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« Démocrates » à géométrie variable : de la dénonciation de la démocratie frelatée en Iran à l’étrange silence sur la Tunisie

Il existe aujourd’hui de par le monde de vraies dictatures, de vraies démocraties, et en Afrique, dans les républiques d’Asie centrale et dans le monde arabe, des démocraties frelatées. Hommage du vice à la vertu puisque reconnaissant implicitement la supériorité de la démocratie et essayant d’en utiliser les rouages, elles n’en demeurent pas moins des dictatures déguisées en démocraties comme le loup de la fable en paisible grand’mère.

De toutes ces démocraties frelatées, la Tunisie est certainement la plus sophistiquée. Le régime se targue, tout en torturant tous azimut depuis vingt ans, d’avoir signé toutes les conventions internationales sur les droits de l’homme. Il réprime avec une violence méthodique toutes les libertés individuelles et publiques, mais n’en organise pas moins régulièrement des parodies d’élections avec des faux partis d’opposition créés de toutes pièces.

Hier, le régime a commis un nième simulacre d’élections présidentielles et législatives dont la mission est de jeter comme d’habitude un voile de légalité démocratique sur des nominations décidées d’avance : celle du dictateur comme président à perpétuité de la monarcho-république et celles de « représentants du peuple » minutieusement choisis pour leur docilité dans le giron du parti du pouvoir et de ses satellites bombardés partis d’opposition. Les plus habiles faussaires ne peuvent abuser indéfiniment leur monde. Aujourd’hui le roi est nu et le régime tunisien apparaît sous son vrai jour, à savoir une dictature policière à forte connotation maffieuse.

Il n’empêche. Que cette élection soit une insulte à l’intelligence et à la dignité des Tunisiens. Que les opposants hurlent à la farce électorale. Qu’ils la dénoncent comme un affront à la démocratie détournant l’un de ses mécanismes pour en faire l’instrument de la légitimation de la dictature. Peu importe au dictateur. Seul le résultat compte et il est en sa faveur. Toutes les stratégies mises en place par l’opposition démocratique ont échoué. La participation, pour le principe et la protestation symbolique, prônée par certains politiciens, fait le jeu du pouvoir et n’apporte à ses partisans qu’un peu de publicité personnelle le temps d’une bulle médiatique.

La dictature sait choisir ses « opposants » et laisser les autres s’égosiller en vaines et futiles complaintes de la victime. L’appel au boycott s’avère tout aussi inefficace. De façon spontanée, la population déserte massivement les urnes mais prend garde à ne pas descendre dans la rue sachant qu’elle n’a aucune chance devant les hordes policières prêtes à tirer dans le tas. Or, du moment que le boycott est passif, le pouvoir n’en a cure puisqu’il peut gonfler tout autant le taux de participation que le score du président chronique.

Dès lors, la question est : que faire pour empêcher des faussaires patentés de commettre un forfait au vu et au su de tous, à commencer par les grands pays démocratiques ?

Il y a, certes, la nécessité de la mobilisation interne et le passage de la résistance civile passive à une résistance pacifique mais active. Elle relèvera toujours de la responsabilité des Tunisiens et d’eux seuls. La liberté, cela se mérite.

Reste la part qui leur échappe, à savoir la dimension internationale. Aujourd’hui, toutes les dictatures arabes, et la tunisienne en particulier, sont des protectorats occidentaux de facto. Quel ironique paradoxe de voir les vertueuses démocraties occidentales soutenir nos dictateurs, le mot d’ordre semblant être : si notre liberté est au prix de « leur » servitude, ainsi soit-il.

Nos dictateurs arabes, et le tunisien en particulier, ont acheté l’appui de l’Occident démocratique en se faisant les dociles supplétifs du contrôle du danger islamiste et de l’émigration clandestine, sans oublier les gros marchés et les petites corruptions. Guettez, le 26 octobre, les chaleureux télégrammes de félicitations au dictateur élu comme d’habitude à 90 %.

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Pour nous, démocrates tunisiens et arabes, les choses sont claires. Nos dictateurs ont les Etats pour alliés, nous avons les sociétés civiles à nos côtés.

Que peuvent-elles et que doivent-elles faire pour nous aider à acquérir notre seconde indépendance et une vraie stabilité dans la région ?

Elles doivent poser un certain nombre de questions et exiger de leurs dirigeants des réponses claires. Comment peut-on être pour la démocratie chez soi et pour la dictature chez les voisins de palier ? Les dictateurs corrompus et honnis par leurs peuples sont-ils les pompiers ou les pyromanes des incendies allumés sur la rive sud ?

À long terme, qu’est ce qui est plus rentable pour l’Occident : avoir en face des régimes démocratiques, même avec une composante islamiste, ou des oligarchies militaires et policières corrompues et violentes en guerre civile déclarée ou larvée avec leurs peuples ?

Mais surtout, une vraie démocratie peut-elle porter à bout de bras une démocratie frelatée ? Autrement dit, une démocratie appuyant la dictature n’a-t-elle pas trahi ses propres idéaux et n’a-t-elle pas commencé son long chemin vers le statut d’une démocratie frelatée ?

Nelson Mandela disait qu’un homme ou un peuple n’est jamais aussi libre que quand il se bat pour la liberté d’un autre homme ou un autre peuple. A méditer par tous les démocrates à géométrie variable.

Moncef Marzouki, professeur de médecine, président d’honneur de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) co-auteur de l’ouvrage avec Vincent Geisser, Dictateurs en sursis.

Une voie démocratique pour le monde arabe, éditions de l’Atelier, vient de paraître (Préface de Noël Mamère).

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