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Des islamistes au service du roi ? (1/2)

Pour la première fois dans l’histoire du Maroc, des islamistes gouvernent. Leur arrivée au pouvoir s’inscrit dans un contexte délicat pour le royaume, après la chute des dictatures en Tunisie, en Égypte et en Libye. Toutefois, le Parti de la justice et du développement (PJD) ne cherche pas la révolution. Bien au contraire. Défenseur de la monarchie, cette formation a besoin du roi et réciproquement.Au Maroc, le régime monarchique demeure un autoritarisme « réformé » ou revisité.

Arrivé en tête aux élections législatives du 25 novembre 2011 avec 27,08% des voix, le PJD s’est transformé au cours de ces dernières années en une formation politique monarchiste et incarne l’une des ressources légitimantes du Palais à cours de scénarios de substitution. Pour autant, le PJD s’est inséré, officiellement depuis le milieu des années 1990, dans les circuits de la politique légale et, à ce titre, le soutien à la monarchie entre dans le droit fil d’une normalisation institutionnelle.

Le Makhzen (l’institution monarchique avec son appareil politico-administratif et son système de gouvernement) cherche ainsi à conserver son monopole sur les pouvoirs spirituel et temporel (économique et politique) en utilisant des islamistes « légalistes » et « légitimistes », telle une digue destinée à empêcher que les fondements structurels du système ne vacillent en raison du discrédit général frappant de plus en plus les élites partisanes ; celles en l’occurrence appartenant aux « partis d’administration », cooptées et associées aux gouvernements successifs pour exercer un pouvoir essentiellement formel. Pour la monarchie, il s’agit de tenter de parer au retour de bâton d’une crise sans précédent de la représentation politique et les retombées possibles dans le pays, à court ou moyen terme, des révoltes sociales du monde arabe qui ont emporté les régimes de Zine el-Abidine ben Ali, de Hosni Moubarak et de Mouammar Khadafi.

En quête de légitimité

L’hypothèse que nous défendrons ici est la suivante : Mohammed VI a besoin du PJD et ce dernier a besoin du roi, en dépit de l’hostilité aux islamistes qui est parfois attribuée au souverain sans possibilité d’en vérifier la véracité. En tout état de cause, cette alliance objective permettrait au premier de relégitimer son règne, au nom de l’islam, et au second de devenir (ou du moins essayer) son interlocuteur privilégié au sein de la classe politique et d’un large spectre de la société, notamment auprès de ceux des segments sociaux tentés par la radicalité ou l’escalade à la contestation dans le cadre de mouvements tels que celui du 20 février, qui polarise aujourd’hui l’opposition à un régime de droit divin. Le roi demeure le commandeur des croyants, c’est-à-dire chef religieux et le gouvernant en tant que chef de l’État.

Pour cela, le PJD joue plusieurs partitions, comme celle de sa « fonction tribunitienne », en occupant tous les créneaux de la communication et en multipliant sa présence sur le terrain afin de recrédibiliser l’offre politique, fût-elle conservatrice, aux yeux des citoyens. Tout cela traduit manifestement un désintérêt ou un désarroi croissant pour « la chose publique » et constitue, à terme, une menace sourde pour la légitimité du régime.

Tant est si bien que, aujourd’hui encore, l’économie marocaine se situe toujours dans la symbolique des « deux corps du roi1 » où celui-ci, dans une espèce de corpus mysticum, est la tête d’un corps politique dont les individus seraient les membres. Le PJD essaie d’en assurer l’articulation générale tout en cherchant à se distinguer des autres partis par l’investissement de nouvelles sphères d’action susceptibles de le distinguer positivement dans le champ politique institué : lutte contre la corruption, campagnes pour plus de transparence dans la vie publique, exemplification des vertus islamiques, etc.

Le « printemps arabe » n’a pas épargné le Maroc, malgré le consensus quasi général, de la part des élites politiques, en tous les cas, sur une prétendue « spécificité marocaine » qu’il faudrait préserver. C’est pourquoi, si souvent, le discours que tient la monarchie sur elle-même est repris en chœur, à de rares exceptions près (Parti socialiste unifié, La Voie démocratique), par les partis politiques, au premier rang desquels le PJD, qui parle « d’exemple marocain » à conserver coûte que coûte et même à promouvoir dans le monde arabe.

Celui-ci avance ainsi, cette thèse à l’appui, les contre-exemples tunisien, égyptien et libyen, pays qui auraient vu un déchaînement de violences en tout genre à cause de la forme de leur régime. Le Maroc n’aurait pas été touché précisément grâce à son modèle d’État et de société façonné par les Alaouites depuis le XVIIe siècle, dont Mohammed VI, le descendant, assurerait fidèlement la continuité et la protection. Cette stratégie du « contre-modèle » est destinée à inquiéter les Marocains pour aussitôt les rassurer, en rappelant pour cela la spécificité du pays et la sacralité de ses institutions.

