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L’Express refuse de publier un droit de réponse

L’Express publia dans son numéro 3078 (daté du 30 juin au 6 juillet) un dossier sur le Maroc avec notamment une « enquête » intitulée « L’islamisme au féminin » réalisée par Amélie Amilhau. L’investigation porta en grande partie sur la section féminine du mouvement “Al Adl Wal Ihssane” (Justice et spiritualité). En tant que responsable de cette section et après avoir été sollicitée par la journaliste, je décide de lui accorder un entretien de deux heures. Je me suis rendu compte hélas que je n’ai fait que perdre mon temps. Le papier de l’enquête n’est qu’un tissu de mensonges au service d’une islamophobie qui se vend bien.

En juin 2010, Amilhau m’avait contactée afin de solliciter un entretien sur la section féminine de notre mouvement. Elle prétendait qu’elle préparait un dossier sur l’activisme des femmes “islamistes “qu’elle estime peu connu par le public francophone et souhaite en donner une image authentique. D’ailleurs, au cours de notre entretien, elle a beaucoup évoqué l’honnêteté et a farouchement critiqué ce qu’elle a appelé : «  les journalistes qui manquent de conscience et qui déforment les propos de leurs interlocuteurs ».

Cependant, les prêchi-prêcha d’Amilhau concernant la conscience et la déontologie journalistiques n’étaient pas les raisons qui m’ont incitées à accepter l’entretien, mais bien parce que j’adhère à un mouvement ouvert au dialogue avec toute personne désirant connaître notre pensée et notre action sans a prioriou prismes déformants. Nous ne renonçons d’ailleurs pas à ce principe d’ouverture malgré maintes expériences avec des journalistes qui ont vu et entendu ce qui a blessé leur imaginaire et a certainement été refusé par la « Rédaction ».

Partant de cette conviction d’ouverture et de dialogue, j’ai non seulement accordé un entretien de deux heures à Amilhau, mais je l’ai aussi mise en contact avec une autre membre du mouvement, professeure en faculté de médecine, qu’elle a interviewée durant une demi-heure environ, en ma présence. Par ailleurs, je lui ai “frayé” un chemin pour visiter l’une des associations de quartier sympathisante avec notre mouvement, chose qui n’est pas facile. Notre mouvement qui s’oppose à un régime autoritaire est soumis à une très grande pression. Dès que les services de renseignements apprennent qu’une association est sympathisante avec notre mouvement, ladite association est rapidement interdite.

Je l’ai fait encore une fois par souci d’ouverture et ne le regrette pas. J’ai par ailleurs bien constaté que dans ladite enquête, seul notre mouvement avait permis à Amilhau l’accès à toutes les sources d’informations dont elle avait besoin. Ce qu’elle n’a pas pu obtenir d’autres mouvements, récalcitrants à juste titre , en effet elle a totalement failli à en rendre compte honnêtement.

Au lieu de citer les deux entretiens qu’elle a eus avec la professeure de médecine et moi-même, Amilhau a préféré citer une personne qu’elle n’a rencontrée que dans son imagination, mais dont elle avait sûrement besoin pour étaler ses préjugés sur l’islamisme. Elle a fait appel à une institutrice, emboîtant le pas à certains orientalistes qui ont avancé que les leaders des partis islamistes sont tous instituteurs, qu’elle a surnommée Hayat et qui lui aurait dit : « nous sommes contre la mixité » et que « la place naturelle de la femme est la maison ».

Pourquoi Amilhau avait-elle besoin d’imaginer ce personnage ? Pour moi la réponse est claire : parce que les propos que je lui ai énoncés ainsi que ceux de ma collègue contredisent les clichés islamophobes qu’elle tient à ressasser coûte que coûte et transmettre aux lecteurs de l’Express. Le statut social de ses deux interlocutrices dérange également les clichés d’Amilhau : professeure en médecine et doctorante en sciences politiques ! Non ! Ces statuts ne riment pas avec l’image qu’elle veut donner d’« islamistes obscurantistes », « ennemis des femmes ». Ces statuts ne riment pas avec les refrains d’une désinformation que véhiculent malheureusement maints journalistes tels qu’Amilhau.

En visite à l’association de quartier citée, Amilhau a vu les activités sans avoir d’entretien avec ses responsables dont la majorité sont sympathisantes de notre mouvement. Elle n’a eu que des petites discussions décousues ici et là, auxquelles j’avais assisté et dont je lui ai fait moi-même la traduction (arabe/français). De ces discussions Amilhau fait surgir une expression purement mensongère qu’elle attribue à une sympathisante du mouvement et qu’elle cite comme suit : « Si un homme veut se remarier, c’est que son épouse n’a pas su le satisfaire. Il faut apprendre comment se comporter avec son mari. » Là encore Amilhau cherche insinuer à ses lecteurs que notre mouvement est pour la polygamie, ce qui par ailleurs est totalement faux. Et de manière générale, on ne déduit pas les positions d’un mouvement à partir des dires des uns et des autres, mais bien à partir du discours de ses responsables.

