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Les mots de la haine

L’article haineux du psychanalyste Patrick Declerck paru dans le quotididien Le Monde a suscité plusieurs réactions. Nous publions aujourd’hui celle du chercheur Shihâb Al-Hâshimî.

M. Patrick Declerck a publié le 12 août 2004, dans le journal Le Monde, un article intitulé « Je hais l’Islam, entre autres… » L’auteur s’y désole qu’une proposition de douze lettres, aussi courte que « Je hais l’Islam », ne puit se dire « en bonne compagnie ». La nostalgie du passé ? Sans doute… Heureuse époque, en ce 23 février 1862, au Collège de France, où des hommes aussi illustres qu’Ernest Renan, non encore atteints par cette « maladie mentale » qu’est la démocratie, pouvaient écrire et exprimer leur haine de l’Islam, sans craindre les bêlements des moutons bien-pensants – espèce encore très rare dans l’Occident de l’époque.

Extrait : « A l’heure qu’il est, la condition essentielle pour que la civilisation européenne se répande, c’est la destruction de la chose sémitique par excellence, la destruction du pouvoir théocratique de l’islamisme* ; car l’islamisme peut n’exister que comme religion officielle ; quand on le réduira à l’état de religion libre et individuelle, il périra. Là est la guerre éternelle, la guerre qui ne cessera que quand le dernier fils d’Ismaël sera mort de misère ou aura été relégué par la terreur au fond du désert. L’Islam est la plus complète négation de l’Europe ; l’Islam est le fanatisme ; l’Islam est le dédain de la science, la suppression de la société civile ; c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une tautologie : « Dieu est Dieu » L’avenir est donc à l’Europe et à l’Europe seule ; l’Europe conquerra le monde et y répandra sa religion, cette croyance qu’il y a quelque chose de divin au sein de l’humanité. »

Quelque chose de divin au sein de l’humanité… M. Declerck se fera l’écho, quelque 142 ans plus tard, de ce texte aux accents colonialistes, en parlant de « la dignité supérieure de l’homme sans dieu », cette dignité qui, comme l’explique implicitement mais fort doctement M. Renan, est la justification première des guerres de colonisation. Curieuse dignité que celle-là…

On l’aura compris… La haine de l’Islam, tout comme celle du Judaïsme, n’est pas un fait nouveau en Europe en général, et en France en particulier. Il convient plutôt de dire que c’est un fait inscrit de manière indélébile dans l’histoire de l’Europe, et dont cette dernière n’a commencé à se défaire que très récemment, lentement mais sûrement, espérons-le… Elle a commencé à s’en défaire après avoir constaté justement les séquelles de la philosophie de la haine prônée par M. Declerck. Elle a commencé à s’en défaire après avoir assisté à la disparition de plusieurs dizaines de millions d’êtres humains, morts dans les guerres mondiales ou dans les guerres de colonisation. Elle a commencé à s’en défaire après avoir pris conscience de la valeur des mots. Les mots de la haine, ces maux qu’Ernest Renan a gravés dans les archives de l’histoire et dont Patrick Declerck se fait l’écho.

Mais revenons-en au texte de notre psychanalyste averti. « En face, […] on s’organise, on planifie, on égorge et on décapite… ». En quatre mots, « on » nous dessine ici le sombre tableau de l’ennemi que l’ « on » est en droit, voire en « devoir » de haïr. Qui « on », se demandera-t-« on » ? Mystère… ou veulerie ? Mais ne nous embarrassons pas de « politiquement correct » ou de qu’en dira-t-« on ». « On  » est assez grand pour comprendre le sens des mots, des mots de la haine. L’ « on » reste néanmoins sur sa faim en apprenant qu’« une majorité de musulmans désapprouvent ces actes ». Et pour tout dire, l’ « on » ne s’y retrouve plus. De quels Musulmans parle-t-« on » ? Des « on », ou d’une majorité réduite au silence par les « on » ? Dans le premier cas, « on » pourra fort à propos reformuler la phrase : « En face, […] les Musulmans s’organisent, les Musulmans planifient, les Musulmans égorgent et les Musulmans décapitent… » Dans le second cas, cette « majorité silencieuse » serait celle des mauvais Musulmans, qui n’égorgent pas et qui ne décapitent pas comme le leur prescrirait leur religion, aux dires de notre très perspicace psychanaliste.

