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Dix remarques sur un « collègue »

Les articles et dépêches sur les « menaces de mort » qu’aurait reçues le « prof de philo Robert Redeker » suite à une « tribune sur l’Islam » publiée dans Le Figaro, [1] inspirent, au « prof de philo » que je suis moi aussi, les réflexions suivantes :

1. Il va de soi que de telles menaces sont injustifiables. Rien ne justifie ni la mise à mort, ni même le recours à des simples menaces, contre qui que ce soit, quels que soient les griefs qu’on peut concevoir. Y compris si ces griefs sont fondés.

2. Les propos racistes, pas plus que n’importe quel crime ou délit, ne justifient ni la mise à mort ni les menaces de mort. Ils se combattent judiciairement (en portant plainte), idéologiquement (en produisant et en diffusant un contre-discours argumenté) et politiquement (en organisant des actions collectives de protestation, de sensiblisation ou de boycott). Je parle à dessein de propos racistes : comme certaines des caricatures danoises, comme le pamphlet d’Oriana Fallacci intitulé La rage et l’orgueil, l’article de Robert Redeker qui semble avoir provoqué les menaces de mort va bien au-delà du droit à mes yeux inaliénable à la « critique des religions » ou au « blasphème ». Cet article relève du pur et simple racisme. Il ne cesse d’essentialiser deux « blocs » homogènes qui ne correspondent à aucune réalité, « l’Occident » et « l’Islam », au mépris de la diversité des courants, des évolutions, des tensions, des conflits et contradictions internes qui traversent depuis toujours ces deux « entités ». Il hiérarchise ces deux « essences », l’Occident incarnant ce que l’humanité a produit de meilleur, et l’Islam incarnant le pire. « Jésus est un maître d’amour, Mahomet un maître de haine » [sic !] D’un côté, une « ouverture à autrui, propre à l’Occident » [sic !] qui « se résume ainsi : l’autre doit toujours passer avant moi » [sic !] De l’autre, « l’islam tient la générosité, l’ouverture d’esprit, la tolérance, la douceur, la liberté de la femme et des mœurs, les valeurs démocratiques, pour des marques de décadence. » ! [2] Robert Redeker conclut enfin en soulignant bien, pour les lecteurs qui n’auraient pas compris ses sous-entendus, le lien qui s’impose entre phobie de « l’Islam » et phobie des musulmans : « Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est éduqué, le Coran ». On ne saurait être plus clair : c’est bien tout musulman qui est sous-éduqué et donc sous-humanisé, ou pire : éduqué et humanisé sur un mode pervers, dans un système de normes régi par la haine et la violence.

3. Robert Redeker n’est pas, en matière de racisme anti-musulmans, à son coup d’essai. En novembre 2001, déjà dans Le Figaro, il essentialisait déjà « l’Islam », présentait cette « essence » comme fondamentalement mauvaise (« l’idéologie la plus rétrograde », « une régression barbarisante ») et soulignait déjà aussi le lien entre phobie de l’Islam et phobie des musulmans, en affirmant que « l’Islam installe au plus intime de chaque musulman la paralysie de l’intelligence ».

4. Au regard de la violence raciste de ses écrits, on peut à bon droit s’étonner que M. Redeker n’ait pas été jusqu’à présent convoqué devant les tribunaux. On peut à tout le moins s’étonner que les autorités académiques n’aient pas suspendu, pour d’évidentes raisons d’ordre public autant que d’éthique pédagogique, ce provocateur irresponsable. Les écrits de ce monsieur sont en effet en tous points contraires avec les principes de liberté, d’égalité et de fraternité censés animer l’école de la république. Des propos équivalents à ceux de Robert Redeker sur les Juifs (« Le judaïsme installe la paralysie de l’intelligence au plus intime de chaque juif » ; « Jésus est un maître d’amour, Moïse est un maître de haine », « Haine et violence habitent le livre dans lequel tout juif est éduqué, la Torah ») vaudraient sans doute, et à juste titre, à leur auteur une suspension immédiate. On est en droit d’exiger de l’institution la même intransigeance avec le racisme anti-musulman.

