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Mort du criminel de guerre Ariel Sharon

Sharon échappe définitivement à la justice humaine

A l’occasion de la mort du criminel de guerre Ariel Sharon, nous publions cet article de Robert Fisk écrit il y a plus d’un an, lors du trentième anniversaire des massacres dans les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila à Beyrouth. Sharon, comme tout le pouvoir israélien derrière lui, s’est rendu coupable au fil des années d’une litanie de meurtres, vols, massacres, à l’encontre des Palestiniens comme des populations arabes. Mais pour évoquer au mieux qui était cet abject personnage, quoi de plus adapté que l’évocation de ces massacre de Sabra et Chatila qu’il avait lui-même orchestrés avec ses supplétifs libanais. Une question intéressante : quels dirigeants occidentaux oseront faire le déplacement pour aller se lamenter sur la tombe de ce sinistre criminel ? Info Palestine

Les souvenirs demeurent, naturellement. […] Mais – comme les déchets empilés au milieu des parpaings de béton, la puanteur de l’injustice infiltre toujours les camps où 1700 Palestiniens ont été envoyés à la boucherie il y aura 30 ans la semaine prochaine. Personne n’a été jugé ni condamné pour ce massacre, que même un auteur israélien avait alors comparé au massacre de Yougoslaves par les sympathisants des Nazis durant la deuxième guerre mondiale. Sabra et Chatila sont un mémorial aux criminels qui ont échappé à leur responsabilité, qui s’en sont allés avec elle.

Khaled Abu Noor était alors dans ses années d’adolescence. Un milicien en devenir parti pour la montagne avant que les phalangistes alliés d’Israël n’entrent dans Sabra et Chatila. Est-ce que ceci lui a donné un sentiment de culpabilité ? N’aurait-il pas dû être là pour combattre les violeurs et les meurtriers ? « Tout ce que nous ressentons aujourd’hui, c’est de la dépression, » dit-il. « Nous avons exigé la justice, des procès internationaux, mais il n’y a rien eu. Pas une seule personne n’a été jugée responsable. Personne n’a été déféré devant la justice. Et dans ces conditions, nous avons dû souffrir la guerre des camps en 1986 (face aux milices chiites libanaises) et les Israéliens ont pu abattre tant de Palestiniens dans la guerre de 2008-2009 contre Gaza. S’il y avait eu des procès pour ce qui s’est produit ici il y a 30 ans, les massacres de Gaza ne se seraient pas produits. »

Il a raisont, naturellement. Alors que les Présidents et les Premiers ministres se sont alignés sur Manhattan pour pleurer les morts des crimes internationaux contre l’humanité commis en 2001 au World Trade Center, pas un seul dirigeant occidental n’a osé rendre une seule visite aux fosses communes humides et sales de Sabra et de Chatila, ombragées par quelques arbres délabrés et et les photographies fanées des morts. Et – il faut que ce soit dit – toutes ces 30 années, pas un seul dirigeant arabe n’a pris la peine de visiter le dernier lieu de repos d’au moins 600 des 1700 victimes. Les potentats Arabes, paraît-il, saignent dans leurs coeurs pour les Palestiniens, mais les tarifs des billets d’avion vers Beyrouth sont-ils trop chers de nos jours ? Et lequel d’entre eux voudrait offenser les Israéliens ou les Américains ?

C’est une ironie – mais elle est néanmoins importante – que la seule nation à avoir tenu une enquête officielle sérieuse, quoique sans conséquences, pour ce massacre était Israël. L’armée israélienne a envoyé ses tueurs à gages dans les camps puis les a regardés faire – et n’a rien fait – tandis que les atrocités avaient lieu. Un certain lieutenant israélien, Avi Grabowsky, en a donné toutes les preuves. La Commission Kahan a estimé que le ministre de la Défense, Ariel Sharon, était personnellement responsable puisqu’il avait envoyé les impitoyables phalangistes anti-Palestiniens dans les camps pour « les nettoyer des terroristes ». « Terroristes » qui se sont avérés être aussi inexistants que les armes de destruction massive en Irak, 21 ans plus tard.

Sharon perdit son job mais il est ensuite devenu Premier ministre, jusqu’à ce qu’il tombe victime d’une attaque cérébrale à laquelle il a survécu, mais qui lui a tout pris, jusqu’à la capacité de parler. Elie Hobeika, le chrétien libanais et chef de la milice qui a lancé ses tueurs dans le camp – après que Sharon ait affirmé à la Phalange que les Palestiniens avaient assassiné leur chef, Bashir Gemayel – s’est fait descendre quelques années plus tard à Beyrouth-est. Ses ennemis ont prétendu que les Syriens l’avaient tué, ses amis en ont blâmé les Israéliens. Hobeika, qui « s’était rapproché » des Syriens, avait juste fait savoir qu’il « dirait tout » au sujet des atrocités de Sabra et de Chatila devant une cour de justice en Belgique qui avait voulu juger Sharon.

