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De la « Constitution »…

Les débats qui traversent l’Europe sur la question de « La Constitution européenne » sont éminemment révélateurs de la façon dont se pense et se réalise, à différents niveaux et dans différentes sphères, le projet de l’ « Union européenne ». Au cœur de ces débats, il est intéressant d’essayer d’établir un état des lieux en tentant d’en tirer des enseignements pour l’avenir.

De quelques préalables bienvenus :

A l’écoute et à la lecture des interventions des uns et des autres, partisans passionnés du « oui » ou du « non », on se sent emporté, noyé et finalement assommé par les torrents de confusions qui caractérisent les débats. Le mélange des genres et des problématiques semble être devenu l’attitude intellectuelle commune aux partisans excessifs des deux bords ; les mêmes arguments sont convoqués tantôt pour dire « oui », tantôt pour dire « non » ; le même texte représente, ici, « le mal » des dérives politiques futures et, là, « la vertu » des traditions politiques anciennes…

Pour soi, à l’heure du choix, quelques préalables paraissent bienvenus :

  • Se prononcer pour un « oui » ou pour un « non », ce n’est pas dire « oui » ou « non » à l’Europe et au projet d’une « Union ». A ceux qui dans les deux camps veulent travestir les termes du débat (ici, pour dire qu’une opposition à la Constitution « tuerait » l’Europe ; là, pour capitaliser le scepticisme en l’orientant vers une préférence nationale obtuse et dangereuse), il faut répéter que c’est « la nature et l’idée de l’Europe » qui sont en jeu et non pas son existence. L’ Union Européenne est une grande idée, créatrice et impérative, et le débat du jour porte sur le contenu et la substance de cette idée et non sur la légitimité de l’idée elle-même. On ajoutera, dans le prolongement de ce premier préalable, que la question de l’adhésion de la Turquie « n’est pas la question » et n’a rien à voir avec le débat sur la Constitution.

  • Il faut appeler les choses par leur nom. Qui s’est déjà penché sur les documents et les articles de ce qui est communément appelé « Une Constitution » ne peut pas ne pas constater que le texte en débat n’est pas « Une Constitution ». Sauf à se laisser emporter par des aspirations surréalistes en affirmant avec Magritte, dans un élan d’esthétisme politique, « Ceci est une Constitution », il n’est pas possible de ne pas reconnaître la dimension idéologique du texte débattu. La philosophie générale du texte, le cadre légal global, les sphères et les orientations exécutoires, la configuration des priorités dressent le portrait d’une « Union » fondée sur des impératifs de compétitivité et de protection. Nous sommes en présence du texte « constitutif » de l’Europe de la primauté de l’économique et du sécuritaire (dans son caractère évidemment multidimensionnel). En ce sens, les partisans du « oui » ont raison de rappeler que ceux qui critiquent certaines orientations ou certains points précis du texte en les présentant comme « nouveaux » ne font que s’en prendre à des pratiques anciennes et déjà à l’œuvre à l’intérieur de l’Union : cela fait bien longtemps en effet que les appareils et les traités de l’Union Européenne qui se construisent et s’établissent sous nos yeux ne sont pas au service de l’Europe sociale…

  • Au demeurant, les dynamiques politiques et médiatiques qui entourent les référendums sont extrêmement révélateurs de la nature des problèmes fondamentaux auxquels nous faisons face. L’Europe des Etats et des intérêts tente de convaincre les citoyens des différents pays qu’ils participent à la « constitution » de l’Europe des peuples. Pour ce faire, on leur demande de voter pour un texte qu’ils n’ont pas lu et d’adhérer à un concept vide et sans contenu palpable pour eux. L’écart entre l’accès au texte et la conscience critique de chaque citoyen est proportionnelle à la distance qui sépare les réflexions et décisions politiques et économiques des élus de Bruxelles des préoccupations légitimes du quotidien des citoyens que l’on a fini par cantonner à la périphérie de cette « Europe ». Au littéral comme au figuré.

  • Sous la pression de grands medias plutôt favorables, les citoyens commencent à exprimer quelques doutes : après leur avoir vendu l’idée d’une « Union Européenne » du mieux-être des peuples qui, somme toute, n’ont jamais eu l’heur de le ressentir ni de le vivre ; voilà qu’on leur propose un concept et un texte écrit pour leur bien et qu’ils n’auraient au fond pas vraiment besoin de connaître ni de lire… puisqu’il s’agit de cette même ancienne bonne idée de « l’Europe des peuples ». A moins d’être dénué de mémoire, le doute est légitime… et un minimum de résistance.

  • Alors ?

    Quelle Europe voulons-nous ? Une Europe qui, à son sommet, est aujourd’hui obnubilée par l’impératif de la résistance aux dangers étasuniens et chinois ou une Europe consciente qu’elle pourrait être une alternative aux politiques dominantes et aux rapports de force qui s’instaurent au cœur d’une globalisation déshumanisée et déshumanisante.

    Nous avons besoin d’une Europe forte, cela va s’en dire… mais forte de quoi ? Forte d’un idéal de compétitivité économique acquis au gré d’une démission et d’une déperdition systématique et planifiée des acquis sociaux et des services publics ? Forte de la perte de son âme et des richesses de sa diversité ? Ou alors serait-elle à même d’être forte de sa capacité à penser le citoyen d’abord, la protection d’une école publique protégée des diktats de l’économisme, d’acquis sociaux et publics considérés comme non négociables ? Forte de cette union qui ne verse bien sûr pas dans l’angélisme et se donne les moyens de défendre ses enfants, ses femmes, ses ouvriers et ses paysans en se plaçant également, volontairement, et avec détermination, en rupture avec l’unilatéralisme étasunien ?

