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De Naplouse à Shfa’Amr : deux enterrements palestiniens

J’étais à Naplouse il y a trois semaines, avec la 107e mission civile : une ville de 220 000 habitants verrouillée par deux check points parmi les plus féroces de la Cisjordanie.

Nous sommes passés par l’un d’eux Hawara, où les gens s’entassent dans un étroit couloir grillagé terminé par un tourniquet qui se bloque sur commande des soldats postés devant. La personne est alors enserrée de haut en bas dans une sorte de tube de grilles sans pouvoir même bouger les bras. Une femme enfermée là depuis un quart d’heure s’est mise à hurler en secouant le dispositif. Cela peut durer le temps que décide le soldat. Très difficile de sortir de Naplouse….

Pour nous il n’a pas été facile d’y entrer : le soldat nous à demandé ce que nous venions faire, et au prétexte de notre invitation par l’université pour étudier le patrimoine culturel de la ville, il a répondu : « je ne connais pas de culture à Naplouse, je n’y connais que des tueurs et des terroristes. » Par 40° à l’ombre, c’est étrange de sentir son sang se glacer.

Nous sommes finalement entrés dans cette ville des montagnes qui ressemble à une duègne espagnole austère et conservatrice.

Notre première nuit a été rythmée par les tirs de pétards qui fêtaient les résultats du baccalauréat jusqu’à environ 23h. Puis, comme toutes les nuits ou presque l’armée entre dans la ville, c’est un couvre feu qui ne dit pas son nom, où que l’on soit on regagne son domicile avant cette heure fatidique. Et donc après 23h autre séance de tirs échangés entre les soldats et les diverses factions armées et autres bandes dont beaucoup disent qu’elles ne sont même pas politiques.

Il est deux heures du matin, il fait chaud dans les chambres sans air conditionné, les tirs s’arrêtent peu à peu et l’on trouve enfin le sommeil… 5 heures du matin, le muezzin entame un long très long solo qui semble vouloir défier, surtout par son volume déchaîné, l’armée, les colons, tous les ennemis qui assiègent la ville. Il n’y a que Dieu… concluent souvent les femmes qui racontent les malheurs de Naplouse. Je me souviens du Muezzin de Jaffa, en Israël qui semble lui chuchoter timidement pour ne surtout pas déranger les voisins juifs. Se rendormir enfin… mais non, çà recommence, le muezzin reprend une sorte de long discours qui ne ressemble pas à une prière.

Tôt le matin et fatigués par cette nuit rock and roll , nous apprenons devant notre café que dans l’incursion de la nuit, une jeune homme a été pourchassé et tué d’une balle dans la tête après avoir été immobilisé par une blessure aux jambes. La longue harangue de l’aube c’était l’un de ses amis qui informait la ville.

Nous traversons Naplouse vers le camp de Balata où aura lieu l’enterrement. Fatmé Qadoumi une élue responsable d’une l’association d’aide à la vieille ville, nous accompagne. La ville semble sortir lentement de sa torpeur nocturne, des hommes marchent dans les rues comme on va vers certaines manifestations importantes, le visage tendu, l’air grave, le corps légèrement en avant. C’est Monsieur tout le monde, petits commerçants, des hommes en costumes, des jeunes, des hommes mûrs, tous vont à Balata. Puis des voitures pleines convergent aussi vers le camp, Fatmé les larmes aux yeux nous fait constater que les vitres sont baissées et que presque toutes les voitures ont mis la même K7 d’un chant connu à Naplouse, celui du Chahid. Le moment est particulier, concentré, de la ville entière les hommes se sont levés et arrivent pour honorer leur mort : C’est l’une des rares choses que l’on ne peut leur enlever, ce moment de recueillement silencieux, ce chemin avec ce chant, il n’y a rien à dire à Naplouse, des enterrements comme celui là il y en a 4 ou 5 par semaines.

Plus près du camp arrivent les jeeps chargées des factions armées ; chacune son uniforme, ses drapeaux, ses armes. Devant la mosquée, les factions tirent en l’air jusqu’ au moment où le corps est amené à l’intérieur. Puis le silence revient.

Sur la route des gens se sont inquiétés pour nous, et nous sommes demandés quelle place nous pourrions tenir dans cette cérémonie. Devant la mosquée on nous regarde beaucoup, la plupart du temps de façon inexpressive ou en tous cas indéchiffrable. Finalement, nous avons trouvé une place, alignés le long d’un mur à l’ombre parcimonieuse, légèrement en retrait, et silencieux, cela m’a rappelé les rassemblements des femmes en noir à Paris.