Par ailleurs, ma question reste : pourquoi mes propos ont-il tellement dérangé Amilhau à tel point qu’elle a préféré négliger mon entretien de deux heures et se baser sur les dires d’un personnage imaginaire (Hayat) et déformer les dires de Aida ? Encore une fois, la réponse est claire : c’est la même désinformation ; pour une personne qui adopte des clichés aussi standards que : « les islamistes sont pour la polygamie », « les islamistes considèrent que la place naturelle de la femme est la maison », « l’Islam dit qu’une femme doit obéir à son mari »… il est en effet dur de transmettre notre projet tel que je l’ai présenté dans l’entretien.

S’il existe des islamistes qui adoptent les opinions susmentionnées, ils ne sont pas à notre enseigne et comme je l’avais bien expliqué à Amilhau, c’est une grave erreur de considérer l’islamisme comme étant un bloc monolithique et d’attribuer des jugements standards à toute composante qui porte l’étiquette « islamiste ». C’est aussi une grave erreur de croire que seuls les tenants de l’islamisme adoptent lesdites opinions. Il existe notamment les traditionnalistes qui ne fâchent pas l’Occident, au contraire, et même des prétendus « progressistes » qui défendent ces conceptions. N’oubliez pas que pour bien se vendre « Harry Potter » a dû cacher le nom féminin de son auteure. Par souci de clarté et par respect aux lecteurs, je tiens à résumer les propos de mon entretien avec Amilhau et laisser vos respectables lecteurs comparer mes propos avec les résultats de sa prétendue enquête.

J’ai présenté à Amilhau un projet qui accuse la subordination et la marginalisation des femmes et qui prône une libération des femmes basée sur un référentiel islamique. N’est-ce pas contradictoire à première vue ? Vouloir libérer les femmes en se basant sur les sources de l’Islam ?! Et bien non ! Dans notre projet, nous considérons que l’Islam n’a jamais été misogyne et que ce sont les interprétations restrictives qui en ont été faites, à travers les âges, qui ont contribué à la dégradation de la condition féminine.

Lesdites interprétations étant faites par des hommes, plus influencés par les traditions et coutumes patriarcales que par l’esprit de l’Islam. Résistances qui règnent d’ailleurs aussi dans la rive nord de la Méditerranée. Et c’est cet esprit, n’en déplaise à nos détracteurs, que nous voulons à tout prix retrouver, il est notre quête légitime. L’histoire des premières époques de l’Islam témoigne de l’épanouissement et l’émancipation des femmes compagnons du prophète (paix et bénédiction sur lui). A partir de cette conception, notre projet a relevé le défi de mener une lecture critique de l’histoire de l’Islam et de distinguer entre un projet de l’Islam, à l’origine libérateur de l’être humain et surtout des plus opprimés à l’époque : les femmes et les esclaves et entre des interprétations misogynes et restrictives.

De ce fait, notre projet a son volet théorique basé sur la revendication d’un accès direct des femmes à l’interprétation des sources de l’Islam. D’où notre engagement dans un projet de formation de femmes ‘alims (savantes) dont la première poignée a déjà vu le jour et entame une relecture du référentiel islamique conforme à son esprit libérateur. A travers ce travail théorique, nous avons étudié et analysé des sujets sensibles dans le monde musulman. Je citerai, entre autres :

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 Nous avons montré que le travail en mixité ne contredit pas l’esprit de l’Islam et qu’au contraire, il contribue à l’épanouissement des deux sexes en encourageant le travail dans la spontanéité et le respect mutuel.

 Nous avons défendu un large accès des femmes à l’espace public et montré que cela était à l’origine la règle en Islam et non pas une exception ou une tactique. Nous avons justement lutté contre l’idée selon laquelle : « la place naturelle de la femme est la maison ». Oui, nous parlons de complémentarité mais non pas au sens que lui a donnée Amilhau par le biais de son personnage imaginaire Hayat : le rôle de la femme se limite à l’espace privé et seul l’homme a libre accès à l’espace public ! C’est encore une autre déformation de notre pensée.

 Nous entendons par la complémentarité : une collaboration entre les deux sexes et dans l’espace privé et dans l’espace public.

 Nous avons montré que la polygamie n’était jamais une règle en Islam. Elle n’est qu’une exception pour des cas strictement exceptionnels. Position que j’ai appuyée sur des faits : aucun des responsables du mouvement n’est polygame et la polygamie est très mal considérée dans notre mouvement.

