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Les services secrets chinois, de Mao aux JO

A quelle période remonte la naissance des services secrets chinois, surnommé Guoanbu ?

Le Guoanbu – abréviation de Guojia Anquanbu, c’est-à-dire ministère de la Sûreté de l’État -, est né en 1983. Ce n’est pas un hasard : le petit Timonier, Deng Xiaoping voulait tirer un trait sur les anciens services secrets maoïstes entre les mains desquels il avait souffert, comme toute une génération de cadres du Parti communiste, pendant la révolution culturelle.

Mais surtout comme il voulait concilier le socialisme avec une économie de marché, ce qui nécessitait d’ouvrir la Chine aux investisseurs étrangers, il lui fallait un KGB à la chinoise et moderne.

Le Guoanbu devait à la fois lutter contre les opérations d’espionnage étranger rendues plus faciles par l’ouverture du pays aux voyageurs étrangers et organiser un vaste dispositif de renseignement économique. Aujourd’hui, le patron du Guoanbu, Geng Huichang, qui en a pris la direction l’été dernier, est justement un spécialiste de l’intelligence économique. Même si actuellement, il a fort à faire avec le contre-espionnage offensif que nécessite la préparation des JO.

Les services secrets sont-il aujourd’hui un pilier essentiel du régime chinois à côte de l’armé et du Parti unique ?

Exact ! C’est l’originalité du système (comme en Corée du Nord). Il y a croisement entre les services de renseignements de l’Armée populaire de libération (APL), les ministères de la sécurité publique et de la Sûreté de l’État (Guoanbu), des appareils spéciaux relevant directement du Parti communiste chinois, etc.… À l’intérieur, ils gèrent le contrôle des populations (y compris le laogai, comme on appelle goulag chinois), et à l’extérieur, ils accompagnent pas des opérations de plus offensives, la montée en puissance de la Chine, dans sa conquête tant économique que géostratégique. Il faut ajouter à ce conglomérat, les structures de renseignement économiques, soit dépendantes de l’État, soit travaillant pour des multinationales privées mais s’adossant sur l’État à bien des égards.

Vous révélez dans votre livre que les services secrets chinois forment des hackers pour attaquer les sites des gouvernements étrangers ?

Ce sont principalement les 3ème et 4ème Départements de l’APL. Mais d’autres services y contribuent. L’année dernière les Américains ont dénoncé ce qu’ils appellent « Titan Rain », une pluie de titans de cyberattaques contre le Pentagone et d’autres ordinateurs de l’administration US. Au même moment, les Britanniques, les Allemands, les Espagnols, les Japonais ont également été victimes de ces attaques. Contrairement à ce que disent certains en France, les Chinois ont aussi testé la parade des spécialistes français au lendemain des élections présidentielles.

Quand Angela Merkel s’est rendue en Chine en septembre dernier, elle a demandé à son homologue Wen Jiabao que cela cesse. Ce dernier s’est défaussé en disant qu’il s’agissait de hackers électrons libres et qu’ils seraient réprimés. Cela fait mourir de rire les spécialistes, quand on sait comment l’internet est bridé en Chine comme je le raconte en détail dans mon livre. Notamment grâce au système de sélection automatique des e-mails et SMS intitulé « Bouclier d’Or »…

Les services ont- il joué un rôle important dans le développement économique de la Chine ?

Naturellement, ils jouent un rôle croissant. Dès les années 80, en plus du Guoanbu, les services spécialisés du ministère du commerce extérieur ont lancé des grands programmes de recherche, en liaison avec la commission industrielle et scientifique de la défense nationale (COSTIND). Non seulement s’agit-il de siphonner les laboratoires étrangers, d’espionner des grandes entreprises, d’acquérir des brevets identifiés grâce à des vastes programmes informatiques, mais aussi de fournir les informations utiles à des entreprises conquérantes qui veulent effectuer des OPA.

Les grandes entreprises pétrolières travaillent de pair avec des services spéciaux pour faciliter leur implantation en Afrique par exemple. Cela est facilité quand on voit que Zhou Yongkang, désigné comme coordinateur suprême des services secrets lors du Congrès du parti communiste en octobre dernier, est également un représentant de poids du lobby pétrolier en Chine.

Comment les services secrets préparent-ils les Jeux olympiques de Pékin ?

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Dans mon livre, je publie l’organigramme complet des services de sécurité chargés d’assurer la protection des JO. En temps ordinaire, dans une démocratie, il s’agit avant tout de s’assurer qu’il n’y aura pas d’attentat ou de manifestation intempestive qui gène le déroulement des épreuves sportives. En Chine, cela ne suffit pas, toute manifestation qui pourrait s’apparenter à une tentative de critiquer le gouvernement est considérée comme un attentat. Or beaucoup de mouvements spontanés peuvent se produire à cause des tensions sociales ou autres. Les services secrets cherchent à prendre les devants.

