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La formation des Imams en France : sortir de l’impasse

La question de la formation des Imams en France représente l’un des enjeux majeurs de l’organisation du culte musulman. Pourtant, et en dépit des déclarations de bonne volonté maintes fois répétées, les différents ministères qui se sont succédés place Beauvau n’ont jamais réussi à apporter des solutions crédibles à ce problème.

La communauté musulmane, quant à elle, devrait s’investir davantage sur ce chantier d’une grande importance pour aboutir à une saine gestion du culte. Trop longtemps délaissé, ce dossier complexe a souvent fait l’économie d’une réflexion profonde. Et pourtant, des solutions existent.

Dans son article récemment publié (voir Le Figaro du 29 Août), Azzedine Gaci, président du Conseil Régional du Culte Musulman de la région Rhône Alpes relevait, à juste titre, que « la question de la formation des imams [devait être mise] au cœur de l’organisation de l’islam en France ».

Cependant, et après avoir dressé un tableau accablant sur la réalité des Imams officiant aujourd’hui en France, M. Gaci propose, en guise de remède à ce triste constat, « de créer un institut de formation des imams de France » ajoutant que « l’Etat français devait se résigner à créer cet institut de formation des imams en Alsace-Moselle, à Strasbourg plus précisément ».

En effet, si l’Etat ne prend pas véritablement en charge cet épineux dossier, on risquerait de s’acheminer, toujours selon M. Gaci, vers un «  chaos que pourrait provoquer à court et moyen terme en France les « Cyber-fatwas » et autres « télé-Muftis » vers lesquels « beaucoup de jeunes, qui refusent catégoriquement de s’identifier à une école juridique se tournent ».

Sans nier la réalité des problèmes et de la confusion qui règnent autour de cette lancinante question de la formation des Imams en France, le discours affiché par M. Gaci est davantage l’expression d’une vision caricaturale et erronée de la réalité que la formulation d’un constat véritablement objectif.

En effet, pour permettre à la deuxième religion de France d’avoir des Imams formés de manière à adapter l’intelligence du Texte au contexte, il vaudrait mieux partir des acquis accumulés dans ce domaine pour pouvoir répondre à une demande sans cesse croissante.

Aujourd’hui, il est vrai que les centres existants ne couvrent pas les besoins en termes de formation des officiers du culte musulman. L’offre de formation est actuellement limitée à l’Institut théologique de la Mosquée de Paris et aux deux centres de formation de l’Union des organisations islamiques de France : l’Institut européen des sciences humaines (I.E.S.H.) installé dans la Nièvre, près de la commune de Château-Chinon, qui a ouvert ses portes en 1992 (et qui vient tout juste de célébrer son quinzième anniversaire) et sa filiale, du même nom, située à Saint-Denis.

D’autres centres de formations, moins performants, sont nés ces dernières années, notamment en région parisienne ainsi que quelques-uns en province (Lyon et Lille notamment). Cette réalité d’un certain nombre de centres de formations, installés pour certains depuis de nombreuses années, semble malheureusement avoir été occultée par M. Gaci.

Or, ce dernier n’est pas sans connaître cette réalité, lui qui a assisté, il y a quelques jours à peine, aux festivités accompagnant la remise des diplômes aux étudiants de la quinzième promotion de l’I.E.S.H de Château-Chinon. Et qui plus est, cette commémoration avait été précédée, la veille, d’un colloque portant précisément sur l’enseignement islamique en Europe et la formation des Imams…

Loin d’appeler l’Etat à la formation d’un nouvel institut – au risque de contredire de manière flagrante la neutralité de l’Etat dans la gestion des cultes et de violer ainsi le principe de laïcité – il serait judicieux et bien plus efficace de reconnaître pleinement ces centres qui ont permis, depuis quelques années déjà, l’émergence d’une nouvelle génération d’Imams.

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En effet, ce n’est pas aux pouvoirs publics de s’occuper de la formation des professionnels du culte mais bien plutôt aux autorités religieuses compétentes en la matière. Qui accepterait aujourd’hui qu’on s’immisce dans la formation des rabbins en France ou dans celle des évêques ?

Il est, en effet, étrange que la laïcité, qui impose une stricte neutralité des pouvoirs publics dans la gestion des cultes, soit reléguée aux oubliettes lorsqu’il s’agit de traiter du culte musulman.

Les apparents déboires du CFCM ne doivent pas empêcher la communauté musulmane de réfléchir sérieusement en vue d’apporter des solutions durables et efficaces à ce dossier central pour l’avenir de l’Islam de France.

Car il revient d’abord aux musulmans de France de relever ce défi de la formation des Imams pour permettre aux quelques 1500 mosquées de l’Hexagone de bénéficier d’Imams à la fois compétents en matière religieuse et en phase avec la société qui les entoure. Pour ce faire, trois éléments clés doivent être pris en compte.

Premièrement, les pouvoirs publics devraient pleinement reconnaître les instituts de formations existants, au premier rang desquels l’I.E.S.H., et les considérer comme des partenaires à part entière quant à la formation des Imams de France. N’en déplaise à certains, ces centres ne dispensent nullement un « enseignement fondamentaliste » mais permettent bien plutôt à leurs étudiants, dont désormais la grande majorité sont nés et ont été scolarisés en France et en Europe, de concilier la formation théologique avec une saine compréhension de leur environnement européen.

La suspicion qui règne aujourd’hui devrait laisser place à la confiance mutuelle. Deuxièmement, la mise en place d’un véritable statut qui conférerait à l’Imamat une fonction pleine et entière avec une rémunération à la mesure des efforts fournis qui permettra à l’Imam de se consacrer sérieusement à sa fonction.

Cette mesure devrait rapidement être mise à l’ordre du jour du CFCM pour pallier ces insuffisances. Aujourd’hui, la situation est souvent déplorable car elle fait de l’Imamat une fonction peu attrayante et souvent dévolue à des bénévoles.

Enfin, mettre en place, par le biais des associations et des institutions musulmanes, un système d’aides et de bourses pour permettre aux étudiants qui le souhaitent d’étudier sereinement dans les instituts de formation existants. La durée des études étant souvent longue (minimum cinq ans), ce système permettra d’augmenter le nombre d’étudiants désirant s’orienter vers l’Imamat.

Toutes ces mesures, si elles sont mises en œuvre, auront, entre autres, l’avantage de réduire quelque peu l’importation d’Imams des pays musulmans et de voir l’éclosion d’une nouvelle génération d’Imams français.

La question de la formation des Imams de France est un sujet crucial qu’il faut maintenant trancher. Loin de se perdre dans des projets aussi improbables qu’inefficaces, les quelques pistes évoquées ici peuvent contribuer à sortir de l’impasse dans laquelle ce dossier se trouve. Et il y a urgence.

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