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Quand Bernard-Henri Lévy veut sauver les musulmans du « fascislamisme »

Mythosophie. Aujourd’hui, l’homme de réseau par excellence, Bernard-Henri Lévy, publie dans Le Point un vibrant plaidoyer en faveur « des musulmans stigmatisés » lors du rassemblement organisé samedi dernier par Riposte laïque tout en appelant à redoubler de vigilance contre la menace planétaire que constituerait le « fascislamisme ». Retour sur ce concept creux, propagé par l’Administration Bush et toujours relayé dans l’Hexagone par un va-t-en-guerre-imaginaire.

« Il faut le dire et le redire : présenter comme une ” riposte laïque ” la stigmatisation de l’islam comme tel est une ânerie doublée d’une insulte à un idéal de laïcité qui a toujours signifié, à la fois, la séparation du théologique et du politique et le droit égal, alors, une fois la séparation opérée, de pratiquer décemment leur culte pour toutes les religions » : c’est avec panache que Bernard-Henri Lévy s’en prend dans son dernier papier, paru ce jeudi, aux organisateurs d’un colloque anti-islam qui a réuni, samedi dernier à Paris, plus de mille participants. Le pourfendeur professionnel persiste et signe : « Il faut le dire et le redire : présenter comme un ” arc républicain “, ou comme une alliance entre ” républicains des deux rives “, ce nouveau rapprochement rouge-brun qui voit les crânes rasés du Bloc identitaire fricoter, sur le dos des musulmans de France, avec tel ancien du Monde diplo, Bernard Cassen, est un crachat au visage d’une République qui, à Monte Cassino, puis dans les combats pour la libération de Marseille, puis dans la poche de Colmar, en Alsace, face à la division Das Reich, n’a pas eu de plus vaillants défenseurs que les pères et grands-pères de ces hommes et femmes que l’on voudrait, aujourd’hui, clouer au pilori ». Une plume généreuse et ardente au service d’une posture antiraciste : Bernard-Henri Lévy semble conserver encore quelques réflexes typiquement de gauche. Et peu importe s’il confond au passage Bernard Cassen, l’ex-directeur du Monde diplomatique et figure éminente d’Attac, avec Pierre Cassen, porte-parole emblématique du groupuscule incriminé, dénommé Riposte laïque. La bévue, probablement révélatrice d’une méconnaissance du sujet, est d’autant moins élégante que le philosophe partage avec cet « ancien du Monde diplo » un point commun, malgré leurs différences idéologiques : la même hostilité déclarée envers Tariq Ramadan.

Lyrique, Bernard-Henri Lévy continue ensuite d’exprimer sa fougue bienveillante et rappelle ainsi les fondamentaux : « Primo, l’immense majorité de ces musulmans sont des Français qui n’ont plus avec l’islam qu’une relation d’appartenance culturelle vague ou familiale ; mais, secundo, quand bien même cela ne serait pas, quand bien même ils seraient tous de pieux observants, attachés à leurs rites et aux mosquées où ceux-ci se pratiquent, il faut être un sombre crétin pour ignorer que cette pratique a, comme les autres, sa dignité – on peut être juif, chrétien, voltairien, athée, on peut n’avoir, avec le Coran, aucune affinité particulière, et être pourtant sensible à la grandeur, la douceur et l’honneur de l’islam quand il a ses sources, aussi, chez Averroès, Al-Kindi, Al-Farabi, Al-Ghazzali ou dans ” Les clés du mystère ” de Fakhr ad-Din ar-Razi ».

L’écrivain aurait alors décidé de suspendre son phrasé impétueux qu’il n’aurait pas démérité les applaudissements nourris de Sos Racisme, du MRAP et du CFCM, pour une fois réunis, à la lecture émerveillée d’une telle tribune.

