Dans un communiqué rendu public hier 13 mai, à la suite d’une conversation téléphonique avec le président de l’Autorité palestinienne, le président Macron s’est dit « préoccupé par l’escalade des violences au Proche-Orient » et « déterminé à œuvrer avec l’ensemble des parties pour y mettre un terme au plus vite. » Après avoir présenté ses condoléances au président palestinien Mahmoud Abbas « pour les nombreuses pertes de civils palestiniens résultant des opérations militaires et des affrontements en cours avec Israël », Macron « a fermement condamné les tirs revendiqués par le Hamas et d’autres groupes terroristes visant le territoire israélien, mettant en grave danger la population de Tel Aviv et d’autres villes israéliennes et nuisant à la sécurité de l’Etat d’Israël » Enfin, Macron a enjoint à Abbas « d’user de tous les moyens de son influence pour que le calme soit rétabli au plus vite. »
A lui tout seul, ce communiqué résume toutes les contradictions et les errements de la diplomatie française face à ce qui se passe aujourd’hui en Palestine occupée. Les victimes civiles palestiniennes sont le résultat des « affrontements avec Israël » et non pas des bombardements israéliens, bombardements totalement disproportionnés quand on compare les moyens employés des deux côtés et qui s’expliquent par la volonté d’enlever au peuple palestinien toute velléité de résistance au processus de dépossession dont il est victime depuis plus de 70 ans.
Macron condamne « fermement » les tirs de missiles palestiniens mais ne souffle pas mot sur les centaines de raids effectués depuis plusieurs jours par l’aviation israélienne dans le cadre d’une offensive aérienne qui a vu la participation de pas moins de 160 appareils ! Le Hamas qui a gagné démocratiquement les élections à Gaza à plusieurs reprises devient subitement un groupe « terroriste » au détour d’une phrase choc importée directement du lexique de l’armée israélienne. Si le Hamas et les autres groupes de la résistance palestinienne sont tous des groupes « terroristes » avec qui il faut discuter pour arriver à un « retour au calme » et à la paix comme le souhaite Macron ?
La violence coloniale systématique que subit le peuple palestinien depuis des décennies, et dont la tentative de judaïsation de Jérusalem-Est n’est que le dernier développement en date, est carrément occultée dans un raccourci qui dénote un parti-pris d’autant plus regrettable qu’il risque de nuire tout autant à la diplomatie française qu’aux tentatives visant à consolider le vivre-ensemble à l’intérieur du pays.
Dans le communiqué de l’Elysée, il ressort clairement que ce qui compte le plus ce sont les victimes israéliennes et le sort de l’Etat d’Israël. On peut épiloguer sans fin pour essayer de donner un nom à ce genre de discours. Le principal concerné niera de toutes ses forces qu’il puisse être question de racisme dans sa déclaration. Peut-être que le président Macron n’a pas cherché à blesser qui que ce soit par ses paroles. Mais le mal est fait. Au-delà des Palestiniens qui se rappelleront combien leur vie coûte très peu aux yeux du président français, comment les millions de musulmans de France vont-ils ressentir ces paroles ? Bien-sûr, on pourra rétorquer qu’en France, il n’y a pas de minorités puisqu’il n’y a que des citoyens français. Soit. Et jusqu’à quand peut-on parier sur le fait que les citoyens français ne vont pas voir ce que tout le monde voit de toute évidence, à savoir la disproportion des moyens employés par les protagonistes pour ne pas parler des causes historiques du conflit et du dernier épisode en date ?
Dans une conjoncture marquée par le délitement du lien social pour des raisons structurelles sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici, nous ne dirons jamais assez les difficultés rencontrées au quotidien par toutes les bonnes volontés qui cherchent à réparer ce lien social en crise et à sauver le vivre-ensemble dans notre société. Et quelles que soient les réserves qu’on peut exprimer au sujet de la stratégie suivie par le président Macron et le gouvernement français en vue de faire face à ce qu’ils ont appelé le « séparatisme » dans la société française, à travers notamment la lutte contre toutes les formes de radicalisme, personne ne peut nier l’ampleur de la tâche et les efforts qui doivent être faits de part et d’autre en vue d’arriver à un consensus qui permette enfin aux valeurs universelles de la république de s’implémenter au sein du vécu de toutes les composantes de la société, surtout chez celles qui continuent de vivre avec un sentiment d’exclusion et de stigmatisation qui décrédibilise les discours officiels en faveur de l’intégration citoyenne.
Cependant, il convient de s’interroger aujourd’hui sur la pertinence de la politique française au regard de ce qui est demandé pour relever les nombreux défis sociaux, politiques et culturels, de l’intégration républicaine qui est censée être l’horizon de la politique menée dans le cadre de la « lutte contre le séparatisme ». En soutenant aussi ouvertement l’agresseur israélien et en décidant d’interdire les manifestations de solidarité avec le peuple palestinien sur le territoire français, le gouvernement n’est-il pas en train de faire exactement le contraire de ce qu’il prétend quand il laisse entendre que son projet contre le séparatisme vise justement à sauver la cohésion sociale et la paix civile ?
Ce qui peut paraître en apparence comme une provocation gratuite et inutile, dans la mesure où le président français aurait pu dans le pire des cas soutenir la même position pro-israélienne tout en feignant de s’apitoyer sur le sort des victimes civiles palestiniennes, devrait faire réfléchir sur les ressorts profonds qui déterminent une conduite aussi scélérate et aussi méprisante à l’encontre d’un peuple qui lutte tout simplement pour son droit inaliénable à la vie et à la liberté.
Mais la faute morale devient carrément une erreur politique incalculable quand pareille désinvolture diplomatique risque d’être vécue comme un mépris supplémentaire par une composante de la société que nul discours républicain ne saurait dissoudre par enchantement dans une totalité qui a du mal à exister effectivement comme l’illustre a-contrario le comportement d’une classe politique qui a choisi de défendre des intérêts étrangers, par ailleurs illégitimes sur le plan du droit international, au détriment des intérêts stratégiques de la France, de son prestige diplomatique dans une région d’avenir et de sa propre cohésion nationale.
Bien entendu, même dans la profondeur de la nuit, il convient de repérer les petites lueurs du jour à venir. Les prises de position infâmes de la plupart des représentants de la classe politique et médiatique française ne doivent pas nous faire oublier les rares volontés qui nagent à contre-courant. Il convient de saluer aujourd’hui ces voix qui demandent à être soutenues tant elles constituent à long terme la seule lueur d’espoir permettant aux différentes composantes de la société française d’envisager sereinement la reconstruction collective d’un nouveau contrat social fondé sur la justice et le droit, loin des jeux d’influence néfastes des lobbies financiers et autres qui font malheureusement aujourd’hui la loi au risque de semer les graines de la guerre civile que leurs porte-parole officiels et officieux feignent de vouloir éviter à coup de déclarations aussi bellicistes les unes que les autres quand ils s’acharnent aussi lâchement sur les banlieues d’ici et de là-bas.
Mohamed Tahar Bensaada
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