Cela veut dire un contrôle important des athlètes, des supporters, des journalistes qui vont couvrir l’événement. En plus de cela, le Président Hu Jintao et son gouvernement craignent depuis longtemps des mouvements des séparatistes ouigours ou tibétains. Ces derniers font partie de ce qu’on appelle à Pékin les « cinq poisons » : il y a encore les Taïwanais, les dissidents d tous poils et les membres du mouvement bouddhisto-taoïste Falungong. Tous ont des relais importants à l’étranger. C’est pourquoi, les services spéciaux dans les ambassades ou ailleurs doivent aussi faire parvenir des informations sur ceux qui pourraient venir à Pékin comme simples supporters et organiser des manifestations plus ou moins importantes. L’ensemble du dispositif est coordonné par un organisme intitulé le « Bureau 610 ».

Quelle est l’implication de ces mêmes services dans la répression au Tibet ?

Sur place au Tibet, la Sûreté de l’État (Guoanbu) ainsi que le Département du travail chargé du Front uni (un important service politique qui doit rallier des Tibétains à la cause de Pékin) et le renseignement militaire jouent naturellement un rôle important. Ce dernier bénéficie de la création d’unités mobiles de reconnaissance et de combat qui ont été créées voici quatre ans en calquant les techniques russes en Tchétchénie. Le Guoanbu opère sur place mais aussi en Inde face aux services spéciaux qui protègent le dalaï-lama. Ils ont même tenté de l’assassiner à plusieurs reprises, même si à d’autres moments ils ont été chargés de service d’émissaire pour organiser des négociations qui se sont ensablées.

Le même Guoanbu et d’autres services du Parti opèrent dans toutes les ambassades et constatent, dépités, que les manifestations s’amplifient. À Paris, un pseudo « journaliste » chinois suivait, avec le service politique de l’ambassade, la manifestation pro-tibétaine du Trocadéro, le 8 août 2007, un an jour pour jour avant les JO. Manifestement, les rapports qu’il a envoyés à sa centrale de Pékin ne sont pas entendus.

Enfin les services spéciaux sont tous représentés dans la cellule de crise que vient de créer cette semaine le président Hu Jintao pour essayer de gérer la situation, alors que, sur toute la planète, les protestations s’amplifient. Il lui faut trouver une porte de sortie pour éviter de compromettre les JO. Et surtout de faire perdre la face aux chefs d’Etat étrangers qui avaient promis de venir pour les cérémonies d’ouverture.

Les services secrets chinois sont-ils devenus aujourd’hui les plus importants au monde ?

Oui et non. Le nombre de fonctionnaires ou d’analystes d’entreprises privées peuvent être comptabilisés avec les militaires spécialisés de l’APL, avec les commandos des forces spéciales (très développés ces temps-ci pour les JO, face aux Ouigours du Xinjiang ou aux Tibétains), de nombreux cadres du Parti jouent un rôle. Cela fait beaucoup de monde ! Les gens qui effectuent du renseignement et du contre-espionnage au Guoanbu ou au 2ème Département de l’APL sont évidemment bien plus nombreux que les Français des services spéciaux chargés du même travail dans l’autre sens. Sans compter, la myriade d’instituts et autres centres de recherche et d’analyse.

Mais beaucoup de méthodes restent archaïques, comme le reconnaissent les spécialistes chinois. Les moyens technologiques sont en deçà de ceux des Américains (par exemple sur les satellites-espions, le vaste maillage de stations d’interception de la NSA à travers le monde) voire des Russes. Autre problème : le nombre est parfois l’ennemi de la qualité. Plusieurs analystes que j’ai interviewés à Pékin m’ont expliqué dans le livre qu’on n’a pas encore réussi à créer une sorte de Conseil national de sécurité à la chinoise qui informe de façon réactive les dirigeants. Sans compter les querelles de clans qui sont évidentes pendant la préparation des jeux Olympiques.

Propos recueillis par la rédaction

Roger Faligot est notamment l’auteur de (La Piscine, Le Seuil ; Les Résistants et Éminences grises, Fayard ; DST, Police secrète, Flammarion), L’histoire irlandaise et les relations internationales (Histoire mondiale du renseignement, 2 vol, R. Laffont ; La mafia chinoise en Europe, Calmann-Lévy ; Les seigneurs de la paix, Le Seuil). www.roger-faligot.com

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