5. Si Robert Redeker n’a pas sa place à l’école publique, il déshonore aussi, plus spécifiquement, la corporation des professeurs de philosophie. Notre discipline est en effet censée former nos élèves à la réflexion, à la rigueur conceptuelle, au refus des généralités, des amalgames et des préjugés. Loin, très loin du « doute hyperbolique » de Descartes, de la passion nietzschéenne pour les « nuances », du questionnement et du « Je sais que je ne sais pas » de Socrate, Robert Redeker se dispense de toute interrogation, de tout doute et de toute nuance, et véhicule sans le moindre complexe les pires stéréotypes. Doublement ignorant, ignorant sur « l’Islam » et ses innombrables déclinaisons, et ignorant de sa propre ignorance, il nous gratifie du « Je les connais, moi » qui est le cri de ralliement de tous les racistes. Il les connaît, lui, les musulmans. Incapable de cet élémentaire bon sens qui comprend que « l’Islam » n’est pas un bloc homogène, pas plus que « l’Occident », Robert Redeker n’est pas non plus capable de faire la différence entre un leader religieux et un simple fidèle, entre un pratiquant ordinaire et un fanatique, entre une autorité politique et une population civile. Il ne connaît qu’un seul personnage : un personnage spectral, aux contours étonnement fluctuants, qui se nomme « l’Islam », et dans lequel viennent se fondre tous les musulmans, quelle que soit leur obédience, leur école, leur statut social, leurs options idéologiques, leurs actes. Le « philosophe » ne recule pas même devant des sophismes aussi grossiers que celui-ci : l’interdiction du string sur les rives de Paris-Plage cet été découlerait d’une « islamisation des esprits » !

6. Faut-il en rire ? Faut-il en pleurer ? On serait tenté de rire de la bêtise de tels propos, s’ils ne venaient mettre de l’huile sur le feu en se surajoutant à un avalanche quasi-quotidienne de sarcasmes ou d’injures à l’égard de « l’Islam » et des musulmans, sur fond de précarité sociale et de discriminations en Europe, de misère, de dictatures et d’« Ordre Mondial » oppressif au Maghreb et au Moyen-Orient. Ne pas rire, ne pas déplorer, ne pas haïr, mais comprendre, disait un authentique philosophe, nommé Baruch Spinoza. Posons nous donc quelques questions : quel intérêt un Robert Redeker trouve-t-il à publier de telles invectives ?

7. Une première piste, psychologique et sociologique, figure dans l’astucieux et souvent désopilant roman publié par « Y.B. » en 2002 et intitulé Allah Superstar. Dans ce roman, qui s’avère chaque jour un peu plus visionnaire, le narrateur est un jeune banlieusard qui se dit lui-même « d’origine difficile » et « musulman pratiquement ». Nourri de culture télévisuelle, il découvre que le chemin le plus court vers les « 15 minutes de célébrité » dont parlait Andy Warhol n’est pas la Star Academy mais une espèce d’Islamophobic Academy : une provocation antimusulmane, qui provoquera immanquablement un tollé médiatique, suivi d’une fatwa ou de menaces de mort, à leur tour surmédiatisées, et voilà comment, du jour au lendemain, n’importe quel galérien se retrouve sous le feu des projecteurs, élevé au rang de héros de la liberté d’expression. Tel n’est-il pas le plan de carrière qui a assuré le succès d’Oriana Fallacci aussi bien que celui de Jack-Alain Léger, Michel Houellebecq, Chahdorrt Djavann et maintenant Robert Redeker : des tâcherons sans talent, écrivains médiocres et (à l’exception de Michel Houellebecq) médiocrement connus et appréciés du public comme de la critique, qui finissent par s’offrir une petite heure de gloire à peu de frais en publiant un brulôt islamophobe ?

8. Une autre piste est politique, et je laisse la question ouverte : quel intérêt a-t-on à souffler sur les braises et à provoquer ainsi à la haine antimusulmane ?

9. À l’heure qu’il est, la police se charge d’assurer la sécurité de Robert Redeker. Des enquêteurs tentent de retrouver la trace, pour le sanctionner, de l’auteur du mail de menaces. Cette mobilisation policière est nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. L’éducation nationale doit prendre ses responsabilités [3] Les associations antiracistes doivent prendre les leurs [4]. Chaque acteur du système médiatique doit s’interroger sur la complaisance dont ce système a fait preuve jusqu’à présent à l’égard de l’islamophobie, qu’elle soit militante ou histrionique [5] Enfin, chacun d’entre nous, musulman, chrétien, juif, athée, agnostique, doit s’astreindre à la vigilance, à l’effort de comprendre et au courage de parler, afin de débusquer le racisme partout où il s’insinue, et de le combattre par les seuls moyens éthiquement défendables et politiquement efficaces : le droit, la pensée et l’action politique.

