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L’exil, dit-il

Je connais les barbares. Longtemps je fus un des leurs. Dans mon HLM la France avait une odeur de chien mouillé, genre berger allemand. Aujourd’hui la République a du mal à reconnaître ses enfants, ceux qui lui rient au nez, la sifflent, bref la prennent pour une fille de charbonnier, elle qui s’était crue impératrice du temps des colonies.

On est en 2008. La laïcité fait force de loi. Dans son orbite les discriminations ont bien tourné. Je veux dire qu’il n’y a pas eu de miracle. Il y a des existences ravagées dans le tout-à-l’égoût de l’origine insituable. Un nom, une couleur de peau, une confession religieuse. Nos compatriotes devraient pourtant savoir qu’on ne fait jamais semblant d’être français. Reste la possibilité de faire place nette.

Mais au fond peut-on se tourner ailleurs sans se contredire ? Oui l’émigration des enfants d’immigrés d’aucuns argueront. Mais là ce n’est même pas un exil, tout juste du désamour. Dans nos nuits américaines il y a toujours un rêve qui dit un nom. Ne croyez donc pas ceux qui soutiennent que la patrie confine à la métaphysique. Les choses sont plus simples : la France est un drame bref qui dure longtemps, une fièvre qui brûle les coeurs les plus froids. Les voitures cramées à côté ? De la rigolade pour une déontologie exsudée par des médias mercenaires !

Nulle désillusion ne se compare à celle de fils sans lendemain que nous fumes. A croire qu’après le printemps de l’immigration a suivi l’hiver de l’intégration. Pour peu qu’on ait du sang post-colonial dans les veines, on a toujours le sentiment de ne pas avoir assez duré. Quant on me demandait : « Francais oui, mais de quelle origine au juste ? » une anxiété me prenait à l’idée de recommencer à être quelqu’un d’autre. Juste pour faire plaisir, pour rassurer aussi. On finit par oublier, ou presque. Du côté de mon Toulouse je faisais les vendanges. Les corneilles guettaient le grain écrasé. Mes amis, Bernard, Stéphane, quittaient le bureau, à la préfecture ou à la mairie. Le soir virait au rose, c’était leur vie.

On dissèque les phrases, puis les émotions. On se rend compte qu’on n’a rien pu inventer comme fausse note dans l’accordéon de la vie de Français-d’origine-quelque chose. J’aimerais pourtant que la ritournelle me lâche depuis que j’ai mis l’Atlantique entre moi et tout ça. Rien n’entaille la double trahison de la mère-patrie sur notre dos et entre soi-même, dévorés que nous étions par l’ombre attardée de la citoyenneté. Le jour des élections nous faisons encore antichambre. Notre bulletin de vote n’arrive pas à l’Assemblée nationale. Des gens bien intentionnés, blancs judéo-chrétiens quoi, débatent, décrètent en notre nom, normal nous n’avons pas d’Histoire pourquoi aller nous occuper de celle des autres ?

C’est drôle lorsque je vois mes étudiants américains se griser de la banlieue, en faire leur western puisque que les westerns sont morts pour de vrai. Il leur suffit de quelques films très « cité », de musique rap, pour que les personnages surgissent : le beur, le flic, le chômage. On ne peut guère leur en vouloir d’être fascinés par la banlieue si c’est pour oublier le ghetto. L’histoire finit toujours par creuser dans la géographie, question de temps et de pouvoir. Je leur dis que le racisme à la française est plutôt idéologique, il est vieux et sûr de lui. Celui à l’américaine est sociologique, il jouit de ses complicités économiques et religieuses. A peine me croient-ils.

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La mondialisation a compliqué la problématique : plus on échange, plus on ferme les frontières. En vérité c’est l’agonie du socialisme marxisant qui a révélé le triomphe du capitalisme mondialisé. Nous naviguons dans un univers propice à l’uniformité et en même temps exalté par son pouvoir de fragmentation. Les établissements financiers sont renfloués tandis que le tissu industriel se pare de sa défroque de plans sociaux et de délocalisations. Ansi le non-lieu de la mondialisation fomente-t-il contre la nation.

Forcément la mémoire devient cette dame d’un certain âge qui attend chaque nuit que son amant de jadis gratte aux volets. Que le fil narratif dévie, que le profil change, tout alors devient suspect dans le grand moule du nationalisme. La Marseillaise que l’on conspue au Stade de France est-elle la même que l’on jouait à Alger, à Dakar, ou à Saïgon, cent ans plus tôt ? C’est reposant de désapprendre l’ironie de l’Histoire.

C’est bien connu, la diversité n’existe pas en France. Tout fonctionne comme si cette tranche post-coloniale de la France était incapable de créer sa culture, son programme politique surtout. Sans jamais manquer de ferveur démocratique, nous sommes restés loin de songer devenir de ces gens des partis que ne fait déroger tant que la représentation par le haut. « A nous le Palais Bourbon, à vous la case de l’oncle Ali ».

L’interdit ou la non-reconnaissance de l’altérité citoyenne me font penser à ces voies ferrées où l’on ne voit guère de train roulant en sens inverse. La nuit peut-être. Sinon c’est à sens unique. Y-aurait-il donc des voyages en retour que l’on ne ferait pas ? Rien de très précis, parait-il. Comme pour ceux qui voulaient à tout prix que je m’appelle David. Et aussi quelques mauvais professeurs pour qui la formule -Pour choisir une carrière- était le meilleur moyen de remettre sur les rails le vieux train colonial : mécanicien, chauffagiste, électricien voilà qui assurera ton avenir et celui de la France !

Ce flou me rappelle des photos. Un de ces exercices à la Perec dans son souvenir d’enfance. Nous sommes droits dans nos galoches. Il faut être quelqu’un d’autre. On sait faire. Pas juste être le camarade de classe de seconde, l’arrière de l’équipe de football, ou le pote de service à cheval sur une mobylette. Là on serre les dents, ça remonte depuis les tripes. Déjà en voie de fixation, le sourire stylisé, on affichait l’ambition de partir, dire un jour qu’on est « arrivé ».

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