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LA MORALE DE L’ISLAM – Réalisme et transcendance

“Vous avez été la meilleure communauté apparue parmi les hommes. vous ordonnez le bien, vous combattez le mal, et vous croyez en Dieu” (Al Imrane. 110).

“J’ai été envoyé pour parfaire les qualités morales de l’homme”, disait le Prophète. Voilà qui place la morale au centre de la mission et de la pratique de l’islam.

En effet, la morale de l’Islam répond à un triple objectif existentiel :

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1. élever l’homme dans ses vertus morales intrinsèques, c’est-à-dire dans les qualités de cœur qui conditionnent son comportement : la foi, la générosité, la miséricorde, la patience, la véracité…
2. engager l’homme dans l’accomplissement correct de sa mission de khilafa qui consiste à gérer la Terre et ce qu’elle contient parmi les êtres et les choses, en luttant contre le mal et pour le bien.
3. instituer une communauté humaine totalement imprégnée par cette mission morale de lutte pour le bien et contre le mal, conformément à la qualification conditionnelle du verset coranique cité en exergue.
Nous allons développer le contenu de ces trois objectifs.

Premier objectif : promouvoir l’homme dans ses vertus morales fondamentales.
Ces vertus se situent à cinq niveaux : physique, psychologique, intellectuel, social et spirituel. Chacun de ces niveaux constitue une base indispensable à l’action morale, c’est-à-dire à l’accomplissement de la mission existentielle de l’homme sur terre.
Bien que le Coran insiste particulièrement sur ces vertus, les Musulmans les ont bien souvent négligées et se sont cantonnés dans l’aspect formel et légaliste de la pratique religieuse. C’est pourquoi il nous a paru important de les bien rappeler, en nous référant, bien entendu, au texte coranique :

  •  les vertus que l’on peut qualifier de physiques, sont celles qui assurent à notre organisme la capacité fonctionnelle d’accomplir ses obligations tant vitales que sociales et religieuses. C’est pourquoi le Coran nous enseigne de nombreuses règles d’hygiène qui font partie des vertus du musulman : propreté du corps, des vêtements et des lieux de séjour et de prière, interdiction des aliments et des boissons toxiques ou malsaines. Rappelons-nous ce verset qui est un des premiers révélés à l’intention du Prophète Mohammad : “O toi qui te drapes dans ton manteau, lève-toi et prêche ! Glorifie ton Seigneur, rends propres tes vêtements et éloigne-toi de toute souillure” (Al moudathir. 1 à 5)
    Rappelons-nous aussi les règles de tempérance et d’économie : “mangez et buvez, mais n’allez pas aux excès de prodigalité” (Al A’raf. 31) ;
  •  les vertus psychologiques s’expriment dans la prédisposition intime de la conscience aux bonnes actions. En décrivant les croyants, le Coran leur désigne les vertus fondamentales : la miséricorde (marhama), qui est amour et compassion, la patience (sabr) qui est courage, endurance et courage à l’effort, la véracité (al hak) qui est amour du bon, du juste et du vrai, la fidélité (ouafa) qui est constance dans l’engagement, qu’elle soit parole donnée à l’homme ou obéissance promise à Dieu…
    “Ceux qui croient en Dieu et qui font le bien, ceux qui se recommandent entre eux la patience et la miséricorde” (Al Balad. 16-17).
    “Ceux qui se recommandent entre eux d’être justes et miséricordieux” (Al Asr.3)
    “Ceux qui sont fidèles à leur engagement, et qui sont patient dans l’adversité, dans la douleur et dans le combat” (Al Baqara.177) ;
  •  Les vertus intellectuelles reviennent comme un leitmotiv combien oublié pourtant. La raison et la conscience donnent à l’homme sa véritable dimension humaine. Non seulement, c’est par elle qu’il domine le monde, mais c’est par elle aussi, qu’il découvre Dieu et se rapproche de Lui. “Ceux qui craignent Dieu, ce sont les savants” (Fatir.28).
    “Dis : est-ce que se valent ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? Ceux qui méditent, ce sont les gens doués d’intelligence” (Al Zoumour.8). Combien de versets demandent à l’homme de parcourir l’espace et d’étudier l’univers dans ses lois et dans ses mouvements, dans ses manifestations vivantes et dans son histoire !
  • les vertus sociales sont celles qui lient les hommes entre eux à travers l’ensemble de leurs relations. Elles sont l’expression appliquée des vertus fondamentales : respect, générosité, amour fraternel et miséricorde, solidarité et compassion… Nous y reviendrons plus loin.
  •  Quant aux vertus spirituelles, elles sont le commencement et la fin et placent l’homme dans sa dimension transcendantale. Elle sont le lien qui lie l’homme à son Créateur, non seulement par l’esprit, mais aussi par la charge (amana) dont il a été dépositaire.
    Les vertus spirituelles se situent au niveau de la conscience religieuse et se manifestent dans la foi, qui est connaissance et amour de Dieu et dans la soumission à Dieu (Islam) qui est obéissance par la prière et par l’action.
    Les manifestations intérieures de la foi sont désignées par des mots difficilement traduisibles tels que “khouchou” qui est prosternation de l’esprit devant Dieu ; “tadharou’” qui est invocation suppliante de Dieu ; “ikhlas” qui est adoration sincère et exclusive de Dieu.
    Ces vertus, inséparables de la pratique de la foi, ont été particulièrement ressenties et vécues dans la spiritualité musulmane, non pas seulement celle des mystiques soufis mais de tous les hommes pieux, depuis le Prophète lui-même et ses compagnons vénérés, jusqu’aux croyants sincères qui vivent autour de nous.
    Mais la foi est un tout ; on ne peut en séparer les manifestations intérieures, qui sont amour et crainte adorative de Dieu, de son aspect extérieur représenté par la discipline rituelle et la pratique de la morale sociale.
    La foi, c’est aussi la grâce rendue à Dieu, en reconnaissance (chokr) de la vie qu’Il nous a donnée, de la dignité qu’Il nous a conférée en tant qu’hommes, de la charge dont Il nous a honorés, par la khilafa sur terre, de la Révélation par laquelle Il a guidé notre raison et notre intelligence, enfin de la promesse qu’Il nous a faite d’une heureuse compensation dans l’Au-delà.

