Ce n'est pas un catalogue touristique vantant la beauté des paysages du Sahara algérien ni un rapport géophysique mettant en valeur son énorme potentiel minier et énergétique qui est venu rappeler aux Américains l'intérêt de cette vaste région, objet de toutes les convoitises. C'est une analyse publiée par le "Combating Terrorism Center" (CTC) de l'Académie militaire de West Point qui a passé à la loupe ce qui se passe actuellement dans cette région névralgique. L'analyse signée par une chercheuse spécialisée dans les questions politiques et sécuritaires de la région d'Afrique du nord et du Sahel, Hannah Armstrong, a paru il y a une semaine. Une version française vient d'être publiée par l'Institut Frantz Fanon (1)
Pourquoi cette institution américaine a choisi ce moment précis pour publier cette étude qui ne se contente pas d'analyser le contexte économique et social des mouvements de protestation des jeunes chômeurs et en quoi peut-elle nous renseigner sur les perceptions stratégiques de ceux qui sont censés influencer l'élaboration de la politique étrangère américaine en direction de la région d'Afrique du nord et du Sahel et plus particulièrement de l'Algérie ?
Cette analyse américaine mérite d'autant plus notre attention qu'elle est loin d'être isolée puisqu'elle s'inscrit dans un contexte qui voit se multiplier des rapports américains plus ou moins alarmistes sur la région Afrique du nord-Sahel et plus précisément sur l'Algérie. Un rapport rédigé par le Lt-colonel des forces aériennes américaines Joshua Burgess sur la sécurité dans la région Afrique du nord/Sahel a mis en évidence l'urgence d'une plus grande implication des USA et de l'Otan dans la région en coopération avec la France en recommandant explicitement la nomination d'une sorte de proconsul américain chargé de superviser la lutte antiterroriste dans la région comme si les Etats concernés- à commencer par l'Etat algérien- étaient inexistants (2)
Récemment, le Département d'Etat US vient de publier son rapport annuel sur les libertés dans le monde où il épingle l'Etat algérien sur une soi-disant persécution d'un millier de juifs et n'hésite pas à recommander au gouvernement algérien de promulguer une loi condamnant l'antisémitisme sur le modèle de la loi Gayssot en France alors que ce genre de lois n'existe pas aux Etats-Unis comme l'a si bien rappelé le site d'information alternative "Algérie solidaire" (3).
Revenons à l'analyse américaine publiée par le "Combating Terrorism Center" consacrée au sud algérien. La montée des mouvements de protestation sociale des jeunes chômeurs durant ces dernières années dans le sud algérien a permis de braquer les projecteurs de l'actualité sur une région jusque-là ignorée. Les jeunes chômeurs du sud et principalement des wilayas de Ouargla et de Laghouat protestent contre la marginalisation de leur région et les déficits enregistrés en matière d'infrastructures sociales et éducatives mais ils réclament surtout la fin des discriminations à l'embauche en dénonçant notamment le népotisme pratiqué par les responsables des sociétés de recrutement qui privilégient leurs "cousins" du nord.
Aux revendications légitimes des jeunes chômeurs, le gouvernement répond par la répression et des promesses qui tardent à se concrétiser tant les pressions des groupes détenteurs de rentes de positions sont importantes. Pourtant, cette question sociale revêt une dimension politique et stratégique indéniable. En effet, le Sahara constitue le principal poumon économique de l'Algérie puisque son sous-sol permet au pays d'engranger plus de 97% de ses exportations et plus de 30% de son PIB.
Si on s'en tient uniquement aux faits sociaux rappelés, l'analyse américaine n'a rien avancé que les Algériens ne connaissent pas. Même si les problèmes sociaux pointés du doigt par les jeunes protestataires de Ouargla et Laghouat sont presque similaires à ce que connaissent leurs compatriotes du nord du pays, qui peut nier que les wilayas du sud à l'instar d'autres wilayas des hauts plateaux ont connu des retards en matière d'infrastructures économiques, sociales et culturelles. Qui peut nier que les responsables des sociétés de recrutement du personnel salarié ou contractuel pour la Sonatrach et d'autres compagnies activant dans le secteur pétrolier et gazier pratiquent le népotisme, ce qui est vécu par les jeunes chômeurs locaux comme une discrimination insupportable ?