Ben Laden ou l’imam de Drancy, il faut choisir

Hélas : le défenseur inattendu de « l’islam stigmatisé » en profite aussitôt pour revendre, dans la suite de son texte, son fétichisme fumeux, dénommé « fascislamisme ». Extrait : « Il y a, aujourd’hui, au sein de l’islam, une bataille politique entre cet héritage de douceur et celui qui nourrit les prêcheurs de djihad, […] une guerre sans merci entre, d’un côté, les partisans de l’aggiornamento d’une foi qui, comme les autres monothéismes avant elle, se déciderait à se mettre à l’heure du respect des droits du sujet et, de l’autre, les artisans de ce que je suis, sauf erreur, le premier à avoir appelé fascislamisme ». Erreur, en effet, du botuliste en chef  : ce terme remonte à 1990, sous la plume de l’historien Malise Rutheven qui décrivait ainsi, pour le quotidien britannique The Independent, « l’autoritarisme gouvernemental » de la plupart des régimes musulmans. Onze ans plus tard, à la faveur des attentats de New-York, le néologisme sera réemployé par le journaliste Stephen Schwarz avant d’être popularisé par un confrère de gauche, Christopher Hitchens. Le succès du concept se confirmera finalement par son usage politique, notamment dans les discours de George Bush et de son secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. Outre-Atlantique, le débat autour de la validité sémantique du terme a été particulièrement virulent, divisant les commentateurs et suscitant des agitations au sein du monde universitaire. Le Républicain et néoconservateur David Horowitz, ancien militant de gauche et organisateur en 2007 d’une curieuse « semaine pour prendre conscience de l’islamofascisme », avait ainsi été interrompu lors d’une conférence par des étudiants antiracistes.

Durant l’été 2006, et à l’occasion d’un reportage partisan en Israël, Bernard-Henri Lévy s’attaquait déjà au «  fascisme à visage islamiste, ce troisième fascisme, dont tout indique qu’il est à notre génération ce que furent l’autre fascisme, puis le totalitarisme communiste, à celle de nos aînés ». Pour autant, peu probable qu’il reprenne alors son compte le terme également polémique, mais moins médiatisé, de « judéonazi », formulé par le philosophe Yeshayouha Leibowitz pour décrire la brutalité des soldats israéliens. Une guerre inégale avec le Liban faisait pourtant rage alors. C’était quelques mois après avoir cosigné, avec Caroline Fourest, un manifeste, relayé par Charlie Hebdo et L’Express, contre le « nouveau totalitarisme »  reflété, selon eux, par l’affaire des caricatures. Il s’agissait alors de « faire face à une nouvelle menace globale de type totalitaire : l’islamisme ». Une obsession chronique, comme l’illustre son interview accordée à RMC en 2007 :

Un an auparavant, le chercheur Stefan Durand mettait en garde : « L’usage de l’expression « fascisme islamique » est surtout utile en raison de sa charge émotionnelle. Elle permet de semer la peur. Or c’est là que réside l’un des principaux dangers. En accréditant l’idée que l’Occident combat un nouveau fascisme et de nouveaux Hitler, on prépare l’opinion à accepter l’idée que la guerre peut et doit être « préventive ». La réponse à la « menace fasciste », massive, se trouve donc justifiée quelles qu’en soient les conséquences en termes de vies humaines. ». Dans son article publié par le Monde diplomatique et intitulé « Fascisme, islam et grossiers amalgames », il dénonçait le caractère frauduleux du procédé : « Unir sous une seule bannière, celle d’« islamo-fascistes », des dizaines de mouvements disparates, souvent en conflit les uns avec les autres, et ayant des objectifs très divers, permet d’enraciner le mythe d’un complot islamiste mondial, d’occulter les questions géopolitiques purement profanes, et donc de ne plus évoquer les causes qui ont entraîné la naissance de la plupart de ces mouvements. Notamment les occupations coloniales et les conflits territoriaux dont seule une juste résolution peut permettre d’assécher le terreau sur lequel prospère le terrorisme islamiste contemporain ».

