’Al-Qaida. Mais dans le Sud du LIban, le parti de Dieu, chiite, passe davantage pour un mouvement de résistance, même chez ses adversaires, chrétiens et musulmans sunnites.

La grande maison blanche, construite sur un promontoire, est encore criblée d’éclats d’obus. Sur le toit en terrasse, hérissé de tiges en ferraille tordues, flotte le drapeau iranien. La famille se serre autour du poêle. En hiver, il ne fait pas chaud dans le Sud du Liban. Les vitres, brisées lors des bombardements israéliens de juillet 2006, n’ont pas encore été remplacées. Le vent froid fait claquer les plastiques scotchées sur les fenêtres et les portes.

Le père de famille raconte : « Le village a été détruit à au moins 40 % l’année dernière. Nous avons eu deux martyrs. Depuis la fin de la guerre, six personnes ont été blessées par les mines ». Parmi les victimes, l’un de ses fils, Marmoud, âgé de 8 ans. Une petite mine a explosé dans leur jardin. L’enfant a pris un éclat dans l’œil. Cinq interventions chirurgicales pratiquées au Liban ne lui ont pas rendu la vue. Mais les médecins sont optimistes : une opération est possible à l’étranger afin de sauver son œil. Encore faut-il trouver l’argent.

La Fédération suisse de déminage (FSD) a décidé d’aider financièrement cette famille. A côté de sa spécialité, le déminage, qu’elle pratique depuis dix ans, cette ONG se lance dans l’assistance aux victimes des mines. Dans le sud du Liban, il convient davantage de parler de bombes que de mines. Pendant les 34 jours de guerre en 2006, l’aviation israélienne a déversé des tonnes de bombes à sous-munitions (“cluster bomb“) sur le pays du Cèdre, surtout dans les zones tenues par le Hezbollah, le parti de Dieu, la principale milice armée chiite du Liban. Baptisées M 42, M 77, M 85 ou 26-B et 61-B, ces bombes “mères“ libèrent des milliers de petites bombes, capables d’exploser, de perforer, d’incendier, de mutiler.

Un responsable du Mine action coordination centre (MACC), installé à Tyr explique : « Il est tombé plus de 3 000 bombes par jour, de quoi contaminer 30 % des terres cultivables du sud du Liban. C’est une catastrophe pour une région aussi pauvre. Les 500 000 petites bombes, qui n’ont pas explosé à l’impact, ont tué 250 personnes et mutilé dix fois plus. Les 9 ONG chargées du déminage en ont éliminé les 2/3. Il en resterait 150 000… »

Une organisation qualifiée de « terroriste »

A Siddiqine, à Rechiknanay, à Beitwlay, à Bent Jbail, partout c’est le même accueil. Les familles au complet reçoivent les visiteurs avec chaleur. Thé, café, fruits à profusion, gâteaux. Les femmes, pour la plupart voilées à partir d’une dizaine d’années, acceptent de sourire devant les objectifs. Les hommes parlent de leurs oliviers et de la culture du tabac. Jeunes gens et jeunes filles tentent quelques mots d’anglais.

Si la pièce principale n’était pas décorée, presque systématiquement, d’un grand poster en couleur de Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah. Si des drapeaux iraniens ne claquaient pas sur les toits. Si les portraits des “martyrs“ (les combattants tombés en se battant contre Israël) ou l’effigie de Khomeiny ne hantaient pas les routes défoncées de la région, on en oublierait presque que le sud du Liban ne connaît qu’un seul maître, le parti de Dieu.

Un parti considéré comme terroriste par Israël et les Etats-Unis. Sur la première liste des terroristes les plus dangereux de la planète, publiée par les Américains après le 11 septembre 2001, des membres du Hezbollah venaient en tête, au même titre que les agents d’Al-Qaida.

On ne touche pas aux héros

C’est pour expulser les combattants du Hezbollah de sa frontière nord que l’armée israélienne est intervenue sur le territoire libanais en 2006. Pour Jérusalem, l’échec est total. Non seulement le parti de Dieu n’a pas été vaincu, mais il apparaît aujourd’hui aux yeux des Arabes comme quasi invincible. Et surtout, ce groupe fondamentaliste jouit à présent d’une immense popularité dans tout le Liban.