Même s'il est difficile de parler d'une marginalisation voulue par les autorités, il est un fait que la mal-gouvernance adossée à des calculs d'apothicaire de courte vue, dans la mesure où les programmes de désenclavement et de développement de vastes régions faiblement habitées s'avèrent très coûteux par comparaison aux mêmes programmes destinés aux wilayas surpeuplées du nord, a engendré une situation sociale inadmissible qui explique largement la frustration et la colère des populations et notamment des jeunes des régions qui se sentent ignorées par le gouvernement central.
La question devient d'autant plus lancinante que la nouvelle conjoncture géostratégique régionale recommande une prise de conscience aigüe des interférences existant entre les questions sociales et politiques internes et les ingérences extérieures de nature diverse qui cherchent à instrumentaliser tous les facteurs de tension sociale pour pousser leurs pions et préparer le terrain au "grand jeu" quand viendra le jour "J". Il faut être bien naïf pour croire qu'une région aussi vaste et aussi riche- le Sahara algérien est classé troisième à l'échelle mondiale en ce qui concerne les réserves de gaz de schiste sans parler des réserves de gaz conventionnel d'autres minéraux comme l'uranium- puisse laisser indifférentes les puissances étrangères qui parient sur le pillage des richesses de la planète pour assurer leur suprématie stratégique.
Jusqu'ici et quoiqu'en dise une certaine propagande visant à le discréditer, le mouvement des jeunes chômeurs du sud est resté dans son écrasante majorité pacifique et ancré aussi bien dans ses revendications sociales légitimes que dans son attachement à l'unité nationale. Il n'en demeure pas moins qu'à l'instar de tout mouvement social, ce mouvement n'est pas à l'abri d'infiltrations et de manipulations en provenance de groupuscules politiques et d' Ong aux desseins inavoués. Des indices probants montrent que certains activistes entretiennent des rapports avec des Ong connues pour leurs liens avec des centres spécialisés dans la subversion transnationale au nom de l'exportation de la démocratie comme l'organisation américaine Freedom House, proche des cercles néoconservateurs du parti Républicain et dont une des personnes ressources en Algérie n'est autre que Abderrazak Mokri, le nouveau leader des Frères musulmans du MSP qui viennent de nouer une curieuse alliance avec le RCD dans le cadre de la campagne de boycott de l'élection présidentielle.
Les raccourcis de l'analyse américaine
Les raccourcis de l'analyse américaine sont très révélateurs à ce sujet. Le titre de l'étude est déjà instructif "L'attaque de In Amenas dans le contexte de la montée de la protestation sociale dans le sud algérien". N'importe quel lecteur attentif pourra se poser la question du rapport entre ces deux types de faits qui ont très peu de choses à voir l'un avec l'autre à part que tous les deux ont pour théâtre le vaste Sahara algérien. Pour étayer son amalgame, l'analyste américaine part d'un exemple assez spectaculaire. Mohamed Amine Bencheneb était un membre fondateur d'un groupuscule crée dans les années 2000 sous le nom de "Mouvement des fils du Sud" dont la vocation était de lutter contre les discriminations dont ils s'estimaient être victimes. Plus tard, ce mouvement se radicalisera et deviendra "Mouvement des Fils du Sud pour la Justice islamique" et s'alliera aux groupes terroristes activant dans la région, AQMI et le dernier-né le MUJAO. C'est dans ce cadre que Mohamed Bencheneb participera à l'attaque du complexe gazier d' In Amenas en janvier 2013, attaque au cours laquelle il a été abattu par les forces spéciales algériennes.