10. Tous, enfin, méditons cette question que posait le jeune Marx : « Qui éduquera les éducateurs ? »

Notes :

[1] Cette tribune libre, intitulée “Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ?”, est parue dans Le Figaro le 19 septembre 2006. En voici l’intégralité :

“Les réactions suscitées par l’analyse de Benoît XVI sur l’islam et la violence s’inscrivent dans la tentative menée par cet islam d’étouffer ce que l’Occident a de plus précieux qui n’existe dans aucun pays musulman : la liberté de penser et de s’exprimer.

L’islam essaie d’imposer à l’Europe ses règles : ouverture des piscines à certaines heures exclusivement aux femmes, interdiction de caricaturer cette religion, exigence d’un traitement diététique particulier des enfants musulmans dans les cantines, combat pour le port du voile à l’école, accusation d’islamophobie contre les esprits libres.

Comment expliquer l’interdiction du string à Paris-Plages, cet été ? Étrange fut l’argument avancé : risque de « troubles à l’ordre public ». Cela signifiait-il que des bandes de jeunes frustrés risquaient de devenir violents à l’affichage de la beauté ? Ou bien craignait-on des manifestations islamistes, via des brigades de la vertu, aux abords de Paris-Plages ?

Pourtant, la non-interdiction du port du voile dans la rue est, du fait de la réprobation que ce soutien à l’oppression contre les femmes suscite, plus propre à « troubler l’ordre public » que le string. Il n’est pas déplacé de penser que cette interdiction traduit une islamisation des esprits en France, une soumission plus ou moins consciente aux diktats de l’islam. Ou, à tout le moins, qu’elle résulte de l’insidieuse pression musulmane sur les esprits. Islamisation des esprits : ceux-là même qui s’élevaient contre l’inauguration d’un Parvis Jean-Paul-II à Paris ne s’opposent pas à la construction de mosquées. L’islam tente d’obliger l’Europe à se plier à sa vision de l’homme.

Comme jadis avec le communisme, l’Occident se retrouve sous surveillance idéologique. L’islam se présente, à l’image du défunt communisme, comme une alternative au monde occidental. À l’instar du communisme d’autrefois, l’islam, pour conquérir les esprits, joue sur une corde sensible. Il se targue d’une légitimité qui trouble la conscience occidentale, attentive à autrui : être la voix des pauvres de la planète. Hier, la voix des pauvres prétendait venir de Moscou, aujourd’hui elle viendrait de La Mecque ! Aujourd’hui à nouveau, des intellectuels incarnent cet oeil du Coran, comme ils incarnaient l’oeil de Moscou hier. Ils excommunient pour islamophobie, comme hier pour anticommunisme.

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Dans l’ouverture à autrui, propre à l’Occident, se manifeste une sécularisation du christianisme, dont le fond se résume ainsi : l’autre doit toujours passer avant moi. L’Occidental, héritier du christianisme, est l’être qui met son âme à découvert. Il prend le risque de passer pour faible. À l’identique de feu le communisme, l’islam tient la générosité, l’ouverture d’esprit, la tolérance, la douceur, la liberté de la femme et des moeurs, les valeurs démocratiques, pour des marques de décadence.

Ce sont des faiblesses qu’il veut exploiter au moyen « d’idiots utiles », les bonnes consciences imbues de bons sentiments, afin d’imposer l’ordre coranique au monde occidental lui-même.

Le Coran est un livre d’inouïe violence. Maxime Rodinson énonce, dans l’Encyclopédia Universalis, quelques vérités aussi importantes que taboues en France. D’une part, « Muhammad révéla à Médine des qualités insoupçonnées de dirigeant politique et de chef militaire (…) Il recourut à la guerre privée, institution courante en Arabie (…) Muhammad envoya bientôt des petits groupes de ses partisans attaquer les caravanes mekkoises, punissant ainsi ses incrédules compatriotes et du même coup acquérant un riche butin ».

