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Restriction des devises en Algérie : une mesure qui risque d’aggraver la crise économique

Dans une analyse percutante (voir ci-dessous), Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid, décrypte la récente décision du gouvernement algérien de plafonner l’exportation de devises à 7500 euros par an.

Cette mesure, officiellement destinée à endiguer la fuite des capitaux, pourrait selon l’expert avoir des effets contre-productifs sur une économie déjà fragilisée.

Le diagnostic est sans appel : le double marché des changes en Algérie, avec un écart de plus de 80% entre taux officiel et informel, reflète les dysfonctionnements structurels d’une économie rentière dépendante des hydrocarbures. Si le marché parallèle a longtemps servi de soupape de sécurité pour les opérateurs économiques et les particuliers, sa régulation autoritaire risque aujourd’hui de provoquer un effet boomerang.

“C’est comme vouloir soigner une toux sans traiter l’infection qui en est la cause”, image Soufiane Djilali. Les conséquences prévisibles sont inquiétantes : délocalisation du marché noir des changes à l’étranger, accélération de la fuite des capitaux et perte accrue de confiance des investisseurs.

L’analyse pointe du doigt le paradoxe d’un État qui, en voulant resserrer son contrôle, pourrait précipiter ce qu’il cherche à éviter. Au lieu de créer un environnement propice aux investissements via des réformes structurelles, cette approche dirigiste risque d’asphyxier davantage une économie déjà sous perfusion pétrolière.

Dans un contexte où la rente des hydrocarbures s’amenuise, cette nouvelle restriction pourrait marquer un tournant critique pour l’économie algérienne. Une réflexion qui invite à repenser en profondeur la gouvernance économique du pays, au-delà des mesures cosmétiques.

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Empêcher les Algériens d’exporter la devise va-t-il enrichir le trésor public ?

Ce 21 novembre, les autorités gouvernementales viennent de décider la limitation de l’exportation de devises (obtenues au marché parallèle) à 7500 euros ou équivalent devise par année.

Comme tous les Algériens le savent, le marché noir de la devise est florissant. La monnaie nationale de plus en plus faible s’échange à des taux à plus de 80% plus chers que le taux bancaire (258 dinars pour 1 euro contre 140 pour 1 euro au taux bancaire, au cours d’aujourd’hui).

L’existence de ce double marché, l’un officiel, l’autre informel, est le résultat naturel d’une économie improductive, administrée et rentière.

Malgré les distorsions que ce système signifiait, il permettait un équilibre même précaire entre les besoins de la population et du secteur économique d’une part et la nécessité pour l’Etat de préserver la devise étrangère provenant pour presque la totalité de l’exportation des hydrocarbures.

Pendant longtemps, le secteur informel était alimenté avec la devise des travailleurs émigrés. Puis, peu à peu, les surfacturations à l’importation ont explosé. Il fallait bien contourner les entraves bureaucratiques et l’archaïsme des circuits financiers pour la majorité des opérateurs, et/ou profiter d’avantages exorbitants offerts par le régime pour l’oligarchie en plein essor. L’idée était de compenser les charges des taxes et droits de douanes déterminés en fonction du prix à l’achat avec le « rapatriement » du surplus, payé en devise au fournisseur puis échangé au marché parallèle.

Ainsi, une boucle s’est créée, permettant aux importateurs de gagner la confiance des fournisseurs en payant à l’avance et en cash leurs commandes, palliant ainsi à toute éventuelle défaillance de paiement de factures due aux changements intempestifs des lois régissant le commerce extérieur.

Par ailleurs, l’alimentation en devise du marché parallèle, a permis à ceux qui possédaient un capital disponible d’investir à l’étranger (achat d’immobilier en Europe, financement des études des enfants, voire investissement économique).

La convertibilité commerciale qui avait cours depuis les années 90 du siècle dernier, ouvrait une brèche pour une fuite des capitaux qui prenait de l’ampleur et qui risquait de saigner à blanc le trésor public et affaiblir encore plus la monnaie nationale.

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Le problème est donc réel. Le système « D » des « beznassi », l’approvisionnement du marché en produits en « libre importation » sur compte devise alimenté par le marché parallèle, les besoins multiples et légitimes des voyageurs algériens à l’étranger… sont devenus problématiques.

Niveau d’importation excessif, envahissement du marché national par des produits de faibles qualités mais permettant d’importantes marges bénéficiaires, affaiblissement du dinar d’où la pression inflationniste et perte du niveau du pouvoir d’achat et trop souvent trafics en tous genres.

Tous les symptômes d’une économie malade atteinte de manière chronique sont là. Le pouvoir, engagé par ses promesses politiques et sa lutte officielle contre l’oligarchie prédatrice, se devait d’administrer un remède pour assainir cette situation.

Il est clair que l’intention est ici louable. Cependant, comme le dit si bien l’adage, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

En médecine, il est fortement déconseillé de s’attaquer aux symptômes sans agir sur l’étiologie, c’est-à-dire l’origine du mal.

Malheureusement, le gouvernement veut empêcher le résultat d’un système tout en renforçant ce dernier. En bloquant la « toux » sans réduire les causes infectieuses de l’inflammation des bronches, nous causons l’étouffement du malade.

En l’occurrence, l’interdiction d’exportation des devises au-delà de 7500 euros par an aura des conséquences graves sur la viabilité de l’économie nationale et sur le moral de l’ensemble des citoyens qui devront en subir de néfastes conséquences.

Parmi les premiers effets d’une telle politique est le déplacement, à terme, du marché parallèle vers l’étranger. Les devises disponibles au change seront acquises directement à l’extérieur du pays et ne rentreront plus dans les comptes bancaires algériens. Les circuits actuels du change prendront leur extension à l’étranger. Le cours du dinar ne se redressera pas, au contraire, et tout Algérien ayant un capital disponible orientera toute son énergie pour acheter la devise et « sécuriser » ses avoirs en les thésaurisant sur place, attendant la première occasion pour les exporter.

Autrement dit, la confiance en la politique économique de l’Etat algérien, déjà en piteux état, va se dégrader encore plus. Sans confiance, pas d’économie. Au mieux l’argent sera thésaurisé, au pire exporté par d’autres moyens.

L’investissement national reculera, l’immobilier baissera, l’élite économique du pays s’exilera, les citoyens connaîtront les pénuries et… le ressentiment.

Dans le fond, la mentalité de nos dirigeants a été forgée dans de fausses idées. Au lieu de créer les conditions de la confiance, d’encourager les investisseurs, de baisser les charges administratives, de limiter l’interventionnisme étatique et de prendre en charge la régulation du marché, toutes mesures qui auraient vu le retour des capitaux dans le pays, les mesures actuelles auront, sans doute aucun, l’effet inverse.

L’entêtement de nos dirigeants à croire qu’ils peuvent décider à partir de leur bureau et de leurs illusions du comment doit fonctionner une économie, en dehors de toute réalité de marché, provoquera tôt ou tard l’effondrement du pays. Le jour, pas si lointain, où le pétrole ne couvrira plus nos dépenses gargantuesques, ce pouvoir criera au complot et jettera la responsabilité sur ses fusibles.

Soufiane Djilali

Alger, le 25 Novembre 2024

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