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Etre ou ne pas être…civilisé : le dilemme des élites arabes

Cela n’a pas raté ! Les élites arabes ‘’éclairées’’ (au pétrole lampant ?) sont conviées à se tenir au large de la vague d’indignation qui parcourt le monde islamique suite à la publication à répétition de caricatures du prophète Mohamed. Beaucoup d’intellectuels arabes, soulagés que les américains aient choisi de ne pas en rajouter, sont bombardés de messages pressants émanant des centres éblouissants de la culture européenne.

Interprété sur des modes divers, le discours aux intellectuels arabes est d’une teneur curieusement identique : « Distinguez-vous, ne joignez pas vos voix aux concerts paranoïaques et démagogiques de vos populations et défendez plutôt le caractère indivisible de cette liberté d’expression qui vous fait cruellement défaut ». « Ce n’est qu’une ‘’bêtise’’, mais on a le droit de publier ça » dixit Robert Ménard le président de RSF…

« Relativisez donc, souriez plutôt que de verser dans l’outrance manifestante et boycotteuse ! » Et sur un ton parfois comminatoire, souvent onctueux, l’interpellation des élites arabes prend l’aspect d’une bizarre supplique « Apparaissez enfin pour ce que vous êtes vraiment : devenez enfin cette excellente élite que nous aimerions tant aimer, ne hurlez pas avec la meute ! » Il est rappelé à ceux qui l’aurait perdu de vue, que le sens de la mesure, de la nuance et de la distanciation critique sont les marques distinctives de la Civilisation Moderne.

Dans les cercles arabes en prise permanente sur les discours occidentaux, l’épître a été entendue et rapidement décryptée. En effet, les termes du contrat se résument très lapidairement : si nous, élites indigènes, nous battons dans un monde musulman où la liberté d’expression est partout bâillonnée et embastillée, il nous faut être « conséquents ». Et défendre cette liberté ailleurs.

Voilà que l’Europe qui, dans son immense mansuétude, voudrait paraît-il nous hisser à son niveau, nous enjoint de choisir d’être à sa hauteur et de saisir l’occasion inespérée d’obtenir le label occidental de l’indépendance d’esprit et du courage politique. Valeurs intrinsèques de la Seule Vraie Civilisation Authentique, si éloignées de la médiocrité passéiste et de l’intolérance grégaire dans lesquelles se complaisent nos masses.

A nos élites donc, catégorie reconnue at least, cette inestimable attestation de bonne conduite qui les propulserait dans les fourgons de l’axe du bien, auxquels n’accèdent, c’est bien connu, que ceux capables de sens critique et de réalisme.

Osons franchir le pas et entrons de plain-pied dans la civilisation ! Il y a ainsi des strapontins académiques et les palmes qui y sont associées, des demi-mondanités médiatiques circonstancielles, bref, des places de supplétifs à prendre. Faute de burnous rouges ( la caïdat administratif étant démodé) pour les nouveaux arabes de service promus au rang d’aimables demi-civilisés il y aura sans doute d’intéressantes gratifications… Et – pourquoi pas ? – sans attendre un problématique au-delà, les frigorifiques Vénus Vikings en prime ! On a les houris du temps jadis qu’on peut…

Défendez la liberté d’expression, nous est-il répété, faute de quoi vous ne confirmeriez que votre irréductible « barbarité », votre propension au communautarisme et aux scléroses identitaires, bref votre générique refus de la Modernité.

Malgré l’indéniable compétence didactique de ses promoteurs et leurs relais innombrables, on enregistre peu de candidats à l’enrôlement dans ce qui s’apparente à une tentative de « vietnamisation » (des arabes s’opposant à des arabes) de la guerre de la liberté d’expression déclarée par l’axe du bien. Peu de volontaires donc, bien que la proposition soit tentante et la rémunération assurément substantielle.

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Même nos éradicateurs institutionnels, usuellement si prompts à clamer leur fervent désir d’extermination des islamistes restent discrets. Les associatifs assimilés du combat anti-intégriste sponsorisé sont imperceptibles.

C’est que l’élite arabe « éclairée » (au gaz de ville ?) même la plus anesthésiée n’ignore pas qu’on n’a pas le droit de tout dire en Occident – que des tabous en acier trempé existent bel et bien – et que la liste est longue de ceux radicalement excommuniés pour infraction aux règles exprimées ou tacites de l’expression publique démocratiquement autorisée.

C’est que d’emblée l’offre adressée urbi et orbi paraît ce qu’elle est : un marché de dupes.

Comme, inter alia, les spasmes scripturaux d’une Fallaci ou les confusions à l’insu de son plein gré de Finkielkraut, les dessins danois ne sont pas que de la « bêtise » : ils sont précisément l’expression limpide d’une stigmatisation de masse.

Croquer Ben Laden dans toutes les postures imaginables ne suscitera de réactions émues que chez une marge infime des musulmans. Dépeindre le prophète de l’Islam sous les traits de l’assassin, c’est induire par amalgame « décomplexé » que l’ensemble d’une branche de l’humanité – avec ses croyants, ses incroyants, ses laïcs, ses athées et ses tout ce que l’on voudra, même ses élites violemment éclairées ces jours-ci – sont des criminels potentiels, que l’Islam est fondamentalement sanguinaire et menace la paix du monde.

Nulle ‘’bêtise’’ dans cette assertion, mais l’expression politique libérée d’un racisme totalisant, pathologique et ridiculement inculte.

Cette énième péripétie d’une campagne qui dure depuis des années est l’avatar pasteurisé, clean, de Radio Mille Collines. Un avatar tout aussi hideux, hypocritement drapé dans les vertueux oripeaux d’une liberté d’expression à géométrie variable.

Qui ne souvient de l’illustre réplique shakespearienne « Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark… » Pas seulement.

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