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Triste avec de Gaulle

Je viens de finir le Tome I des entretiens sur son père que Philippe de Gaulle a bien voulu accorder à Michel Tauriac (De Gaulle, mon père, Editions Plon, 2003). Quel personnage, ce Charles de Gaulle ! Un type d’acteurs de l’Histoire qui n’apparaît, dans une nation, que tous les 100 à 200 ans. Prenant appui sur les circonstances tragiques qui touchèrent la France, il fut le façonneur d’un monde nouveau. Celui-ci gouverne encore de larges pans de nos existences actuelles, même si d’autres ont disparu sous les coups de boutoir de la mondialisation néo-libérale. 

Nul besoin cependant de revenir sur sa biographie. Elle fut retracée dans des milliers de livres, de films, de documentaires, autant d’occasions de nouer des polémiques infinies, ce qui démontre la prévalence de  l’Histoire dans le pays. A cet égard, je n’ai pas l’intention d’établir ici une fiche de lecture sur les entretiens du fils de Gaulle. Nombreux étant ceux qui ont dû accomplir ce travail, ajouter une pierre à cet édifice s’avérerait inutile.

Une tristesse identitaire 

L’évocation de Charles de Gaulle m’inspire plutôt une irréfragable tristesse, une amertume douloureuse. Elle intensifie mon ressentiment, me convainquant davantage d’être presque totalement étranger chez moi. Elle accentue la contradiction entre un de Gaulle aux racines profondes dans la terre qui l’a vu naître, racines qu’il fit fructifier pour se donner une certaine idée de la France éternelle, et celui que je suis. Car, en définitive, je n’aurai connu que le déracinement dans mon propre pays. Une bien grande difficulté identitaire, déjà exprimée chez nous, sous d’autres cieux, à de multiples reprises !

La force de Charles de Gaulle suscite en mon âme une torpeur larmoyante. J’ai beau me démener pour démontrer ma volonté de faire incontestablement partie d’une grande nation, cette route de l’intégration, dont je n’aime d’ailleurs pas le sens d’adjonction d’un élément extérieur qu’elle recouvre, sera à jamais semée d’embûches piégeuses. Les faiblesses inhérentes à mon état de fils d’immigrés, représentant selon nombre de nostalgiques de la France d’antan une menace existentielle, se transforment pour les défenseurs de la théorie du Grand remplacement en un tort que je ne saurai réparer. Que la France boive ma religion, l’islam, comme le buvard absorbe l’encre, c’est-à-dire en prenant conscience qu’il fait dorénavant partie de son esprit gallican, il y aura, toujours, sur le chemin de la multiculturalisation de son peuple, des Cassandre aux dents longues s’évertuant à l’expulser de son destin pluriséculaire. 

Une plume difficile

Comme pour le fondateur de la Ve République, ma plume se trouve interdite de se mettre en mouvement, tant qu’elle n’aura pas écarté les nombreux écueils qui se dresseront sur les lignes de son écriture tremblotante. Elle court d’idées en idées, cherchant sans relâche à imprimer le repos de celui qui la porte. A bout de souffle, elle n’arrive que durement à transcrire, en des mots intelligibles, l’apaisement qu’elle croit pouvoir retrouver une fois la tâche effectuée. Elle balbutie, elle annote, elle rature. Un infime obstacle sur sa route, par exemple celui de ne pas réussir à dénicher le terme exact d’un propos qu’elle sent tournoyer au-dedans de l’être, et elle en fait toute une montagne, comme on a improprement donné l’appellation de « Montagne » à la petite colline qui domine du haut de ses malheureux 300 mètres le village de Colombey les Deux Eglises. 

Dénuée de l’énergie que procure l’idée d’appartenir et de concourir à l’ordre social, ma plume ne peut éviter de se décourager, et, par conséquent, de procrastiner la mise en forme qu’elle s’était donné la peine de commencer. En cela, elle diffère de celle de Charles de Gaulle. La sienne bénéficiait de la haute conscience que l’ancien président avait de sa place dans le monde, de l’opinion sur lui-même qu’il ne constituait qu’une partie, certes éminente, mais modeste au regard de l’espace incarné par sa chair, d’un tout nommé la France. Dure vérité qu’il faut quand même admettre pour ne pas enrayer la poursuite du cheminement intellectuel, ma plume, en compagnie du corps qui la manie, ne provient nullement du pays de la langue dont elle s’enorgueillit pourtant d’être un praticien assumé. 

La France dans ses épreuves 

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Bien sûr, je suis loin d’avoir subi l’acuité des épreuves que le Chef de la France Libre dut endurer. Deux conflits mondiaux, des blessures de guerre, un emprisonnement dans les geôles de l’ennemi, une fille trisomique, une condamnation à mort et à la déchéance de sa nationalité, la rancune tenace des tenants de la IVe République pendant sa traversée du désert, des attentats visant sa personne et par ricochet celle de son épouse, le destin ne lui laissa guère de répit, comme à l’ensemble du peuple français de son époque d’ailleurs. Mes jours s’écoulent, en comparaison, dans une France qui n’a jamais connu une paix aussi longue. 

A ce titre, il est inexact de raconter que nous sommes en guerre civile, que l’occurrence répétée des attaques djihadistes en sont la marque, qu’il est certain que le pays court le risque de se réveiller un beau jour dans un Liban en grand. Si le danger de la division existe, il n’en demeure pas moins vrai que les faits énumérés à l’instant s’écartent de la signification qu’il est possible de tirer des attentats de l’OAS du début des années 1960. Ils ne sont pas contemporains d’une guerre qui les dépasse. En ce sens, ils sont l’exact contraire des événements qui se sont succédé pendant la Guerre d’Algérie, laquelle mettait aux prises au moins trois camps : l’Etat français, les tenants de l’Algérie française, dont l’OAS, ceux d’une Algérie algérienne. Vue sous cet angle, la Guerre d’Algérie fut, elle, une vraie guerre civile. 

La France est en paix, et, malgré cela, elle est contrariée par l’entrechoc de l’origine plurielle de ceux qui composent son peuple. Elle vit désormais le temps d’une querelle identitaire aux multiples facettes. Les siècles l’appellent, disaient de Gaulle. Dans lequel d’entre eux trouver la solution à nos inquiétudes ? Comment Clovis et Saint-Louis, Charles Martel et François Ier, ou encore Jeanne d’Arc et Napoléon, nous seraient d’un secours utile pour alléger les secousses de la tectonique des plaques communautaires qui assaillent notre peuple ? 

Pour donner corps à ces questions, je m’en vais me replonger, 20 ans plus tard, dans les Mémoires de guerre du plus illustre des Français du siècle dernier. Que vais-je y découvrir ? Sûrement la mélancolie de la désespérance de notre temps, qui fait suite à son inverse absolu, l’espérance, que Charles de Gaulle plaçait en ligne de mire dans la réalisation de ses projets grandioses pour le pays. Encore un fait qui nous sépare ?

En plus de l’amour de la France, une chose au moins nous réunit également : la poésie. Finissons donc ce texte par un triste et court poème :

Adel Taamalli

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