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    Il faut se donner les moyens de cette Europe loin des sommets, des lenteurs et parfois des surexcitations bureaucratiques de Bruxelles. Il faut réconcilier les peuples à cette idée et faire en sorte que l’Union Européenne renoue avec la tradition et l’agir politique. L’Europe a besoin de se réconcilier avec « le politique » et réapprendre le sens et le contenu des notions de « citoyens », de « droits » et de « débats démocratiques ». Loin des « référendums précipités » qui nous affirment que « L’Europe est à ce prix ! », il faut avoir le courage de répondre que ce soi-disant prix ne pourra justifier que nous vendions nos droits, nos valeurs et nos espoirs pour satisfaire des technocrates, des économistes et des multinationales.

    La conscience critique nous impose, au moins, que nous arrêtions cette spirale et cet emballement enivrés vers une Europe économico-sécuritaire. Que l’on s’arrête, au moins, pour faire le bilan des acquis et des régressions et que l’on mobilise les populations pour qu’elles s’expriment, au moins, en connaissance de cause. Au moins… parce que ce texte, cette Constitution qui n’est pas une Constitution, est dangereux… et voter « oui » en ignorant son contenu et ses objectifs c’est faire doublement la preuve que l’on devient le pire des spécimens : un(e) citoyen(ne) qui n’a plus de conscience de soi… un sujet devenu moyen… l’objet auto-aliéné d’une politique qui finit, dans les faits, par se moquer des Hommes et de l’humanité.

    Alors ? Alors, il ne faut pas se tromper…

  • Il ne faut pas se tromper : dire « non » à cette Constitution, c’est dire « oui » à une autre Europe et c’est au nom de cette dernière qu’il faut enrayer la politique de déresponsabilisation et d’aliénation imposée aux citoyens du continent.

  • Il ne faut pas se tromper : dire « non » c’est dire non à une « Constitution » qui, au fond, légitime et cautionne en aval les politiques économiques agressives et autorégulées par les seuls critères du rendement et de la productivité jusque dans la sphère scolaire. « Ce n’est pas nouveau », nous dit-on… et c’est justement cette logique trop-anciennement-bien-établie qu’il ne faut plus et pas accepter.

  • Il ne faut pas se tromper  : dire « non » aujourd’hui c’est mettre un temps d’arrêt à un dispositif et à une logique pour en questionner les fondements et négocier collectivement et démocratiquement les choix de l’avenir.

  • Il ne faut pas se tromper d’alliés ni d’ennemis… au demeurant, ce sera le plus difficile mais également la plus impérative des conditions. Dire « non » ce ne peut vouloir dire s’associer aux discours des nationalistes étroits, des souverainistes suffisants ou des xénophobes pour qui l’Europe, et donc sa « Constitution », serait la légitimation de l’infiltration étrangère. Il faut marquer le « non » d’une couleur, d’une qualité et d’une exigence car enfin la résistance à une certaine Europe ne peut pas vouloir signifier l’alliance avec les promoteurs des politiques les plus fermées et les plus racistes qui ne songent qu’à protéger leurs intérêts et « l’homogénéité culturelle » de leur patrie contre toute « infiltration » ou agression de l’autre, fusse-t-il européen, européen de l’Est ou étranger « de loin ». De fait, malgré des désaccords profonds sur l’opportunité de voter « non » ou « oui » aujourd’hui à la Constitution, il faut garder à l’esprit que les alliances pour construire une meilleure Europe transcenderont demain les clivages actuels et que parmi les « ennemis » d’aujourd’hui, se trouvent certains des alliés de l’avenir. Il est impératif que les points de tensions qui apparaissent aujourd’hui dans les débats sur le « oui » ou le « non » ne nous trompent sur les espaces de convergences et les lignes de fractures entre les diverses idéologies politiques et les dynamiques de partis à l’échelle nationale ou continentales.

  • Malgré l’engagement des politiques au plus haut niveau et la pression médiatique pour dire le choix naturellement juste et positif du « oui », la majorité de la population française est sceptique et tend davantage vers le « non ». Le scepticisme est profond et il est bienvenu puisqu’il questionne, de l’intérieur, les modalités sur lesquelles l’Europe est en train, pierre après pierre, de construire son édifice. Le résultat du référendum français aura un impact déterminant sur les autres pays européens : L’enjeu est d’importance et il appartient de s’engager dans le débat avec détermination et conscience critique. Cette double attitude est déjà le signe que l’Europe ne pourra pas se faire dans des bureaux ou devant des caméras mais qu’il faudra compter avec des femmes et des hommes décidés à ne pas solder leur dignité, leurs droits et les acquis sociaux dans les méandres d’une campagne médiatico-politique qui veut imposer l’idée de la qualité forcément positive d’un concept et d’un texte, « La Constitution », qui n’a ni contenu ni efficience dans la conscience et le quotidien de chaque citoyen.

    L’ « impératif démocratique » c’est au moins de douter des intentions de qui vous consulte après vous avoir longtemps négligé ou oublié. Dire « non » exprime alors l’attitude responsable de celles et de ceux qui veulent étudier, comprendre et réformer « en connaissance de cause »… conscients que l’Europe dont on parle est démocratiquement la leur.

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