Ian Hamel, de retour du Pakistan
Est-il possible qu’Al-Qaida et Oussama Ben Laden puissent se cacher au Pakistan depuis novembre 2001 ? Peut-être, dans la mesure où le pouvoir militaire du général Pervez Musharraf parvient de moins en moins à contrôler deux des quatre provinces du pays.
Le Pakistan, qui vient d’être désavoué par le Commonwealth, est une étrange dictature militaire. Du moins, elle ne correspond pas exactement à l’idée que l’on peut se faire d’un régime autoritaire. Dans l’une des principales librairies d’Islamabad, la capitale, trône en devanture « Military Inc, Inside Pakistan’s Military Economy », un ouvrage au vitriol montrant comment l’armée est devenue, depuis le coup d’Etat de 1999, un véritable Etat dans l’Etat. La chercheuse Ayesha Siddiqa raconte que des généraux et autres officiers supérieurs détiennent des participations dans plus de 700 grandes sociétés.
Quant à leurs collègues, ils ont été nommés à presque tous les postes clés de l’administration, dans les universités, les agences gouvernementales, les compagnies de télécommunications. « Dans les autres pays, l’Etat a une armée. Au Pakistan, en revanche, c’est l’armée qui a un Etat », ironise un journaliste de « The News », l’un des principaux quotidiens du pays. Les gradés sont gavés, ils n’envisagent plus d’aller se battre, et surtout pas contre les islamistes qui tiennent des régions entières du Balouchistan et de la North West Frontier Province (NWFP), deux des quatre provinces du pays.
Posters de Ben Laden
Résultat, l’armée pakistanaise, qui a avalé 9 des 10 milliards de dollars versés par les Etats-Unis au Pakistan depuis 2001 pour lutter contre le terrorisme, n’a rien fait contre les talibans afghans qui se replient sur son territoire. Pire, elle se montre impuissante face à une “talibanisation“ de son propre pays. L’armée est devenue une institution démoralisée, haïe par l’homme de la rue. « Les bidasses reçoivent comme conseil de ne plus se promener en ville en uniforme pour ne pas être la cible des kamikazes ! », constate Françoise Chipaux, la correspondante du quotidien « Le Monde » à Islamabad.
J’ai demandé à Malik, mon chauffeur de taxi, de chercher s’il pouvait me dénicher des posters d’Oussama Ben Laden à Rawalpindi, la citée jumelle d’Islamabad, et quartier général de l’armée pakistanaise. Il ne met pas un quart d’heure en voiture, après avoir zigzagué dans les dédales bruyants de la vieille ville, pour me trouver deux grandes images en couleur du leader d’Al Qaida.
Sur l’une d’entre elles, Oussama, l’air inspiré, lève un doigt en l’air. Derrière lui, des avions explosent en plein ciel ! Deux jours plus tard, dans le bazar de Peshawar, la capitale de la NWFP, aux portes de la frontière afghane, les vendeurs me proposeront pour 40 dollars des photos d’hommes atrocement suppliciés par les talibans.
La loi de Mahomet
« Après 2001, dans beaucoup de familles pakistanaises, on a prénommé les garçons Oussama. Ce n’est pas un choix forcément très religieux. Le prénom du président irakien, Saddam, était lui aussi très populaire. C’était surtout un moyen d’affirmer son hostilité aux Américains », raconte Malik. Il conduit son taxi depuis l’âge de 16 ans. Aujourd’hui, à 34 ans, il doit faire vivre ses parents âgés, ses quatre sœurs et deux frères. Pour une grosse poignée de dollars, il a accepté, malgré les risques, de me conduire dans la vallée de Swat, au nord-ouest du pays, une province autrefois touristique, passée sous le contrôle des talibans.
Après la ville de Mardan, les forces de l’ordre se sont faites de plus en plus discrètes. Il a suffi de quelques attentats meurtriers, depuis le mois de septembre, pour que les soldats abandonnent cette région peuplée essentiellement de montagnards pachtouns (c’est également l’ethnie la plus importante d’Afghanistan). La vallée est passée sous le contrôle du “Maulana“ Fazlullah. “Maulana“ signifie “notre maître“, un terme généralement utilisé dans les écoles religieuses pour désigner un érudit.
