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Faut -il avoir peur des arabes ?

 

Pourquoi et comment nous avons décidé de traiter ce sujet-là.

 

Pour le numéro 3 du bimestriel “TANT PIS POUR VOUS” s’est posé le problème de savoir ce qu’on allait bien pouvoir bien mettre en une de ce numéro, en partie consacré aux Arabes de France…

Notre première idée, prendre une photo personnelle : deux adorables diablotins : Mounir, 11 ans, brillant élève rêvant de devenir président de la République (« Minimum ! »), et Oulaya, sa jeune sœur aux yeux rieurs et aux dents en vacances (la souris est passée, comme le temps, et les dents sont revenues). En soi, la photo aurait pu ne présenter d’intérêt que pour celles et ceux qui connaissent ces deux chef d’œuvres sur pattes… À ceci près que, outre leurs ravageurs sourires (quel racisme y résisterait !?), la jolie lumière d’un été parisien (les toits de la capitale, derrière eux, faisaient très Alger la blanche), et le Sacré-Cœur, juste à côté (œcuménisme quand tu nous tiens), une joie pure, un bonheur radieux illuminaient ces deux petits Français aux parents nés ailleurs.

Et nous, en une du numéro 3 de TANT PIS POUR VOUS, nous voulions rompre avec la dégueulasse, malintentionnée et savamment élaborée, imagerie, violente, racoleuse et malhonnête, généralement appelée à la rescousse d’articles, sujets et dossiers, tous, eux aussi, nuls, démagogiques et pousse à la ratonnade, dont la presse française a le secret.

Nous voulions de la joie. Du rire. De la gaîté. Pour illustrer, annoncer et appâter. Et aussi pour changer un peu, nous distinguer de nos cons-frères… Nous voulions aussi une image d’Arabes ressemblant ENFIN à ceux que nous (Arabes, Gaulois, Africains, Antillais, Asiatiques…) avons autour de nous. Il est vrai que s’il y avait plus d’Arabes dans les médias, les journalistes en connaîtraient un ou deux. Comme nous. Et gageons qu’ils rectifieraient le tir… Ah, il m’arrive de songer avec mélancolie au seul Arabe de la rédaction de Libération… Dieu qu’il doit se sentir seul parfois… Entouré de ses disques de world music…

Un Arabe au service politique étrangère d’un quotidien national, c’est pas pour demain.

L’Arabe est médiatique-ment violent, haineux et même un peu fourbe sur les bords. Moi aussi, j’avoue, je trouve que Ben Laden, l’Ayatollah Khomeiny, le colonel Kadhafi ou même Yasser Arafat, ont, sinon du charme, au moins un magnétisme, un charisme, indiscutables. Mais ils ne sont pas très représentatifs. Aucun des Arabes que j’ai pu côtoyer, en banlieue, dans le midi et à Paris, depuis près de trente ans, ne leur ressemblait… Si eux, ici ou là, pour toutes les bonnes et mauvaises raisons concevables, ont tué, les nôtres d’Arabes, ceux de France, leur destin, c’est plutôt de se faire refuser, réfuter, refouler comme des névroses… voire même de se faire tuer. Le dernier “grand” terroriste arabe qu’ait connu la France – à part ceux qui naissent et prolifèrent comme des rats dans la fertile et intéressée imagination du pseudo courageux-enquêteur Mohamed Sifaoui… l’homme qui a trouvé à Belleville des islamistes sponsorisés par Reebok ! – s’appelait Khaled Kelkal… un pauvre môme, mort, des bottes en caoutchouc aux pieds, abattu, puis achevé par la gendarmerie, sous les yeux d’M6 (qui préféra, pour ne pas troubler l’ordre public, censurer l’image), afin d’être sûr qu’il ne dirait pas de quelle supercherie il fut la victime.

Nos Arabes ne tuent pas : ils meurent.

Dans notre riche pays, ils ne survivent pas : ils sous-vivent.

En particulier dans les médias.

Ah, la raison pour laquelle nous avons choisi de ne pas mettre en une Mounir et Oulaya : leur âge. Celui-là même qui les préserve des chausse-trappes et pièges de l’identitaire obligatoire. Pour l’heure, ils ne sont ni arabes, ni français, ni rien. Ils sont des enfants. Il ne nous appartenait pas de leur imposer un statut. Dieu pourtant que cette couverture eût été belle.

Donc, Kamel Ouali.