Pour Hannah Armstrong, " Les griefs qui trouvent leur premier recours dans des formes de protestation pacifique peuvent se dégrader et se tourner vers une forme radicale en cas de manipulation imprudente ou de coercition. Lamine Bencheneb, un homme de Illizi, dans le sud algérien, a commencé comme un manifestant pacifique en faveur des droits des sudistes à l'emploi et au développement mais il est mort l'année dernière dans l'attaque de Tigentourine dont il a été un cerveau". La thèse développée par l'analyse américaine est très simple, voire simpliste. A supposer que Bencheneb ait commencé comme elle l'affirme en étant" un militant pacifique pour les droits des sudistes", rien ne pourrait justifier son basculement dans le terrorisme et dans la collaboration avec des groupes, comme le Mujao, dont les liens avec des officines étrangères sont avérés, sinon comment expliquer qu'un groupuscule qui prétend lutter pour le "Tawhid et le Jihad" en Afrique de l'Ouest s'attaque exclusivement à des cibles situées sur le sol algérien sans parler de l'enlèvement des diplomates algériens au Mali?
Dans la réalité, la plupart des chefs des groupuscules terroristes qui écument la région ont été directement ou indirectement liés à la contrebande (cigarettes, bétail, biens de consommation divers) et leurs liens toujours vivaces avec les groupes de contrebandiers et même des groupes de narcotrafiquants sont un secret de polichinelle. Il est curieux qu'à aucun moment l'étude américaine, pourtant très riche en détails, n'a abordé ce volet important. Par ailleurs, faut-il rappeler que sur une quarantaine d'assaillants à In Amenas, il n'y avait que trois Algériens sans parler du fait que l'attaque fut planifiée et organisée dans l' "émirat islamique" de Brega située pas très loin de Benghazi, une région où grouillent les espions et mercenaires à la solde de l'Oncle Sam et de ses alliés de l'Otan ?
Il ne s'agit pas d'un simple oubli. Le tropisme stratégique dans lequel elle s'est enfermée empêche l'analyste américaine de prendre en compte l'ensemble des facteurs qui structurent une problématique complexe dans laquelle la sécurité, la gouvernance et le développement sont certes inextricablement liés mais dans laquelle on ne peut pas non plus occulter l'interférence d'ingérences étrangères et notamment occidentales plus ou moins soft.
Cependant, le lien étroit existant entre les questions sociales et les questions politiques et sécuritaires ne doit pas à servir à cultiver des amalgames et encore moins à justifier les tendances séparatistes et/terroristes quand bien même on pourrait comprendre qu'elles se nourrissent du désespoir des jeunes chômeurs. On peut estimer que le but de l'analyse américaine était d'attirer l'attention sur la nécessité de travailler sur les facteurs sociaux qui peuvent constituer un terreau pour l'extrémisme et le terrorisme, ce qui est en soi louable.
Mais tout en dénonçant à juste titre les amalgames et les accusations diffamatoires dont sont victimes les jeunes chômeurs du sud en lutte pour leurs revendications légitimes, l'analyse américaine est tombée involontairement dans le même travers. En effet, quand elle n'a pas distingué comme il faut le mouvement social des jeunes chômeurs des expressions idéologiques et politiques- au demeurant minoritaires- qui, à l'instar du nouveau mouvement "Les Fils du Sahara", mettent en cause l'unité nationale et collaborent avec des parties étrangères en vue de déstabiliser le pays, il est difficile de croire à un simple ou
bli. Comment aurait-elle pu faire cela alors que la plupart des Ong qui activent aujourd'hui dans l'exportation de la démocratie en Algérie et dans le monde arabe comme en Ukraine et au Venezuela sont précisément d'origine américaine ?
Certes, il faut dénoncer avec la plus grande vigueur la politique de répression quand elle vise des mouvements de protestation sociale pacifiques et appeler l'Etat algérien à prendre ses responsabilités comme puissance publique en vue de répondre aux revendications urgentes des jeunes chômeurs. Cependant, ce serait faire preuve d'une grande naïveté, voire d'une négligence coupable, que de dénier à ce même Etat algérien le droit de défendre la stabilité, la paix civile et la sécurité nationales, y compris par des actions impitoyables contre les groupes terroristes qui osent menacer l'intégrité et les intérêts stratégiques du pays comme cela a été le cas, l'année dernière, lors de la riposte cinglante de l'armée algérienne aux assaillants d'In Amenas.
(1) www.institutfrantzfanon.org
(2) La version française est disponible sur le site: www.institutfrantzfanon.org
(2) www.algeriesolidaire.net
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