La naissance de la contestation 

Pourtant, de ce « printemps des peuples » est né le Mouvement du 20 février2, qui est le symptôme de dysfonctionnements dans les mécanismes d’allocation du pouvoir politique et économique, de même que la cristallisation d’inégalités sociales attribuées, par les manifestants, à un régime de prédation et d’opacité pratiquées en haut lieu (Palais et Makhzen) et répercutées à tous les étages par différents agents d’autorité. En d’autres termes, le Maroc souffrirait donc des mêmes maux que les pays voisins que sont la Tunisie et l’Algérie, notamment la désespérance d’une jeunesse inemployée ou sous-employée.

L’exception serait un leurre même si, effectivement, « la rue marocaine semble au premier regard relativement paisible en ces temps de révolutions voire de guerres civiles dans la région3 ». On le comprend en lisant les slogans du Mouvement : « Le Conseil des ministres… est une offrande royale ; la désignation du gouvernement… est une offrande royale ; le bien-être et la vie… sont une offrande royale ; l’inauguration des hôpitaux… est une offrande royale. Et les enfants du peuple vous les avez affamés. Vos enfants vous les avez employés. Et les enfants du peuple vous les avez poussés à l’immigration. Pourquoi sommes-nous ici et pourquoi nous protestons ? Parce que le coût de la vie nous est trop cher. Pourquoi sommes-nous ici et pourquoi nous protestons ? Parce que la facture de l’eau et de l’électricité est trop chère. Pourquoi sommes-nous ici et pourquoi nous protestons ? Parce que nous voulons le changement4 ».

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Un verrou a bel et bien sauté et une brèche s’est ouverte après les événements en Tunisie et en Égypte, ouvrant une période de « fluidité politique5 » à l’échelle de l’espace arabe. La descente dans la rue des groupes sociaux qui forment l’ossature du Mouvement du 20 février en est une parfaite illustration. Regroupant des individus et des groupes hétéroclites (islamistes, gauchistes, syndicalistes, non affiliés, etc.), aux filiations idéologiques nombreuses « autour d’un noyau dur familier des espaces protestataires ou de jeunes militants multipositionnés6 », il est le fer de lance des mobilisations multisectorielles.

À cet égard, Internet, dans le cadre des dynamiques protestataires, au même titre qu’en Tunisie et ailleurs, a moins été une cause déterminante qu’un coefficient multiplicateur et un véritable catalyseur de revendications nouvelles (dignité, liberté, justice, abolition des rouages d’une oligarchie politico-économique etc.), leur assurant une publicité autant inégalée qu’inédite.

Répondant sans le dire explicitement à cette situation susceptible d’évoluer à la défaveur du régime, compte tenu des précédents tunisien et égyptien dont les chefs d’États furent balayés à tour de rôle, le roi a prononcé le 9 mars 2011 un discours au cours duquel il a fait part d’une série de réformes, dont celle de la Constitution de 1996.

Cependant, l’analyse détaillée des mots du monarque révèle un homme qui, pour rester maître du jeu et ne pas donner des signes de déstabilisation vis-à-vis d’un contexte changeant, excipe d’une particularité du Maroc. Autrement dit, la « révision constitutionnelle » parachèverait la concrétisation « de progrès réalisés en matière de démocratie » ; soit donc bien avant « le temps révolutionnaire ». Comme si, au fond, le régime monarchique n’avait pas attendu « le printemps arabe » pour songer à se réformer puisque ce souci s’inscrirait dans une continuité datant même « de l’accession au trône » de Mohammed VI en 1999.

Notes

1 Ernst Kantorowicz, Les deux corps du roi, Gallimard, 1989

2 Abdellah Tourabi et Lamia Zaki, « Maroc : une révolution royale ? » dans Printemps arabes : comprendre les révolutions en marche, Mouvements, n°66, 2011, p. 98-103.

3 Abdellah Tourabi et Lamia Zaki, « Maroc : une révolution royale ? » dans Printemps arabes : comprendre les révolutions en marche, Mouvements, n°66, 2011, p. 98-103, p. 98.

4 Les slogans du Mouvement du 20 février sont disponibles en arabe et en français sur internet : www.larbi.org/post/2011/07/Les-slogans-20février

5 Michel Dobry, « Logiques de la fluidité politique », in François Chazel (dir.), Action collective et mouvements sociaux, Presses universitaires de France, 1993.

6 Abdellah Tourabi et Lamia Zaki, « Maroc : une révolution royale ? » dans Printemps arabes : comprendre les révolutions en marche, Mouvements, n°66, 2011, p. 98-103, p. 99.

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