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Compte rendu d’une conférence sur l’islamophobie à Sciences-Po

Vendredi 5 décembre dernier s’est tenue une conférence sur l’islamophobie organisée par L’EMF (Etudiants musulmans de France) à l’IEP de Paris, avec Vincent Geisser pour . La première partie des propos qui suivent est consacrée à l’exposé de Monsieur Geisser, dans un deuxième temps, nous retranscrivons l’analyse de la doctorante Nadia Marzouki (fille de l’opposant tunisien Moncef Marzouki) qui prépare une thèse sur le sujet.

Un historique de l’islamophobie et de ses nouvelles tendances.

Il a expliqué que la notion d’islamophobie fait l’objet d’une controverse dans les médias. On a pu lire des choses invraisemblables comme le fait qu’il s’agirait d’une invention, un terme construit par les Mollahs iraniens et récupéré par certains chercheurs français en vue de légitimer la (ré)islamisation de la France !
Mr Vincent Geisser s’est défendu de faire la promotion d’une certaine “martyrologie” musulmane. Il ne s’agit pas selon lui de prétendre que la France et l’Europe seraient fondamentalement anti-Musulmans, qu’il y aurait une sorte de perpétuation du mythe des croisades. Il ne s’agit donc aucunement d’un conflit civilisationnel opposant l’Orient arabo-musulman et l’Occident, gardons nous de toute posture victimaire, nous rappelle t-il !

Cela étant posé, on ne peut nier que nous traversons une période de tension, de haine, de passage à l’acte directement dirigés contre l’islam et les Musulmans. Si l’on peut donc discuter la pertinence du mot islamophobie, il est vain de nier l’obsession, la passion qui se créent autour du fait musulman.
Pourquoi donc parler d’islamophobie et non de racisme ? D’abord, on remarque une confluence d’acteurs sociaux dirigés contre le fait musulman. Par ailleurs, on observe des formes concrètes de racisme spécifiquement islamophobe. Ainsi, l’islamophobie n’a pas remplacé le racisme classique mais le phénomène islamophobe emprunte à des registres différents, autonomes mais enchevêtrés (ce qui fait explique t-il, qu’il est malaisé de distinguer ces différents phénomènes). Vis-à-vis du fait musulman, l’imaginaire collectif est empreint de conflictualité, de fascination et de peur à la fois. L’opposition à l’islam a d’abord consisté en une forme d’anti-mahométisme. On considérait que l’islam n’était pas une religion comme les autres, mais une secte fondée par Mahomet, vu comme un fou, un illuminé. C’était la position islamophobe d’un Renan. Déjà, l’islamophobie consistait à attacher Mahomet à une religion mais jamais à une spiritualité. L’islamophobie d’antan était dominée par le complexe théologique chrétien.

Désormais, le discours islamophobe emprunte au registre républicain, il s’agit d’un discours sécularisé. La période charnière fut l’époque coloniale. Le christianisme fut le principal canal idéologique au discours islamophobe. A présent, le républicanisme prend le pas. On ne dit pas que l’islam est porteur d’hostilité, mais qu’il renferme intrinsèquement une forme d’ambivalence. L’idée générale veut que les Musulmans sont des “indigènes décadents”, mais non “irrécupérables” ; pour leur faire intégrer cet humanisme universel il faudra cependant que les Musulmans s’imprègnent des valeurs républicaines : c’est le rapport “généreux”, civilisateur vis à vis de l’islam. Dans cette mesure, l’islam reste l’obstacle fondamental à l’accession des Musulmans à l’universalité. On considère toutefois qu’il est un islam “diluable”, “gentil”, “light”, c’est celui du recteur “conciliant”, de l’islam “souriant”.Pour être accepté, on peut être musulman, mais ne pas trop le montrer (ici, Mr Geisser évoque avec humour quelques exemples de “gentils” musulmans, conciliants parce qu’ils ne rechignent pas à un “p’tit verre d’alcool”, preuve de “tolérance” et d’ouverture s’il en est !). Musulmans certes mais point trop n’en faut sous peine d’éveiller la suspicion !

