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Chroniques Berlinoises

Il y a quelques années déjà, une nouvelle génération d’artistes -pas nécessairement en âge, mais surtout dans la manière d’appréhender la société dans laquelle ils vivent- est apparue sur la scène culturelle israélienne. Ces artistes se mesurent à l’histoire, aux fondements et à la réalité de leur pays à travers le documentaire, le film de fiction, les arts plastiques, la musique, et ce que nous montre cette nouvelle génération contraste fortement avec le discours véhiculé par un grand nombre « d’intellectuels » juifs vivant en Europe, qui cherchent à faire passer dans la société une vision monolithique d’Israël et lui portent un soutien inconditionnel. Bien sûr, cette rhétorique n’est pas représentative des Juifs européens, mais les autres voix, avec une autre vision et d’autres idées sur la question, n’arrivent pas à se faire entendre, puisque la « parole officielle » est dominante dans les médias et monopolisée par des autorités autoproclamées représentatives de l’ensemble des Juifs.

Pour ceux qui y verraient un paradoxe, il ne faut pas oublier que pour nombre de Juifs se considérant de la diaspora, l’attachement à Israël est basé sur une mythologie politique qui rend toute critique ou expression des conséquences résultant de la mise en pratique du projet sioniste difficile, voire impossible car cela reviendrait pour certains d’entre eux à une remise en cause, ou tout du moins à un questionnement de ces fondements mythologiques, et pour beaucoup d’autres à être accusés de le faire. Au cœur de la réalité sociétale et étatique, leurs pairs Juifs Israéliens n’hésitent pas à poser les questions, à s’engager dans une recherche personnelle pour affronter la réalité et se confronter aux mythes fondateurs. Avec beaucoup de souffrances, beaucoup de difficultés personnelles et familiales à surmonter et surtout une étonnante volonté à vouloir aller au bout des interrogations. Avec courage, ils cherchent à comprendre pourquoi et comment leurs parents et/ou grands-parents ont agi tel qu’ils l’ont fait, pourquoi la mémoire de ces années-là n’est pas entretenue pour les générations suivantes qui ne savent rien ou presque des fondements réels de l’Etat d’Israël, l’enseignement de l’Histoire semblant avoir sauté un chapitre, tout comme l’histoire de bon nombre d’individus ou de familles israéliennes.

« Regarde autour de toi et écoute ton cœur » (Udi Aloni)

Depuis quelques éditions, le cinéma israélien est représenté en force au Festival International du Film de Berlin. Cette année encore, des cinéastes confirmés tel qu’Amos Gitaï, aux côtés de réalisateurs moins connus comme Dalia Hager et Vidi Bilu présentent des films aux interrogations multiples sur la notion de terre, la relation entre le passé et le présent, le quotidien des Israéliens et des Palestiniens, et plus singulièrement de la jeunesse, les mythes fondateurs, etc. Parmi eux, un artiste atypique qui lutte avec acharnement pour l’émergence d’une nouvelle culture au Proche Orient, une culture dont le noyau serait la fusion entre la culture palestinienne, avec plus largement ses référents arabes, et la culture israélienne et ses référents issus des différentes communautés qui forment la société israélienne. Atypique également car Udi Aloni est le fils de Shulamit Aloni, pionnière du mouvement pour la paix en Israël dans les années 70 et qui, au contraire de sa mère qui revendique son sionisme et patriotisme tout en rejetant avec force l’Etat d’apartheid où le racisme et la colonisation sont légaux, rêve d’un Etat bi-national. Artiste au parcours pluriforme, son premier film, Local Angel – Theological Political Fragments, classé dans la catégorie documentaire mais relevant plus du carnet de bord d’un parcours personnel vers la compréhension de ce qu’il s’est passé sur cette terre et de la position de sa mère, avait déjà déchainé quelques passions et provoqué la controverse lors de sa présentation en 2003 à la Berlinale.

Mechilot

Cette année, Udi Aloni revient avec un film de fiction – Mechilot (Pardon) – dans lequel on retrouve quelques éléments de son approche artistique vus dans son précédent film, à savoir une construction théâtrale alliée à une composition esthétique mêlant musique, danse, poésie et où l’on retrouve le groupe de rappeurs palestiniens DAM qu’il promeut intensément.

Synopsis

Thriller psycho-politique, ce film raconte le parcours initiatique d’un jeune juif Américain qui est pris entre deux pays, son père, un fantôme (l’extraordinaire jeune Palestinienne de 11 ans, Tamara Mansour) et dont le destin semble être déterminé par un passé qui rattrape son propre présent. Il rejoint l’armée israélienne et se retrouve, après un choc, dans une institution psychiatrique construite sur les ruines du village de Deir Yassin, détruit en 1948 et dont tous les villageois ont été massacrés. Les premiers patients de cet hôpital ont été des survivants de l’Holocauste. Pour le faire sortir de son traumatisme, on lui injecte une nouvelle drogue de synthèse, le PT-25…une drogue anti-mémoire alors que Muselmann (nom donné dans les camps de concentration allemands aux plus faibles), un aveugle survivant d’Auschwitz qui parle avec les fantômes veut, au contraire, qu’il écoute les voix et se souvienne. David dispose donc de deux voies qui s’ouvrent à lui pour sortir de cette inconscience : l’une amène à l’auto-destruction, l’autre à la libération.