Mon compère, acolyte, co-rédacteur en chef, Karim Boukercha a écrit un article : “Kamel Ouali est un mec normal…” Il y est question d’artistes et personnages publics dotés d’un prénom et d’un nom, et pas juste d’un prénom-sobriquet… De la nécessité de voir apparaître toutes sortes d’Arabes (des nuls, des gentils, des mielleux, des petits gros, des érudits…), afin de vérifier que l’Arabe n’est ni pire ni meilleur que les autres. Mais aussi du rapport, selon lui, nouveau, qu’il faudra entretenir avec le racisme et le raciste : “Le raciste lambda est l’allié du musulman, il pousse à ne pas sombrer dans la haine devant l’épreuve, à être bon et droit, à réfléchir…” Article, comme toujours chez nous, dûment écrit à la première personne, afin de ne pas succomber aux mirages de la prétendue objectivité, déesse des malhonnêtes.

Kamel Ouali, aussi, parce que s’il n’a ni le charme ni la grâce d’Oulaya et Mounir, il n’en est pas moins joli garçon, frais du minois, souriant, heureux même, semble-t-il… Juste, donc, pour rappeler que “Arabe”, ça peut vouloir dire ÇA ! Pas nécessairement la barbe austère de Ben Laden, l’habit impressionnant de l’Ayatollah Khomeiny, le regard effrayant du Kadhafi de la grande époque (avant que les USA ne s’occupent de sa capitale)…

“Faut-il avoir peur des Arabes ?” Le terme “Arabe” a été, vous l’imaginez, choisi à dessein, afin qu’on comprenne bien que, manifestement, ce n’est pas l’Islam le véritable problème, mais bel et bien les Arabes. Les 300 ou 4000 000 Sénégalais qui vivent en France sont, majoritairement, musulmans. Il ne leur est que rarement fait grief de l’être -idem des Comoriens. La phrase est forte. Évoquera pour certains des temps anciens. Une fantasmagorie coloniale. Ou bien un danger supposé pour le monde contemporain. Mais un danger que la bienséance interdit aux hypocrites d’énoncer aussi clairement. Nous avons voulu jouer sur toutes ces frictions. Au risque de tous les malentendus. Pour qu’on saisisse bien le côté grotesque, tragique, stupide même, de cette permanente assimilation à quelques fortes têtes… Fortes têtes qui, lorsqu’elles ne sont pas chiites, vivent tellement loin de la France, mues par des préoccupations tellement éloignées de celles d’ici… Un Arabe n’est qu’un homme. Et tous les hommes ne sont pas de dangereux terroristes. Pourquoi tous les Arabes le seraient-ils potentiellement ? Pourquoi devraient-ils tous toujours réagir, dans un sens ou dans l’autre, chaque fois que l”Arabe” fantasmatique, islamisé jusqu’au trognon, est sollicité par des médias dont la probité n’est plus à défaire ? Pourquoi, et pour combien de temps encore, doit-on supporter d’en entendre appeler, par des gens qui ne croient en rien d’autre que l’argent, à un “islam modéré”, à des “intellectuels musulmans modérés” (ça veut souvent dire alcooliques) ? Pourquoi, et pour combien de temps encore, postuler l’aliénation systématique, qui veut que si un Arabe le dit tous les Arabes le répèteront, ou, à défaut, le partageront, le penseront ?

Nous n’avons pas nécessairement répondu à toutes ces questions.

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Parfois, les questions sont plus intéressantes que les réponses.

Nous avons demandé à 10 Arabes de France, normaux, salariés, étudiants, épiciers, bistrotiers, universitaires, chanteuses, hommes, femmes :

 

  • Est-ce dur d’être arabe en France ?

  • D’après vous, pourquoi les gens ne vous aiment pas ?

  • Quelle est votre part de responsabilité, et quoi faire pour que ça change ?

Pour qu’enfin des Arabes parlent d’eux.

Pour qu’enfin des Arabes non stérilisés, non salariés de l’antiracisme, non âgés de 14 ans comme dans les films de fiction du maussade Élie Chouraqui, parlent un peu. Comme les autres. Comme les Français qu’ils sont.

Lisez leurs réponses. Elles ne correspondent évidemment pas à la parole potentiellement islamiste que leur prêtent nos gentils médias si dociles.

Enfin, juste à côté d’un petit rappel, sous la forme d’un compte-rendu du livre de Fausto Giudice, “Arabicides” (paru en 1992), un texte intitulé “J’emmerde l’antiracisme”. Antiracisme qui n’a jamais été le contraire du racisme, et encore moins une réponse. Et surtout la plus mauvaise des solutions à apporter à un problème, d’abord, politique, économique et social.

Comme dit Karim : bonne lecture.

 

Grégory Protche

 

“TANT PIS POUR VOUS”

(bimestriel, 3,50 euros, en kiosques actuellement)

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