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Hassan Al-Tourabi, leader du Congrès Populaire Soudanais : « L’ONU doit intervenir au Darfour, mais sans les Américains, les Anglais et les Français »

Hassan Al-Tourabi, 75 ans, est devenu la bête noire du régime soudanais. Il avait pourtant appuyé le coup d’Etat militaire du lieutenant général Omar Hassan Ahmad Al-Bachir en 1989. Mais depuis, le dirigeant islamiste alterne les séjours en prison et en résidence surveillée. Il est actuellement en liberté et dirige le Congrès Populaire Soudanais, important parti d’opposition.

Longtemps présenté comme l’éminence grise du terrorisme international, pour avoir accueilli Oussama Ben Laden et Carlos au Soudan dans les années 90, Hassan Al-Tourabi tient aujourd’hui un discours très modéré. Il considère qu’une musulmane peut fort bien épouser un chrétien. Le Coran, assure-t-il, « n’interdit pas un tel mariage ». La femme étant l’égale de l’homme, « il n’y a pas de raison qu’elles ne puissent devenir imams ».

Grand, mince, tout de blanc vêtu, Hassan Al-Tourabi ne correspond absolument pas à l’image que l’on donne généralement de lui. N’a-t-il pas été longtemps présenté dans la presse occidentale comme « le pape noir du terrorisme » ? N’a-t-il pas fait appliquer la Charia au Soudan, pays pourtant peuplé de chrétiens et d’animistes ?

Très cultivé (il parle anglais, français et allemand et a passé une thèse à la Sorbonne en 1964), chaleureux, Hassan Al-Tourabi multiplie les bons mots et les anecdotes. Il nous a reçu pendant près de deux heures, en compagnie d’un journaliste soudanais, dans sa villa de Riyadh, près de l’aéroport. Un quartier bourgeois de Khartoum. Oussama Ben Laden, jusqu’en 1996, habitait à moins d’un kilomètre de chez lui.

Rencontreriez-vous souvent Oussama Ben Laden lors de son séjour au Soudan ?

Non. Il est venu me rendre visite une seule fois. Je reçois beaucoup de monde, des politiciens, des hommes d’affaires, des dignitaires religieux, des journalistes. Lorsqu’il vivait au Soudan, Oussama Ben Laden était un entrepreneur. Il construisait des routes. Il possédait des exploitations agricoles. Contrairement à ce qui a été écrit, Ben Laden n’était pas un personnage si important que cela au Soudan. Et je peux vous rassurer, Al-Qaïda n’est pas implantée dans notre pays.

Vous avez pendant longtemps été présenté comme l’éminence grise du régime du général Al-Bachir, occupant la présidence du Parlement soudanais. Que reprochez-vous au pouvoir actuel ?

D’être totalement corrompu, non démocratique. La population ne profite absolument pas de la manne pétrolière. Et, ce qui est plus grave, Khartoum continue de détenir tous les pouvoirs. Il n’y a pas un vrai fédéralisme, une vraie décentralisation.

C’est ce qui explique la situation au Darfour. C’est pourquoi il y a eu cette guerre sanglante avec le Sud. J’ai passé une partie de ma vie en prison. Et bien, à mon âge, je préfèrerai encore être jeté dans une cellule plutôt que négocier avec le pouvoir soudanais actuel. Au moins en prison, je pourrai écrire des livres…

Est-il exact qu’au Darfour vous soutenez le Mouvement Justice et Egalité, un groupe rebelle ?

C’est exact. Et je ne supporte pas que le Mouvement Justice et Egalité, je soutiens tous ceux qui se battent contre le pouvoir. Je connais très bien le Darfour. La plupart des observateurs oublient que cette région, grande comme la France, a été indépendante jusqu’au début du XXe siècle. Qu’a fait pour les Darfouriens le régime actuel ? Rien, ni routes, ni écoles, ni électricité. Toutefois, mon parti, le Congrès populaire, ne participe pas aux combats.

Etes-vous pour une intervention de l’ONU au Darfour ?

Oui, car il y a bien eu une forme de génocide au Darfour. Je ne dis pas que le pouvoir de Khartoum a voulu tuer tout le monde. Mais de fait, il y a eu des dizaines de milliers de morts. Les 20 000 soldats de l’ONU pourront aider au rétablissement de la paix, car actuellement, il est impossible de circuler librement dans cette région.

Toutefois, je ne souhaite pas la présence de militaires américains, britanniques et français. Elle serait perçue comme de l’impérialisme par les Soudanais. Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, la France s’est totalement alignée sur les Etats-Unis. En revanche, j’ai plus confiance dans le nouveau Premier ministre anglais, Gordon Brown, que dans son prédécesseur, Tony Blair, pour prendre du recul vis-à-vis des Américains.

Pensez-vous que les pays occidentaux vous accorderez aujourd’hui un visa ?

Les Américains et les Britanniques ? Sans doute pas. La France, peut-être. Savez-vous que je suis souvent invité par l’ambassade de France à Khartoum ?

Certains vous accusent d’apostasie. N’avez-vous pas dit que les musulmanes pouvaient épouser des chrétiens ou des juifs ?

A condition bien entendu que ces chrétiens ou ces juifs soient tolérants. Par ailleurs, rien ne s’oppose à ce qu’une femme puisse devenir imam s’il elle en a les qualités. Je ne suis pas sectaire. Je ne suis pas sunnite, je ne suis pas chiite, je suis musulman. Quand je repense à ce qui s’est passé en Afghanistan après le départ des Soviétiques, où les Afghans, tous musulmans, se sont battus entre eux, je me dis que les musulmans ont encore beaucoup de progrès à faire sur cette planète.

Parlant de Tariq Ramadan, auriez-vous dit qu’il était « l’avenir de l’islam » ?

Non, car personne est l’avenir de l’islam. Dans l’islam, nous n’avons pas d’évêque, d’archevêque, de cardinal, que je sache. J’ai rencontré la plupart des grandes personnalités du monde musulman. A aucun je n’ai donné ce qualificatif. Je connaissais surtout Saïd Ramadan, son père. Je l’ai souvent vu en France, pendant mes études, et en Suisse. A cette époque, son fils Tariq devait être un enfant.

Propos recueillis par Ian Hamel

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