    Deuxième objectif : engager l’homme dans l’accomplissement de sa mission de khilafa ou gérance de la terre
    Celle-ci signifie la responsabilité de gestion et implique l’épreuve permanente de lutte pour la défense du bien et la lutte contre le mal, dont la communauté croyante est spécialement dépositaire : “Il faut que se constitue en vous une communauté qui veille sur la justice, qui ordonne le bien et qui combat le mal et qui croit en Dieu” (Al Imrane.104)
    Mais qu’est-ce que le vrai, le juste, le bien, le mal ? Vérité en deçà, mensonge au-delà, comme disait Pascal. Du point de vue de l’islam, la morale, avec toutes ses qualités qui lui sont rattachées comme la vérité, la justice, le bien, c’est l’accomplissement par l’homme de la fonction existentielle pour laquelle Dieu l’a créé. En ce sens, le bien, c’est ce qui est conforme à cette mission, et le mal ce qui lui est opposé.
    Mais comment reconnaître le bien ? L’histoire des hommes et même celle des religions ne semblent pas donner de réponse évidente pour tous et partout. Pourquoi ? Parce que le bien n’est ni une notion objective que la raison seule pourrait définir, ni une notion subjective que l’instinct seul pourrait découvrir. Elle est une relation d’équilibre entre trois sources de connaissance qui ne sont pas exclusives, mais complémentaires.
    1) Les données de l’instinct qui nous font voir bon tout ce qui est conforme à nos besoins naturels et à nos désirs. Ces mêmes données nous font voir le mal dans tout ce qui contrarie ces besoins et ces désirs.
    2) Les données de la raison s’expriment dans la connaissance objective de ces besoins, de ces désirs, dans leur relation avec le monde qui nous entoure. La raison peut nous faire juger bon, non seulement ce qui est conforme à nos vœux, mais aussi ce qui est conforme à l’ordre universel, la nature, la société. La raison domine l’instinct en ce sens que ce qui a pu apparaître comme un bien subjectif, peut être considéré comme un mal vu du point de vue objectif. Il peut me paraître bon de jouir d’un bien que je convoite. La morale objective me dira que ce bien appartient à un autre et que je dois négocier avec lui l’autorisation d’en jouir. Si l’instinct reste néanmoins prédominant, je serais tenté d’utiliser la violence pour jouir de ce bien.
    La raison alliée à la passion peut même m’induire en erreur, si elle me dit que le possédant de ce bien est un ennemi et que je peux légalement utiliser la force pour m’emparer de ce bien.
    3) La révélation m’apporte un autre niveau de connaissances qui situent mon comportement, non plus seulement en fonction de mes désirs et des implications morales de ces désirs dans mes relations avec les autres, mais aussi en fonction d’un but transcendant ces désirs, et qui est la raison même de mon existence. La morale religieuse domine donc l’instinct et la raison et, sans les renier, elle les place dans un ordre moral conforme à la finalité de l’existence et aux fins de cette existence. La morale se conformera ainsi à des prescriptions révélées par Dieu Lui-même, qui discipline mon instinct et corrige ma raison pour les diriger dans la trajectoire de la foi. Car Lui seul connaît absolument ce qui est bien et ce qui est mal. Son enseignement guide nos actions vers le bien. “Il peut vous arriver de détester une chose dans laquelle se trouve votre bien et il peut vous arriver d’aimer une chose dans laquelle se trouve un mal pour vous. Dieu sait et vous ne savez pas” (Al Baqara. 216).
    Dans la perspective religieuse, le bien devient tout ce qui favorise l’épanouissement de l’homme dans sa quadruple dimension : physique, intellectuelle, morale et spirituelle. Le mal, c’est tout ce qui peut le contrarier. L’appréciation du bien et du mal, est donc un équilibre entre les trois types de connaissance et de tendance.
    Lorsque le déséquilibre se fait au profit de l’instinct, il asservit à la fois la raison et la religion. Lorsque le déséquilibre se fait en faveur de la raison pure, il peut asservir à la fois la nature biologique de l’homme et sa dimension spirituelle. Lorsque le déséquilibre se fait au profit de la religion formelle, il sacrifie à la fois la nature et la raison. Ce n’est pas là l’ordre voulu par Dieu, car Dieu a créé la nature, la raison et la foi, dans une harmonie existentielle elle-même liée à la finalité de la création. C’est dans cette voie d’équilibre et d’harmonie que nous oriente le message coranique.
    Cependant, l’épreuve morale de l’homme n’est pas simple. A la fois soumis à la volonté de Dieu qui s’exprime dans l’ordre de la création et responsable personnellement de ses actes et de leurs implications, de par la raison dont Dieu l’a pourvu, et de par la charge morale dont il est dépositaire, il se trouve confronté à des tensions multiples souvent contradictoires.
    Pour être maintenue dans la droiture de la voie enseignée par Dieu, la morale n’est donc pas laissée à la libre appréciation subjective ou même objective de chaque individu.

    Dr Ahmed Aroua.

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