Un avis partagé également par Cédric Housez, spécialisé dans la communication politique : « Présenter l’islamisme comme un nouveau totalitarisme comparable au nazisme et au communisme participe d’une dramatisation. En assimilant l’islamisme à un système politique comparable au nazisme ou au communisme, on peut inventer la menace et justifier ainsi des dépenses militaires considérables [ …] Par cet amalgame dans un mouvement « totalitaire » ou « fasciste » musulman, les experts médiatiques traitent de l’islamisme comme un tout. C’est ce qui leur a permis, au moment des cinquièmes commémorations des attentats du 11 septembre 2001, de parler en même temps des attentats imputés à Al Qaïda, de la violence « islamiste » en Irak, du Hezbollah « islamiste » et de la bombe nucléaire « islamiste » iranienne. En un mot du « complot » islamiste contre « la » civilisation. Enfin, assimiler l’islamisme à un totalitarisme a aussi un intérêt pour délégitimer le discours de ceux qui remettent en cause la vulgate de la « guerre au terrorisme ». Si l’islamisme est bien un totalitarisme, ceux qui refusent de le combattre ou de voir en lui le plus grand péril de notre temps sont nécessairement des complices du totalitarisme, donc des adversaires de la démocratie, voire des criminels en puissance ».

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BHL, père spirituel

A cet égard, la charge tonitruante de Bernard-Henri Lévy à l’encontre de Riposte laïque s’avère rétrospectivement cocasse. Son concept d’un « fascislamisme » a précisément inspiré ceux qu’il accuse aujourd’hui de tous les maux. Les membres de ce groupuscule de plus en plus influent ont auparavant rédigé de nombreux articles, développant régulièrement, jusqu’à la réappropriation du mot, le fantasme d’un fascisme spécifique à la religion musulmane. Oumma publiera dans les prochains jours un long reportage, écrit et vidéo, consacré aux Assises contre l’islamisation qui se sont tenues récemment à Paris et à ses inspirateurs, pour certains méconnus du grand public, issus de milieux politiques et journalistiques. D’ores et déjà, l’auteur de ces lignes peut témoigner avoir entendu de nombreux participants, parmi les organisateurs comme au sein du public, s’inquiéter, avec les mêmes termes, du « système totalitaire », du « totalitarisme », de la « dictature », du « fascisme » propre, selon eux, à l’islam. Le cas de Jacques Philarchein est ainsi emblématique : ce professeur de philosophie, qui se déclare « républicain de gauche », s ‘est exprimé aux Assises pour présenter aux sympathisants ce qu’il qualifie de « dossier de l’islamofascisme ». Au vu du succès indéniable autour de ce rassemblement identitaire, la propagande fantasmagorique des neuf dernières années, à base de conspirateurs barbus en chemises brunes et bottes noires, a bel et bien porté ses fruits. Soldats au service de la lutte contre le « péril islamique », ces enfants illégitimes de BHL, sous la nouvelle bannière de l’identité nationale et de la laïcité conjuguées, ont l’avenir devant eux.

Bonus :

* la tribune de BHL publiée également aujourd’hui sur le site de sa propre revue, La règle du jeu, avec, en illustration, une photo d’Hassen Chalgoumi, imam de Drancy.

* la récente célébration mondaine des 20 ans de la revue au café de Flore, relatée par Pascal Boniface pour le Nouvel Observateur et Henri Maler du site Acrimed.

* le reproche adressé aujourd’hui par les avocats de la défense dans le procès du “gang des barbares” à BHL, ” qui, écrivant sans rien savoir, jeta de l’huile sur le feu 48 heures avant le verdict en présentant l’affaire dans son bloc-notes du Point sous un jour mensonger”.

* pour les anglophones : la réplique cinglante, publiée hier aux Etats-Unis, de la romancière d’origine palestinienne Susan Abulhawa, accusée par BHL de diaboliser Israël.

Ajout en date du vendredi 24 décembre : les Inrockuptibles ont également repéré l’erreur relative à Bernard Cassen qui a décidé d’attaquer en diffamation BHL

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