Dans cette nouvelle forme de racisme anti-Musulmans, l’islamophobie tient du non dit.

Si les registres de son développement sont amalgamés aux autres formes de racisme, ils contiennent une part d’autonomie indéniable. Aujourd’hui, on s’attaque en effet plus volontiers à une mosquée, aux manifestations visibles de l’islam. Dans les années 70 et 80, ce furent les foyers d’immigrés par exemple, ou les associations défendant les droits des étrangers, bref des symboles de l’”immigritude” qui étaient touchés. Aujourd’hui, ce sont des symboles de la présence musulmane qui sont agressés, en particulier les lieux de culte. L’islamophobie évolue dans le prolongement du racisme néo-colonial classique. Ce sont bien les signes d’un islam français que l’on combat, c’est donc la francité de cet islam qui est refusée ; autrefois on stigmatisait la différence, à présent c’est la “ressemblance” qui paradoxalement fait peur, car l’islam fait désormais partie intégrante du paysage social français, et cela fait naître les pires craintes.

La figure la plus emblématique de cette stigmatisation médiatique est celle des ” jeunes de banlieues” : on prétend que la révolte qu’ils manifestent exprime un défaut d’intégration. Ceux là ont tous les défauts : ils sont violeurs, contestataires, hostiles à tout ordre ! On les voit comme peu évolués. Paradoxalement, il font moins peur pour cela ; car on considère qu’il est aisé de les mater par une politique sécuritaire exacerbée !

La plus grande peur se cristallise autour de la figure de l’”intégré intégriste”. Ce sont ces jeunes qui parlent (trop !) bien le français et avancent masqués ! Ces jeunes filles intelligentes qui portent le foulard, des “manipulées manipulatrices” ! Il s’agit donc d’une réalité musulmane franco-française, il n’est plus question d’indigènes, d’immigrés au fort accent mais de jeunes disposant d’un “bac plus 5”, qui parlent un français impeccable ; ceux là font autrement plus peur ! Ces Français de culture musulmane participent ainsi de l’imaginaire français de façon manichéenne : on considère que l’on est soit républicain soit musulman !

Il y a aussi une ambivalence qui se manifeste au sein des laïcs : il serait faux de croire que tous les laïcs seraient islamophobes, ce n’est pas le cas.

En revanche, il se manifeste une inquiétude, une série de questionnements : le foulard fait peur car on le voit comme le symbole de l’oppression féminine. On peut considérer que certains au moins sont sincères dans leur inquiétude. Mais les intellectuels ont indubitablement une part de responsabilité dans les dérives islamophobes constatées actuellement. Au lieu de poser le débat de façon sereine, ils recourent à des clichés et des amalgames qui appauvrissent le débat et qui sèment la peur. Ainsi, avec la théorie rebattue de la jeune musulmane voilée manipulée-manipulatrice qui (forcément !) pratique le double langage, on constate que plutôt que de revoir ou questionner leurs certitudes ils mettent en doute la bonne foi des jeunes filles ! Cela est autrement plus confortable d’un point de vue intellectuel. Il leur parait impossible qu’une musulmane voilée soit sincère quand elle se dit laïque et républicaine car cela dérange leurs théories préformatées !

P.A Taguieff est un exemple particulièrement éclairant de ces intellectuels à l’origine de graves dérives : il est pourtant l’un des meilleurs théoriciens du racisme. Mais lorsqu’il s’agit de dénoncer la judéophobie, il recourt aux plus incroyables manipulations et à une flagrante désinformation en accusant ni plus moins 3 millions de Musulmans d’être des intégristes en puissance ! Hors, les premières associations qui dénoncent les actes antisémites sont les organisations musulmanes : on attribue le phénomène antisémite aux porteurs d’une religion alors qu’ils sont les premiers -de Tariq Ramadan à l’UOIF et bien d’autres- à le dénoncer ! Ainsi, Mr Taguieff est particulièrement malhonnête car sa dénonciation procède d’une essentialisation et d’une généralisation. Ce discours de stigmatisation ne risque pas d’aider à la progression des valeurs républicaines et moins encore à la lutte contre l’antisémitisme !