“Maulana“, âgé de 32 ans, n’est pas mollah, il n’aurait même jamais terminé ses études religieuses. Son pouvoir, il le tient de son beau-père, Sufi Mohammad, fondateur d’une organisation islamiste interdite, Tehreek-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi (mouvement pour l’application de la loi de Mahomet), qui impose son pouvoir absolu sur une grande partie de la vallée.
Contre les vaccinations
Le programme du Maulana Fazlullah peut se résumer ainsi : la charia, rien que la charia. Circulant sur un cheval blanc, il fait détruire les postes de télévision, les magasins de musique. Ses partisans incendient les écoles de filles. Les hommes n’ont plus le droit de se raser, et les femmes, couvertes de la tête aux pieds, ne peuvent plus sortir qu’accompagnées de leur mari, d’un père ou d’un frère. Plus grave encore, il interdit les vaccinations, notamment contre la polio. Pour le “seigneur“ de la vallée de Swat, il ne s’agit que d’un vaste complot, ourdi par les chrétiens et les juifs, pour stériliser les musulmans…
« La charia interdit tout traitement d’une épidémie tant qu’elle n’est pas déclarée », affirme le Maulana Fazllulah. Et si une personne succombe à cette épidémie ? « Elle est considérée comme un martyr », répond tranquillement l’homme qui a pris comme modèle le Mollah Omar, l’ancien maître de l’Afghanistan. Imitant l’ancien dirigeant des talibans, qui a fait détruire les deux Bouddhas géants de Bâmiyân en 2001, Maulana Fazllulah s’en est pris à deux reprises au Bouddha de Jihan Abad, haut de 7 mètres, dans la vallée de Swat, datant du VIIe siècle.
Destruction d’un Bouddha
La première fois, c’était le 11 septembre 2007, jour anniversaire des attentats de 2001. Mais les islamistes, qui ont posé des charges explosives au-dessus de la tête, et en dessous des pieds de ce Bouddha, ne parviennent qu’à faire éclater des fragments de roches, et à noircir la falaise. Nouvelle tentative, trois semaines plus tard. Cette fois les talibans pakistanais sont parvenus à détruire le visage de cette “image taillée“, qui rappelle que du IIe siècle avant J-C au VIIe siècle de notre ère, la vallée de Swat a été l’un des grands centres religieux du Gandhara, zone partagée entre l’Afghanistan et le Pakistan. A son apogée, cette région encaissée comptait plus de 1400 monastères bouddhiques.
Il ne fait guère de doute que les fidèles du Maulana Fazlullah reviendront terminer leur triste besogne. Ils s’attaqueront ensuite, dans l’indifférence générale, aux trésors archéologiques des musées. « Pour les talibans, Dieu seul est créateur, tous ceux qui aspirent à la reproduction d’un être animé ne sont que des faussaires et des blasphémateurs », explique le Suisse Pierre centlivres, ancien conseiller au Musée national afghan à Kaboul, et auteur de « Revoir Kaboul » (*).
L’entrée de la vallée de Swat n’est qu’à trois heures de voiture d’Islamabad, la capitale du Pakistan. Il me paraît intéressant de demander aux musulmans en Europe ce qu’ils pensent d’une telle attitude. Les personnes que j’ai pu interroger dans la vallée de Swat sont indignées, mais n’osent pas se plaindre, par crainte de représailles.
Non seulement la majorité de la population, vivant du tourisme (hôteliers, artisans, petits vendeurs, chauffeurs de taxi), est réduite au chômage. Mais elle ne comprend pas que l’on puisse s’en prendre à des statues de pierre. « Les pyramides d’Egypte ont été construites avant l’arrivée du Prophète. Et alors ? Les Egyptiens en sont fiers. Sont-ils pour autant de mauvais croyants », commente Malik, chauffeur de taxi, et farouche adversaire de Pervez Musharaf, le président du Pakistan.
Ian Hamel, de retour du Pakistan
(*) « Revoir Kaboul », Pierre Centlivres et Micheline Centlivres-Demont. Editions Zoé. 457 pages.
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