Le lendemain, dans une réunion, un homme nous a demandé comment nous pensions pouvoir expliquer à un public français ce qu’était un enterrement palestinien, parce que disait-il, vous avez vu chez nous on tire en l’air, on crie, alors qu’en Israël les enterrements juifs se font comme en Europe avec des fleurs … je lui ai répondu que je raconterais par exemple ce matin là, la traversée silencieuse de la ville de tout un petit peuple pour aller enterrer son chahid de 22 ans.

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Shfa’Amr dite Shfar’am en hébreu est une petite ville de montagne près de Nazareth, en Israël. Nous sommes le 5 août et l’on enterre ici les 4 habitants tués dans l’attentat du bus commis par un déserteur fou et armé. La stupeur passée, le message a circulé dans les mouvements anticolonialistes israéliens : il faut être présents à l’enterrement. Les morts d’octobre 2000 (tués par la police dans les villages palestiniens d’Israël lors des manifestations contre la répression de l’intifada naissante) sont dans toutes les têtes. Le mouvement Ta’ayush est né de cette tuerie d’octobre.

Nous arrivons moites de Tel Aviv, l’air conditionné de la voiture a renoncé devant l’ardeur de la chaleur extérieure. Il est 14h et nous sortons dans la fournaise, au milieu de la foule immense qui reflue du cimetière musulman où viennent d’être inhumées deux jeunes filles, deux sœurs. Les femmes très nombreuses ont toutes les yeux rougis de larmes, les tenues varient, du noir voilé, au noir décolleté très chrétien. Beaucoup de croix.

 

Moment de pause dans les locaux de balad, front démocratique national, visiblement dominant dans la ville. Tous les députés sont là. Les bouteilles d’eau circulent, on argumente sur la prévisibilité d’un tel acte, fruit de toute une politique, et sa reproductibilité. On glose sur les titres plus ou moins clairs des journaux, Ha’aretz met en évidence le lynchage du meurtrier, Yediyot parle clairement de terrorisme. On évoque les coups de téléphones de Sharon à tous les députés palestiniens de la Knesset.

Le deuxième enterrement des deux hommes chrétiens, va commencer, nous ressortons. La cérémonie a lieu dans l’église. De nombreux groupes de militants sont arrivés de Jérusalem, Tel Aviv, Haïfa, ils sont dispersés dans la foule, une mission civile est présente aussi. Leur présence est acceptée, remarquée, souhaitée. Un chauffeur de la compagnie Egged d’autobus chargé d’une couronne de fleurs cherche son chemin et ses collègues dans la foule, avec l’air d’un poisson tombé par erreur hors de son aquarium – Le chauffeur du bus est l’une des victimes .

La foule semble encore plus dense, si c’est possible, et crie sa colère, en une véritable manifestation. Le slogan dominant : « chrétiens musulmans, druzes, un seule peuple une seule nation ». Shfa’amr est la ville des trois communautés. Un autre slogan revient : « Sharon Mofaz, c’est notre pays, on est chez nous ». Cela me rappelle le slogan du MIB. Les manifestants sont régulièrement arrosés par des bouteilles d’eau, pour rafraîchir l’atmosphère.

Près de moi deux enfants déroulent une banderolle : « un attentat juif unique, les arabes eux sont tous des assassins » second degré qui en dit long sur la frustration contenue d’une population sans arrêt contrôlée et suspectée, pendant que l’on tue ses frères en Palestine occupée. Il manque un porteur, je propose mes services, étonnement, mais on me tend un côté à tenir. Les gens regardent avec curiosité et sympathie, les photographes affluent, visiblement le symbole fait mouche. La jeunesse mixte et bariolée crie et chante sa colère, sans complexe et presque joyeusement au-delà de la tristesse, on n’est pas à Naplouse ici, on n’épouse pas quotidiennement la mort. Mais on sent le bouillonnement, l’énergie de feu de l’humiliation retenue, de l’impossibilité d’exister comme citoyen de son pays à part entière, ni vraiment Israéliens, pour cela il faut être juif, ni Palestiniens comme ceux des territoires, mais une sorte d’hybridation étrange, en apparence peut être. En tous cas il y a de la revendication dans cette colère, et de l’exigence de droit. Mais une grande inquiétude se lit aussi dans les yeux des gens plus âgés.

Un jeune homme grimpe sur un mur décrocher un drapeau israélien, et il tombe au milieu d’un groupe de jeunes qui tentent vainement de le brûler avec leurs briquets. Finalement ils le déchirent et chacun en empoche un morceau avec un air de défi.

La manif se disperse dans le calme des centaines de bouteilles d’eau vides jonchent le sol de la ville.

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