Lorsque des responsables juifs évoquent la Nuit de Cristal pour qualifier des actes antisémites ils dérapent très gravement. Car c’est comparer un fait divers (certes condamnable) à un génocide et à l’extermination de millions de gens ! C’est banaliser un patrimoine de l’humanité en le ramenant à un fantasme : l’islamisation de la France !
Dans ce débat manichéen, on oppose l’islam modéré au fondamentalisme. Pour sa part, V. Geisser se refuse à faire l’apologie de l’islamisme et il considère que l’islam peut certes être critiqué. Cependant, il s’interroge sur le fait que des musulmans progressistes comme Ali Mérad ou Mohamed Arkoun soient absents du débat public.

Ainsi, certaines personnalités de culture musulmane (ici, Mr Geisser fait allusion à Messieurs Kaci, Boutih, Smahi ou Bencheikh) particulièrement médiatisées se servent de la diabolisation de l’islam comme d’un objet de promotion sociale et/ou politique. On est dans le registre de l’”indigénocratie” : il s’agit de ressusciter des élites qui serviront de caution religieuse et/ou ethnique au discours islamophobe !

On évoque des cas ultra minoritaires comme s’il s’agissait de généralités :

Comme le disait Youssef Maméri, il n’y a guère que quelques cas connus de femmes ayant refusé d’être examinées par un médecin masculin, hors on en fait un bruit considérable. En France, 50% des femmes indépendamment de leur origine religieuse ou ethnique préfèrent avoir affaire à un gynécologue féminin, mais on évoque cette question de pudeur comme si cela ne concernait que les musulmanes ! En France, nous déplorons aussi un très grand nombre de femmes battues (deux millions !) de toutes origines, Mr Geisser évoque le cas de son propre grand-père qui était gendarme et rapportait souvent des faits de violences domestiques commis par les gardes mobiles : la violence contre les femmes traverse tous les milieux et communautés !

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Depuis 5 ou 6 ans, le débat sur l’islam se communautarise : il fait revenir à une problématique universaliste et citoyenne, il nous faut lutter nous dit Vincent Geisser contre l’islamophobie comme toutes les formes d’intolérance en qualité de citoyens porteurs d’idéaux universalistes.

Intervention de Nadia Marzouki :

Le débat public sur l’objet islam est marqué par son ton polémique. Les intervenants parlent rarement en leur nom propre et aiment à se revendiquer une légitimité. Qu’ils se posent en défenseurs des valeurs de la République ou en représentants d’une communauté, ils ont toujours à cœur de revendiquer une légitimité, de préférence plus grande que celle de leurs contradicteurs ! La configuration polémique du débat sur l’islam est presque toujours de mise.

Parmi les acteurs en présence, des intellectuels médiatiques comme A. Finkielkraut ou A. Glücksman sont les héros du débat. Plutôt qu’une parole de recherche, ils imposent un propos normatif qui exclue toue nuance ou analyse.

Les médias ont certes une responsabilité dans la platitude du débat. Si le discours médiatique n’est pas univoque, il rassemble cependant des caractéristiques communes affligeantes. Ainsi, il fait la part belle aux lieux communs relatifs à l’islam : par exemple, l’idée fausse selon laquelle l’islam ne permettrait aucune différenciation entre le spirituel et le temporel est très répandue. Par ailleurs, le discours médiatique recourt abondamment aux noms arabes censés témoigner d’une bonne connaissance du fait islamique (djihad, ulémas etc). De même, quelques raccourcis sont d’usage fréquents : par exemple, on citera presque toujours l’UOIF en y ajoutant les mots : ” proche des Frères musulmans”, sans prendre la peine de définir l’un ou l’autre de ces termes.