Naturellement, ceux d’entre nous qui sont entrés dans les camps le troisième et dernier jour du massacre – le 18 septembre 1982 – ont leurs propres souvenirs. Je me souviens de ce vieil homme en pyjama, couché sur le dos dans la rue principale, avec son inoffensif bâton de marche près de lui, des deux femmes et d’un bébé tués à côté d’un cheval mort, la maison dans laquelle je me suis caché des tueurs avec Loren Jenkins du Washington Post – pour y trouver une jeune femme morte étendue dans la cour derrière nous. Certaines des femmes avaient été violées avant d’être tuées. Les armées de mouches, l’odeur de la décomposition.. Toutes ces choses restent en mémoire.

Abu Maher a aujourd’hui 65 ans – comme Khaled Abu Noor, sa famille s’était tout à l’origine [en 1948, lors de la Nakba – NdT] sauvée de sa maison dans Safad – aujourd’hui en Israël – et il était resté dans le camp durant tout le massacre, tout d’abord incrédule devant les femmes et les enfants qui l’imploraient de se sauver de sa maison. « Une voisine a commencé à crier. J’ai regardé et vu comment elle a été abattue. Sa fille s’est mise à courir au loin et les tueurs l’ont poursuivie, criant “tuez-la, tuez-la, ne la laissez pas partir !”. Elle m’appelait au secours et je ne pouvais rien faire. Mais elle s’est échappée. »

Les visites répétées du camp, année après année, ont permis d’accumuler des détails incroyables. Les investigations faites par Karsten Tveit de la radio norvégienne et par moi-même, ont montré que beaucoup d’hommes, qu’Abu Maher avait vus vivants, s’éloigner après les premiers massacres, avaient plus tard été remis par les Israéliens aux tueurs phalangistes, qui les ont retenus prisonniers pendant des jours à Beyrouth-est et qui, quand ils ne pouvaient pas les échanger contre des otages chrétiens, les ont abattus et ensevelis dans des fosses communes.

Et les arguments en faveur du manque de mémoire ont été cruellement donnés à foison. Pourquoi se rappeler quelques centaines de Palestiniens massacrés alors que 25 000 personnes ont été tuées en Syrie en l’espace de 19 mois ?

Les défenseurs d’Israël et les critiques du monde musulman m’ont écrit au cours des deux dernières années, me dénonçant pour avoir fait référence à plusieurs reprises au massacre de Sabra et de Chatila, comme si mon propre récit de témoin oculaire de cette atrocité – comme si j’étais un criminel de guerre – avait en lui-même des limites. Concernant mes rapports (comparés à mes comptes-rendus de l’oppression turque) un lecteur m’a écrit : « Je conclurais en disant que, dans ce cas (Sabra et Chatila), vous avez un biais anti-israélien. Ceci est simplement basé sur le nombre disproportionné de références que vous faites concernant cette atrocité… »

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Mais peut-on s’y référer trop souvent ? Le Dr Bayan al-Hout, veuve de l’ancien ambassadeur de l’OLP à Beyrouth, a produit la plus documentée et la plus détaillée des descriptions des crimes de guerre commis à Sabra et Chatila – car c’est ainsi qu’il faut les qualifier – et a conclu que pendant les années qui ont suivi, les gens ont eu peur de rappeler ces événements. « Puis les groupes internationaux ont commencé à en parler et à enquêter. Nous devons nous rappeler que nous tous sommes responsables de ce qui s’est passé. Et les victimes sont encore marquées par ces événements – même ceux qui sont à venir seront marqués – et tous ces gens ont besoin d’amour. » Dans la conclusion de son livre, le Dr. Al-Hout pose quelques questions difficiles, et en effet dangereuses : « Les auteurs étaient-ils les seuls responsables ? Ceux qui ont commis ces crimes étaient-ils les seuls criminels ? Est-ce que même ceux qui ont donné les ordres étaient les seuls responsables ? Qui est en vérité responsable ? »

En d’autres termes, le Liban ne porte-t-il pas la responsabilité avec les phalagistes libanais, Israël avec l’armée israélienne, l’Ouest avec son allié israélien, les Arabes avec leur allié américain ? Le Dr. Al-Hout conclut son enquête avec une citation de Rabbin Abraham Heschel qui s’est battu contre la guerre au Vietnam. « Dans une société libre, » disait Rabbin, « certains sont coupables, mais tous sont responsables. »

14 septembre 1982

Le président chrétien du Liban – désigné par le Parlement, sous pression occidentale – Bashir Gemayel, est assassiné par un militant pro-syrien mais ses partisans en accusent les Palestiniens.

16 septembre 1982

Les miliciens chrétiens libanais entrent dans les camps au Sabra et Chatila pour exercer leur vengeance sur les réfugiés palestiniens, tandis que les forces israéliennes encerclent les camps et envoient des fusées éclairantes pour faciliter les massacres dans la nuit.

18 septembre 1982

Après trois jours de tueries, de viols, d’exécutions sommaires, les milices phalangistes quittent finalement les camps, laissant 1700 morts derrière elles.

Lire également :

- Quatre heures à Chatila – Revue d’Études Palestiniennes – Jean Genet

15 septembre 2012 – The Independent – Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.independent.co.uk/news/w…
Traduction : Info-palestine.eu

 

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