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On m’a demandé : « mais pourquoi les vôtres (musulmans français) ne rejoignent-ils jamais les mouvements sociaux » ?

Je vais aller droit au but, en parlant pour les miens, quitte à gêner certaines âmes apeurées et crédules. D’abord, il n’est pas vrai de dire que les musulmans français des quartiers et d’ailleurs ne sont pas politisés ; en France, ils sont parmi les plus conscientisés sur la réalité des inégalités et du cirque médiatico-politique, tout simplement parce qu’ils vivent dans leur chair les inégalités sociales, le chômage, la discrimination, le racisme, la violence policière, la formation de ghettos. Ils n’ont pas besoin d’assister à un cours de sociologie sur ces questions ; les maîtres sont les « opprimés » et les élèves sont les sociologues universitaires (très bien rémunérés par ailleurs). 

Les enfants d’immigrés ont, avant les gilets jaunes, appelé en 1983 à l’égalité sociale et à plus de justice. Une grande marche pour « les droits civiques » a été organisée, que la gauche traîtresse appellera « la marche des beurs » pour saper les revendications sociales et de justice, et en faire un mouvement exotique ; ils ont été ces « salauds » que Sartre avait désignés jadis et qu’il opposa aux « justes ».

Et avant cela, lors des contestations de mai 68 ce sont les ouvriers « arabes » de Renault qui ont été les premiers à associer le secteur privé à la contestation des étudiants. En effet, « le 16 mai, les ouvriers de l’usine Renault de Boulogne-Billancourt cessent le travail, sans mot d’ordre syndical. Le mouvement est d’abord spontané, ce n’est que dans un second temps que des cadres syndicaux se rallient à la grève. Le 17 mai, le Conseil confédéral de la CGT se réunit et déclare en déformant les faits que « l’action engagée à l’initiative de la CGT et avec d’autres organisations syndicales crée une situation nouvelle et revêt une importance exceptionnelle »». 

Voilà la réalité de la CGT, pour nous, enfants d’immigrés. Rappelons, également, qu’à ce moment-là, « la grève est acceptée, mais tout mot d’ordre de grève générale est écarté ». En effet, la CGT essaiera « de réduire le mouvement à une série de revendications strictement professionnelles » et ce, pour éviter « tout rapprochement avec les étudiants dont elle craint l’engagement révolutionnaire trop marqué ». Nous n’avons pas oublié et n’oublierons pas.

Maintenant, venons-en, à la cassure entre les enfants d’immigrés et les acteurs des mouvements sociaux portés par les « petits blancs » (expression consacrée depuis la victoire de T,rump et des suprémacistes blancs américains). Au préalable, effectuez un exercice simple que j’ai moi-même pratiqué : demandez à n’importe quel syndicaliste que retient-il de 2005 il vous dira sans hésitation, « le non à la constitution européenne ».

Aucun, je dis bien aucun, ne vous dira la révolte des banlieues de l’automne 2005 ; ce n’est pas son sujet. Or, pour nous, c’est notre boussole dans le cadre de l’histoire des luttes sociales des immigrés et de leurs enfants.

Rappelons les faits : le 27 octobre 2005, deux jeunes adolescents tentant d’échapper à un contrôle policier à Clichy-sous-Boisse se réfugient dans un transformateur EDF et y trouvent la mort. La révolte commence et « atteint un point culminant dans la nuit du 7 au 8 novembre, nuit pendant laquelle 1500 voitures sont brûlées et 274 communes sont touchées sur tout le territoire national. Le « calme » est de retour le 17 novembre, soit après trois semaines d’incidents, d’affrontements et de violences ». Muchielli et d’autres chercheurs ont bien tenté de comprendre cette révolte des « damnés de la terre …de France », mais celle-ci vient de loin, comme si les luttes coloniales se poursuivaient encore et encore. 

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Mais alors, quelle a été la réaction des autres corps de la société ? La société, la gauche et les syndicats sont restés dans un mutisme assourdissant. Quant à l’infâme Sarkozy, il a été demander aux « frères musulmans France » (l’UOIF) d’aller calmer les leurs et de faire purement et simplement de la contre-révolution. L’UOIF a toujours été l’idiote utile des politiques, organisation qu’ils ont pressé comme un citron pour la jeter une fois que celle-ci n’avait plus de jus.

Voilà ce qu’a écrit Valérie Sala Pala sur ce silence et les compromissions des acteurs sociaux durant cette révolte : « En novembre 2005, c’est singulièrement le silence de la gauche qui frappe : le discours du Parti socialiste s’est peu démarqué de celui de la droite, se refusant même à prendre une position officielle sur l’instauration de l’état d’urgence, tandis que l’extrême gauche restait singulièrement inaudible (V. Le Goaziou, QBB, p. 31-52).