Le discours des politiques vis-à-vis de l’islam a pour trait commun une posture volontariste (“il faut” ou “il ne faut pas”), une volonté forte s’exprime face à une situation d’”urgence”. Les hommes politiques se doivent tous de prendre position par rapport au fait musulman. On peut dire à cet égard que l’islam est une contrainte politique.

Les chercheurs sont peu amenés à s’exprimer sur le sujet. Certains journalistes développent l’idée selon laquelle la pratique des attentats suicide serait une prescription coranique. Hors, ainsi que l’expliquait le spécialiste Olivier Roy, ces actes ne sont apparus que dans les années 90. Peut-on imaginer que les activistes auraient attendu 1400 ans avant d’agir selon une norme qui serait coranique ? Les spécialistes expliquent que le néofondamentalisme est bien davantage en rupture avec la tradition musulmane !

Si les politologues sont peu écoutés, les historiens sont presque toujours absents du débat. Pour étudier l’objet islam, c’est en effet la science politique qui est invoquée, cela est révélateur d’une certain positionnement idéologique. En effet, la science politique travaille sur un temps court, elle engage un discours d’urgence, contrairement à l’historien qui inscrit des évènements dans leur prolongement historique. Il s’agit bien ici de répondre à un besoin politique.

Il y a enfin les acteurs musulmans qui sont partie prenante du débat, eux sont généralement maîtres des concepts débattus.

Le débat sur l’islam se caractérise par une vaste cacophonie et est le prétexte d’alliances étonnantes.

Ainsi, on se serait attendu à voir certaines personnalités chrétiennes défendre le port du foulard par solidarité religieuse. Au contraire, certains membres de l’élite catholique se muent en défenseurs acharnés de la laïcité !

Les positions traditionnelles opposant droite et gauche se voient aussi bousculées : ainsi, malgré d’apparentes divergences, la plupart des politiques de droite comme de gauche se rejoignent dans un discours axé sur la lutte nécessaire contre le “communautarisme”. Ils présentent une vision alarmiste de la nation en péril, un tel danger nécessitant la fondation d’une unité française. Nadia Marzouki cite deux articles révélateurs de cette convergence des opinions qui transcende les oppositions de partis ; le premier écrit par Alain Juppé s’intitule “Laïcité, liberté, égalité” (le Monde, 29 octobre 2003), le deuxième article est signé par Laurent Fabius et a pour titre “La laïcité en actes” (le Monde, 24 novembre 2003). Ces deux textes présentent de flagrantes similitudes : les mêmes expressions sont utilisées ; la laïcité est présentée comme une “garantie” d’ordre, une “protection” face à des groupes d’intérêts qui se camoufleraient derrière le port du foulard et dont la femme voilée serait le “porte-parole” pour l’un (ou “porte drapeau” pour l’autre) ; au foulard, il faudrait s’opposer par réflexe républicain, les deux prônant un volontarisme d’Etat. Jocelyne Césari décrivait le fait islamique comme une nécessité intellectuelle, on voit ici que l’islam est aussi une nécessité politique. Il est question de réunifier la communauté non musulmane face au danger absolu que serait l’islam. Ainsi que le disait justement le sociologue Farhad Khosrokhavar, ces politiques et intellectuels qui se revendiquent universalistes sont plutôt républicanistes et laïcistes car ils se font les promoteurs d’un communautarisme républicain exacerbé. Lorsqu’il évoque la discrimination positive, Laurent Fabius fustige ce modèle car il y voit la marque de l’idéologie libérale américaine. Ainsi donc, le débat à l’œuvre dépasse largement dans ses enjeux la question stricte du fait musulman. L’islam apparaît dès lors comme un leurre, un prétexte qui permet d’occulter d’autres débats de société : singulièrement les questions de l’intégration sociale et politique des communautés que l’on stigmatise.

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