Rencontre

Les Palestiniens et les Israéliens ont-ils vu le film et si oui, quelle a été leur réaction, a-t-elle été différente selon la nationalité ?

Nous l’avons montré à des focus groupes des deux côtés -même si pour moi, c’est un même et seul côté- et, en ce qui concerne la réaction, il n’y a pas eu et il n’y aura pas de différences selon les peuples : pour moi, la seule différence de réaction ne peut résider qu’entre individus qui ont un cœur et ceux qui n’en ont pas.

Pourquoi ce côté « opéra » dans la composition du film ?

Dans ma vie, j’ai un projet global : je veux essayer de comprendre et faire comprendre la situation politique que l’on vit en ce moment à travers tous les moyens artistiques que je pratique, par mes livres, mes films, l’art vidéo, mes installations. Nous vivons une époque où les films de fiction se doivent de représenter la réalité à la manière du documentaire en pensant que si on la montre aux gens, ils vont changer les choses. Le documentaire est le documentaire, mais le film de fiction peut toujours dépasser la seule réalité. Moi, je veux parler de la politique, de la réalité à un autre niveau, un niveau supérieur, à travers la beauté. J’ai tant d’amour pour ces deux peuples que je veux aussi que les gens réfléchissent à leurs problèmes. Je veux leur parler au niveau du cœur, mettre les choses à un degré qui se situe entre conscience et inconscience, l’inconscient politique. L’inconscient, le rêve, la symbolique sont un langage qui doit être utilisé. De manière générale, pour parler de ces thématiques, on oublie leur côté spirituel. Tout ceci entre donc dans l’esthétique du film.

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C’est pour cela que vous êtes « traité » d’artiste intellectuel ?

Vous savez, même certains de mes amis de gauche ne comprennent pas mon approche et la rejette. De manière générale, les gens posent la question de ce qui est réel et ce qui ne l’est pas dans ce film. Je ne peux pas répondre à cette question. Si on te dit par exemple que dans cet endroit des soldats sont venus et ont massacré tous les villageois, tu croirais que ceci ne peut être qu’irréel. Pourtant ça, c’est la réalité. Je pense que les gens qui ne sont pas prêts dans leur cœur à recevoir la vérité restent aveugles face aux faits. C’est pourquoi, quand j’ai su qu’un hôpital psychiatrique pour les survivants de l’Holocauste avait été construit sur les ruines de Deir Yassin, j’ai pensé que la fiction avait un potentiel plus grand pour atteindre une zone traumatique plus profonde de l’inconscient qu’une histoire vraie. En tout premier lieu, nous devons changer nos cœurs, et après nous pouvons voir la vérité. Et c’est après l’avoir vue qu’il est possible de trouver le courage pour changer la réalité.

Et les gens sont-ils prêts à changer leur cœur ?

Regarde par exemple le film qui est également présenté ici à la Berlinale, « Close to home » : il est vraiment bien. Je ne dis pas cela parce que l’on se soutiendrait mutuellement. Il est plus classique, il a une autre approche, mais il montre bien à quel point les gens sont fatigués de tout ceci.

La scène dans laquelle les deux soldates ont ordre de contrôler les Arabes du bus et que l’une d’elle s’y refuse implicitement en disant à sa supérieure : « je ne sais pas à quoi ressemble un Arabe ? »

Exactement. Il n’y a pas de différence entre un Arabe et un Juif. Il y une nouvelle génération de réalisateurs israéliens qui montre cela, qui traite de l’aliénation de ce pays : d’un côté, c’est un pays magnifique, de l’autre absolument tragique. Emotionnellement, je ressens le besoin de faire en sorte que les peuples se rejoignent dans la culture. La fusion de ces deux cultures ferait d’elle la plus belle culture du monde, j’en suis persuadé. Cette terre doit être heureuse d’avoir ces deux peuples, et les deux ont le droit d’être là et le droit de revenir et il y a plus de choses qui les rapprochent que de choses qui les séparent.

Mechilot -Pardon. Pourquoi ce titre ?

En hébreux, Mechilot a deux significations : pardons, au pluriel, et tunnels souterrains. Dans la tradition kabbalistique, les racines de la connaissance sont connectées à celles de la vie. Je veux essayer de ramener la possibilité du pardon divin vers le royaume du possible, dans l’espace du politique, de l’action…en résumé, sur terre.

Malik Berkati, Berlin

Mechilot (Forgiveness) de Udi Alon ; avec Itay Tiran, Clara Khoury, Moni Moshonov, Makram J. Khoury, Tamara Mansour ; 96. min ; 2005 ; USA/Israël

Karov la bayit (Close to Home) de Dalia Hager, Vidi Bilu ; avec Smadar Sayar, Naama Schendar, Irit Suki, Katia Zimbris ; 90 min. ; 2005 ; Israël

News from Home/News from House de Amos Gitai ; 96 min. ; 2006 ; Israël/France/Belgique

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