Pour reprendre l’expression de J.-P. Dubois, le silence de toutes les forces politiques fut « à peine croyable » (BLR, p. 72). A. Bertho s’interroge : « Nous nous sommes demandé, jour après jour : où est la gauche ? » (BLR, p. 32). H. Lagrange note que, « bien qu’ils ne soient pas isolés socialement, les jeunes émeutiers sont seuls politiquement. A aucun moment, la jonction n’a été possible avec une opposition de gauche tout à fait absente ». Nous n’avons pas oublié et n’oublierons pas.

Maintenant, force est de constater que la question de la convergence des luttes ne peut se faire comme ça, comme si rien ne s’était passé. « Les petits blancs » qui aujourd’hui manifestent, étaient d’accord pour l’état d’urgence. La paupérisation, la violence policière et la crise sociale nous les avons expérimentées avant tout le monde ; elles ne font, maintenant, que sortir de nos quartiers pour se répandre sur l’ensemble du territoire.

Les « territoires perdus de la République » sont en réalité « les territoires martyres de la République » ; l’exception est en train de devenir la règle. Ce n’est donc pas à nous d’aller vers les manifestants du 49.3, mais à ces derniers de venir vers nous, pour que nous leur partagions nos moyens de résistance face à l’oppression sociale. Nous soutiendrons toujours les causes justes au nom de nos valeurs morales et spirituelles.

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3 commentaires

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  1. Il ne faut pas s’imaginer que en mai 1968 les étudiants gauchistes étaient plus radicaux que la CGT, la suite a montré qu’ils étaient en fait souvent des petits bourgeois carriéristes, les communistes, eux, ont compris que 1968 n’était pas une situation révolutionnaire et qu’il fallait se limiter à des demandes d”amélioration des conditions de vie, d’autant plus que de Gaulle menait une politique anti-USA et anti-Tel Aviv alors que la gauche non communiste rêvait de Californie, de Woodstock et d’Europe. Par ailleurs, la CGT ce n’est pas la direction confédérale, ce sont les unions de base, comme c’est dans les statuts issus de la Charte d’Amiens. Ensuite, il ne faut pas oublier qu’il y a toujours eu beaucoup d’organisations de gauche qui ont participé au soutien aux luttes des immigrés et des banlieues, y compris en 2005. Et c’est toujours le cas aujourd’hui, sauf qu’en 2005 le pouvoir a réussi à transformer la lutte de classe collective en une identité communautariste grandissante en utilisant les organisations islamiques conservatrices. Il y a effectivement des préjugés racistes chez certains militants de gauche comme il y a des préjugés identitaires chez beaucoup de musulmans qui n’ont pas vraiment compris le caractère universaliste de l’islam qui est venu pour toute l’humanité et pas seulement pour les musulmans de rites. Bref, chacun doit faire un bout de chemin mais les musulmans ne s’en sortiront que quand ils auront compris que leur progrès social est lié à celui du progrès du pays où ils vivent et travaillent et que l’islam doit compléter en terme de projet de société pour tous ce que proposent tous les autres anticapitalistes qui refusent une société basée sur le ruban, la spéculation, l’inégalité sociale et l’injustice. Lire Marx ne ferait pas de mal aux musulmans, au contraire, cela renforcerait leurs capacités à comprendre la société et à rendre leur islam plus créatif. Et se mêler aux révolutionnaires non musulmans ne peut qu’être bénéfique à tous

  2. D’aprés mon experience du passé, comme étranger en France, je ne pense pas que le problème, en France, soit inegalité sociale entre adulte, mais plutot entre enfants.

    Les statistiques montrent clairement que les gens, qui entrent en France à l’age adulte reussissent mieux ,dans tous les domaines que les gens , dits beurs, qui ont souffert moralement pendant leur enfance, sur tous les plans.

    Dans la France republicaine, il faut revoir les droits des enfants. (inegalité entre enfants).
    LDans l’Algerie republicaine, il faut revoir les droits des adultes. (inegalité entre adultes)

    Quoi qu’il en soit, il est plus facile ,de detruire moralement un homme, dans son enfance qu’à l’age adulte.

    Je ne dis pas que j’ai raison, mais c’est mon avis.

  3. Bonjour,
    Merci pour cet article qui rappelle des faits incontestables et analyse plutôt finement l’état d’esprit de nos coreligionnaires musulmans. Ce faisant, il souligne une rupture communautaire – et non sociale – qui peu apparaître, malheureusement, irréversible.
    Mehdi

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