Poursuivant sur une étude psychanalytique fort peu savante, M. Declerck nous livre l’expression de ses fantasmes sur le sexe en Islam, un sexe bestial, un sexe de meute, ou de « banc [de] petits poissons ». Il va sans dire qu’il est toujours intéressant de lire un Européen parler de la sexualité musulmane comme d’une sexualité perverse et refoulée, où le mâle cherche toujours à se protéger soigneusement de l’effet dévastateur que produirait sur lui la tentation de la femelle.

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Intéressant d‘abord par la terminologie « chosificatrice » ou « bestialisatrice » qui y est employée. La chosification ou la bestialisation de celui qu’on perçoit comme l’ennemi est en effet une constante chez l’être humain et dans les organes de propagande. Les images animales utilisées renverront de préférence à des êtres inférieurs, petits, faibles, poltrons, dont la taille est inversement proportionnelle à la haine que l’on éprouve pour le groupe désigné comme l’ennemi. Entre les parasites de Hitler, les rats de Fallaci et les petits poissons de Declerck, voilà bien un bel éventail de la faune à laquelle recourent les mots de la haine.

Intéressant ensuite par l’assènement de prétendues vérités, jamais étayées, mais qui par un effet de miroir, reflètent davantage la psychologie de celui qui les énonce. Ces fantasmes sur la sexualité musulmane, comme sur bien d’autres questions que l’orientalisme a pris pour objet d’étude, tiennent moins compte de la réalité de l’altérité que de l’image qu’on a de soi et qu’on reporte sur l’ennemi désigné. Ce processus, longuement développé par feu Edward Sa`îd dans ses écrits sur l’orientalisme, permet, par voie de réflexion sur l’Autre, de déterminer la nature psychologique profonde de l’intéressé. Lorsque le sexe dans la chrétienté était un sujet tabou et que ceux qui s’y aventuraient étaient damnés pour l’éternité, on se transmettait en terre d’Islam les enseignements d’un certain Muhammad Ibn `Abd Allâh qui élevait l’acte sexuel – au sein du mariage, bien entendu – au rang d’acte de culte par lequel on rendait gloire à Dieu. Lorsque la femme dans la chrétienté était tenue pour responsable du péché originel et assimilée à un serpent dont il convenait de s’écarter, on enseignait dans les mosquées d’« en face », que le même Muhammad Ibn `Abd Allâh disait aimer plus que tout dans la vie d’ici bas les femmes et le parfum.

L’on est alors en droit de se demander qui est concerné par ce tableau que nous dépeint notre psychanaliste : la mémoire occidentale profondément ancrée par des générations et des générations de sédimentation culturelle sexophobe et mysogyne ou la mémoire musulmane pour qui le sexe est un sujet aussi banal qu’un autre, avec son lot de prescriptions, de recommandations et de prohibitions.

L’auteur de « Je hais l’Islam, entre autres… » poursuit sa diatribe en expliquant les raisons qui le poussent à haïr l’Islam : parce qu’ « il permet la guerre sainte. Il permet la charia ». La guerre sainte est un concept totalement étranger à l’Islam mais relevant, encore une fois, du passé culturel de l’Europe. L’auteur est donc ici hors-sujet. La sharî`ah, le droit musulman ou la législation islamique, dans tout ce qu’elle a de délicat, de fin et de diversifié, est un droit à part entière spécifique à l’Islam – qui est une foi et une loi – et qui règle la vie de ses adeptes : depuis la manière de manger jusqu’à la manière de gérer un Etat. Haïr l’Islam car il possède un droit, des plus raffinés qui plus est, relève de la plus pure ignorance de la sharî`ah. La plus pure…

Vient ensuite un passage obscur où il est question d’égorgement et de décapitation qui seraient au cœur de l’Islam ; le meurtre serait au cœur de l’Islam ; la soif de sang serait au cœur de l’Islam. Ce délire – un comble pour un psychanaliste – signifierait que tous ceux qui adhèrent au cœur de l’Islam sont soit des barbares sanguinaires soit des sympathisants. A neutraliser, donc… Joli programme, orchestré par les mots de la haine… Cette haine de l’Islam entre autres, du fait religieux dans son ensemble, cette haine « athée » donc, nous l’avons déjà expérimentée et nous l’expérimentons encore dans d‘autres lieux de notre belle planète. Cette haine-là était le leitmotiv des Staline, Mao, et autres tyrans rouges d’idées et de sang, leitmotiv que M. Declerck se complaît à partager.

* Dans ce contexte, l’islamisme est l’ancien nom de l’Islam.

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