D’autre part, « Muhammad profita de ce succès pour éliminer de Médine, en la faisant massacrer, la dernière tribu juive qui y restait, les Qurayza, qu’il accusait d’un comportement suspect ». Enfin, « après la mort de Khadidja, il épousa une veuve, bonne ménagère, Sawda, et aussi la petite Aisha, qui avait à peine une dizaine d’années. Ses penchants érotiques, longtemps contenus, devaient lui faire contracter concurremment une dizaine de mariages ».

Exaltation de la violence : chef de guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs et polygame, tel se révèle Mahomet à travers le Coran.

De fait, l’Église catholique n’est pas exempte de reproches. Son histoire est jonchée de pages noires, sur lesquelles elle a fait repentance. L’Inquisition, la chasse aux sorcières, l’exécution des philosophes Bruno et Vanini, ces mal-pensants épicuriens, celle, en plein XVIIIe siècle, du chevalier de La Barre pour impiété, ne plaident pas en sa faveur. Mais ce qui différencie le christianisme de l’islam apparaît : il est toujours possible de retourner les valeurs évangéliques, la douce personne de Jésus contre les dérives de l’Église.

Aucune des fautes de l’Église ne plonge ses racines dans l’Évangile. Jésus est non-violent. Le retour à Jésus est un recours contre les excès de l’institution ecclésiale. Le recours à Mahomet, au contraire, renforce la haine et la violence. Jésus est un maître d’amour, Mahomet un maître de haine.

La lapidation de Satan, chaque année à La Mecque, n’est pas qu’un phénomène superstitieux. Elle ne met pas seulement en scène une foule hystérisée flirtant avec la barbarie. Sa portée est anthropologique. Voilà en effet un rite, auquel chaque musulman est invité à se soumettre, inscrivant la violence comme un devoir sacré au coeur du croyant.

Cette lapidation, s’accompagnant annuellement de la mort par piétinement de quelques fidèles, parfois de plusieurs centaines, est un rituel qui couve la violence archaïque.

Au lieu d’éliminer cette violence archaïque, à l’imitation du judaïsme et du christianisme, en la neutralisant (le judaïsme commence par le refus du sacrifice humain, c’est-à-dire l’entrée dans la civilisation, le christianisme transforme le sacrifice en eucharistie), l’islam lui confectionne un nid, où elle croîtra au chaud.

Quand le judaïsme et le christianisme sont des religions dont les rites conjurent la violence, la délégitiment, l’islam est une religion qui, dans son texte sacré même, autant que dans certains de ses rites banals, exalte violence et haine.

Haine et violence habitent le livre dans lequel tout musulman est éduqué, le Coran. Comme aux temps de la guerre froide, violence et intimidation sont les voies utilisées par une idéologie à vocation hégémonique, l’islam, pour poser sa chape de plomb sur le monde. Benoît XVI en souffre la cruelle expérience. Comme en ces temps-là, il faut appeler l’Occident « le monde libre » par rapport à au monde musulman, et comme en ces temps-là les adversaires de ce « monde libre », fonctionnaires zélés de l’oeil du Coran, pullulent en son sein. “. Des réactions aux menaces de mort figurent sur le site NouvelObs

[2] Ces citation, comme les suivantes, proviennent de l’article de Robert Redeker paru dans Le Figaro.

[3] Il faut, comme le soutient la FSU dans un communiqué, “que tout soit fait pour que l’Ecole reste un lieu de formation de l’esprit critique, de respect des autres et de tolérance”. On aurait simplement aimé que la FSU dise clairement que l’article de Robert Redeker entre en totale contradiction avec de tels objectifs.

[4] Le MRAP a condamné les propos de Redeker en même temps que les menaces de mort, mais sans prononcer le mot racisme. La réaction de la LDH a été plus claire, dénonçant sans ambiguité la “haine des musulmans” qui anime Robert Redeker. Sur le plan judiciaire, à ce jour, aucune plainte n’a été déposée.

[5] Songeons, par exemple, à la manière dont la télévision accueille, comme si de rien n’était, des personnages comme Brigitte Bardot ou Maurice Dantec, qui ont à plusieurs reprises tenu des propos d’un racisme anti-musulman extrêmement violent, alors que, par exemple, elle a su faire preuve d’intransigence et boycotter à juste titre Alain Soral lorsqu’il s’est laissé aller à des propos anti-juifs, en compagnie de Dieudonné, dans l’émision “Complément d’enquête” en septembre 2004.

Paru sur lmsi.net

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