Même parmi les populations qui ne lui étaient pas favorables, comme les chrétiens et les musulmans sunnites. Patrick Haenni, analyste à Beyrouth pour l’International Crisis Group, explique : « Face à l’ampleur des destructions causées par les bombardements israéliens, l’image du Hezbollah s’est améliorée. Ce n’est plus un acteur politique engageant unilatéralement le pays dans une guerre, mais un mouvement de résistance ».

En clair, on ne touche pas aux héros. D’autant que le Hezbollah est le seul à venir en aide aux villages déshérités du Sud, pilonnés par l’aviation de l’Etat hébreu. L’Etat libanais reste très en retrait. Mais s’est-il une seule fois impliqué dans le développement du Sud ? Partout, des grues s’agitent, des parpaings s’amoncellent, des trous se bouchent.

L’Iran (Mais aussi les Emirats arabes unis) financent activement la reconstruction des routes. Même à Bent Jbail, à un jet de grenade d’Israël, on rebâtit des maisons. Hassan Nasrallah a promis 12 000 dollars par famille dont le logement a été détruit. Plus de deux ans d’un salaire moyen.

Fermeture des débits de boisson

Le Sud du pays est-il sous la coupe d’une dictature islamiste ? La réponse est complexe. Dans les fiefs du Hezbollah, pratiquement aucune femme ne se promène tête nue, tous les débits de boisson ont fermé leurs portes. Les noms des jeunes gens soupçonnés d’être partis faire la fête dans les villages chrétiens voisins sont jetés en pâture à la porte des mosquées. On ne plaisante pas avec la morale. Les militants du Hezbollah sont animés d’un intense zèle religieux.

En revanche, pas question de s’en prendre aux minorités constate Patrick Haenni :« Le Hezbollah sait très bien moduler ses ambitions religieuses. Quand il n’estpas en situation de monopole, il ne fait pas pression sur les autres formations politiques, y compris sur les communistes. De la même façon, les chrétiens ne sont pas inquiétés. Ils peuvent continuer à boire de l’alcool. »

Effacer le mot « Love » des voitures

Bref, le positionnement du parti de Dieu est devenu plus pragmatique, nationaliste plus qu’islamiste. Walid Charara et Frédéric Domont, dans « Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste », (1) affirment que cette organisation chiite montre « un respect notable pour la liberté d’expression ». Contrairement à d’autres groupes islamistes, il n’accuse pas écrivains et artistes de blasphème, et ne prend pas pour cible les laïcs. Même attitude vis-à-vis des nombreuses ONG qui aident à la reconstruction du Sud.

Certes, le Hezbollah sait leur rappeler discrètement qu’il milite pour la fondation d’un Etat islamique. Mais que celui-ci «  ne peut en aucun cas être imposé par la force ». Un exemple ? Taiwan a offert des 4X4 à la Fondation suisse de déminage. L’inscription « Love from Taiwan », sur les carrosseries, est là pour l’attester.

Le parti de Dieu a demandé au nom de la morale que le mot « Love » disparaisse des véhicules. Sans résultat. Les ONG subissent également des pressions lorsqu’ils recrutent du personnel local. L’embauche d’un chrétien venant de Beyrouth a provoqué des grincements de dents. Et plus encore l’embauche d’une femme dans une équipe composée exclusivement d’hommes.

La fierté des Arabes

Toutefois, le responsable d’une ONG relativise les pressions : « Finalement, le Hezbollah sait se montrer plus politique que religieux. Face à une position ferme de notre part, il n’insiste pas ». Cheveux courts, élégante, lunettes noires sur le nez, Amina, notre guide, originaire de Beyrouth, ne cache guère qu’elle ne partage pas les valeurs du Hezbollah. Mais lorsque les avions israéliens survolent bruyamment le territoire libanais, elle reconnaît que cette organisation est la seule à apporter un peu de fierté aux Arabes.

Ian Hamel, de retour du Sud du Liban

1. « Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste », Walid Charara et Frédéric Domont, Fayard.

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