L’importance de notre projet ne se limite pas au théorique, mais se vérifie de fait . En effet, nous entamons une large action de terrain à travers laquelle nous menons un accompagnement quotidien des femmes. Un accompagnement orienté vers cet esprit libérateur et dans la prise de conscience des droits des femmes. Nous encourageons une présence positive dans tous les domaines, une autonomie financière dans l’espace privée et une répartition juste des engagements familiaux entre les deux époux. Nous prouvons aux femmes que les relations conjugales ne se font pas dans la supériorité d’un partenaire sur l’autre, ce qu’Amilhau a dénommé obéissance. Ces relations se font dans l’amour et le respect mutuel entre les époux.

Si les associations sympathisantes de notre projet, attirent beaucoup de femmes, comme l’a signalé, cette fois à juste titre, Amélie Amilhau, c’est parce qu’elles y trouvent ce discours libérateur en plus d’une grande sincérité et volonté de rendre service à ces femmes. En outre, les femmes dans notre mouvement ont une présence effective dans toutes les branches et sections du mouvement. Grâce à leur militantisme, elles ont pu acquérir un niveau de représentativité au sein des instances dirigeantes . Ce qui est très important eu égard au niveau de représentativité des femmes en politique même en France. Elles sont trois femmes sur sept personnes élues au secrétariat général du cercle politique du mouvement ; 30% de femmes au sein du conseil consultatif (majlis al-choura) qui est la plus haute instance décisive du mouvement ; 30% au sein du conseil national du cercle politique… Le plus important à signaler, dans ce contexte, c’est que toutes ces femmes sont élues par des membres masculins et féminins et sans système de quota.

Comment pourrions-nous travailler au sein de toutes ces instances si nous sommes contre la mixité, comme l’affirme Amélie Amilhau ou plutôt son personnage imaginaire ? Pourtant Amélie Amilhau n’y voit pas un acquis, elle cite : « Elles sont 3 sur 7 dans le secrétariat général du cercle politique »  et en déduit : « on est donc bien loin de la parité » !!! Trois sur sept par mode d’élection, sans système de quota et on est loin de la parité ?!!! Je me demande comment les femmes ont acquis la parité en politique en France, si ce n’est suite à un système de quota et après de longues années de militantisme. Et encore, ces femmes se plaignent d’une représentativité féminine formelle et non effective (voir dans ce sens les travaux de chercheurs français, à titre d’exemple : Achin Catherine, Lévêque Sandrine : Femmes en Politique ; Derville Grégory, Pionchon Sylvie : « La femme invisible. Sur l’imaginaire du pouvoir politique »…)

Si le taux de 3 sur 7 était réalisé par des femmes laïques, Amélie Amilhau, le jugerait, certainement comme un grand exploit ! Dans l’entretien, j’ai aussi évoqué les résistances que peut rencontrer tout mouvement qui compte libérer les femmes à partir d’un référentiel islamique y compris des résistances internes. Et parce que nous sommes réalistes et non rêveuses, nous n’avons pas de complexe à nous auto critiquer. Bien au contraire, nous considérons que c’est une force. D’ailleurs, la seule phrase qu’Amilhau a rapportée de mon entretien de deux heures était celle relative aux résistances internes. Pourtant, je lui ai également expliqué pourquoi il y a des résistances : parce que les hommes de notre mouvement ne viennent pas de nulle part . Ils proviennent de la société marocaine avec toutes ses habitudes et coutumes. Je lui ai également expliqué que grâce aux efforts d’éducation, ces hommes ont beaucoup évolué par rapport à certaines traditions qui règnent dans notre société. Ils consentent sans gêne à la mixité et admettent de plus en plus de partager les responsabilités du foyer. Ils acceptent, par exemple, d’adhérer à un comité sous la responsabilité d’une femme…

La présence des femmes “islamistes” au cœur des centres de décision de leurs mouvements et au cœur de l’espace public est maintenant un fait. Il convient de l’accepter en essayant de l’étudier et l’analyser avec objectivité. Finalement, j’aimerais signifier à Amélie Amilhau qu’elle a d’abord failli aux règles de bienséance élémentaires. Et que le manque de respect dû aux lecteurs est un mépris à leur intelligence. Sa position en tant que journaliste française installée au Maroc aurait pu jouer un rôle intéressant aussi bien dans le rapprochement des civilisations que dans la lutte contre les préjugés et les clichés. Malheureusement, ce genre de propos mensongers ne sert en rien le dialogue entre les civilisations et le rapprochement des idées et des positions entre le Nord et le Sud . Ils contribuent à creuser davantage le fossé en créant plus de haine et de xénophobie, ce que nous accusons avec force. Ce papier pétris de propos mal intentionnés mérite le piètre qualificatif de : « terrorisme intellectuel ».

Merieme YAFOUT

Responsable de la section féminine du mouvement Al Adl Wal Ihssane (justice et spiritualité)/Maroc

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