La mer noire n'est pas persique, le Qatar et l'Arabie sont à des années lumières de Dostoïevski, mais le jeu de mots avec la Crimée était tentant.)
Le Qatar est une protubérance sableuse du rivage de l'Arabie Saoudite. Pays et peuple insignifiants mais poche de gaz géante. Sa population est wahhabite comme celle de l'Arabie mais ils sont frères ennemis. Les deux monarques revendiquent pareillement la primauté du dogme fondamentaliste pratiqué par leurs 22 millions de sujets mais ils divergent sur la méthode de sa propagation auprès des 1,6 milliards de musulmans du monde. C'est pourquoi, l'Emir se verrait bien Calife à la place du Roi d'Arabie. Cette querelle théologique entre islamistes d'un autre âge fait les délices d'Israël car ce n'est pas demain la veille que les richissimes bédouins financeront la libération de la Palestine, ils sont trop occupés à se chamailler pour la conquête de l'Au-delà !
Il suffit de regarder la carte pour constater que la fable qui se joue dans cette contrée rappelle celle de la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le bœuf. Le petit Qatar a pour unique frontière terrestre une bordure de cailloux de 60km avec l'Arabie.
Qu'importe, le lilliputien continue de narguer le géant voisin lequel menace de le réduire diplomatiquement et militairement. Ce n'est pas encore la guerre, mais on n'est pas loin. L'indifférence est générale car si l'Arabie envahissait le Qatar en quarante cinq minutes chrono, la communauté internationales ne verserait que des larmes de crocodile.
En attendant ces lendemains improbables, une crise sans précédent ébranle le Conseil de Coopération du Golfe – le GCC – l'organisation pour la sécurité militaire des pétromonarchies arabes : Arabie, Qatar, Bahrein, Koweit, Oman et la fédération des sept minuscules Emirats Arabes Unis.
En voici la cause :
Au début du mois de mars, les activistes du Royaume de Bahrein – l'équivalent saoudien de la Principauté de Monaco – ont multiplié les rassemblements de protestation. La police a redoublé de vigueur. Dans ce chaos façon Maïdan, une bombe téléguidée a tué trois officiers des forces répressives dont l'un s'est révélé être de nationalité émirienne. Aux Emirats Arabes Unis, stupeur et consternation ont précédé l'organisation de funérailles quasi nationales. L'opinion publique a découvert que le GCC entretenait une armée policière secrète « awaj el khalij » chargée de traquer les dissidents catalogués : principalement les chiites et les Frères musulmans.
Sous le coup de l'émotion provoquée par l'attentat, le Qatar a vite été soupçonné d'instrumentaliser une cinquième colonne car d'une part, son Emir partage discrètement avec l'Iran des gisements de gaz offshore et d'autre part il alimente généreusement les caisses des Frères musulmans en Egypte et en Syrie. Enfin, Al Jazirah, la CNN arabe qui émet depuis Doha se charge par la voix du télé-prédicateur El Qardaoui de verser de l'huile sur les braises. D'où l'ire de la maison des Saoud qui vient d'inscrire les Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes.
A Riyad, le pouvoir est en train de changer de main. Le plus sérieux des prétendants au trône le Prince Mohamed ben Nayef, ministre de l'intérieur a consolidé son pouvoir. Il est parvenu à déboulonner le célèbre Bandar Ben Sultan afin de récupérer sous son autorité directe la très puissante organisation des opérations extérieures. Le ministre concentre désormais entre ses mains la police religieuse, les gardes frontières et l'ensemble des services secrets. Ceci lui confère un redoutable pouvoir d'intervention à l'intérieur du royaume mais aussi sur une bonne partie de la planète à travers les réseaux de financements des groupes salafistes.
Toutefois, la première manifestation de sa nouvelle puissance a été apaisante. Le royaume a décrété le jihad illégal et menacé de prison tout ressortissant saoudien qui s'y adonnerait. Ce signal fort a porté conséquence de tarir l'argent de la guerre de Syrie. La seconde mesure d'autorité de Ben Nayef s'est exprimée contre Doha. Le Qatar a été sommé de s'aligner et de cesser de distribuer des enveloppes. En vain. Alors, prenant prétexte de l'attentat de Bahrein, l'Arabie a rappelé son ambassadeur et menacé de fermer la frontière avec le Qatar. Bahrein et les Emirats Arabes Unis ont fait de même.
Le Qatar se retrouve en situation de pré-blocus. Rien de dramatique pour le moment, Doha ne sera pas Gaza !
D'ailleurs, la solidarité entre monarques du pétrole a ses limites. Ni le Kuwait, ni Oman ne se sont joints à la posture belliqueuse de leurs comparses. Le Kuwait est resté à l'écart car il n'a rien à gagner mais tout à perdre dans cette aventure qui indispose ses influents voisins de Baghdad et de Téhéran. A l'autre bout du Golfe, le Sultan d'Oman joue le rôle du conciliateur pragmatique car il vient se signer un accord pour le transit du gaz avec l'Iran. Le belliciste des wahhabites saoudiens vis–à–vis des chiites est loin d'être partagée par les riverains du Golfe arabo-persique.
Faut-il pour autant considérer la crise du GCC comme la manifestation d'humeur passagère de quelques tribus bédouines ? Pas seulement car elle reflète aussi les mutations de la gouvernance régionale qui s'annoncent sur fond d'un retour en force de la prééminence des Etats-Unis après trois années de bouderies pour cause de Pr
intemps arabes.
A Doha, l'Emir Tamim est un novice de huit mois dans la fonction qui cherche à exister dans un environnement international qui l'ignore superbement et peine à retenir son prénom en dehors des évènements sportifs.
A Abu Dhabi, le Sheik Khalifa ben Zayed est au plus mal, le Prince héritier le Général Mohamed ben Zayed se prépare à lui succéder à la tête de la fédération des Emirats accompagné des meilleurs vœux des principales nations occidentales et arabes.
A Riyad, le très vieux roi malade ne règne plus. A la cour des sept mille princes la lutte pour le trône n'est pas gagnée d'avance mais Mohamed Ben Nayef a pris une sérieuse option. Agé de 55 ans il a grandi à l'ombre de son géniteur qui fut sans discontinuer ministre de l'intérieur trente sept ans durant. Avant d'être nommé vice ministre de son père en 1999, puis ministre plein en 2012 il a suivi dans sa jeunesse les cursus complets de l'école du FBI puis de Scotland Yard. Ce puritain n'a pas la réputation d'un tendre mais sous sa férule inspirée, le royaume a rompu avec son traditionnel activisme universel pour recentrer son influence sur ses voisins immédiats de la péninsule arabe.
Cette nouvelle doctrine devrait sans peine être adoubée par Obama qui se rend en Arabie dans quelques jours pour relancer l'amitié historique entre ces deux pays aux intérêts croisés. Il sera aussi question du petit grain de sable nommé Qatar. Car dans cette région où chaque Etat arabe héberge une giga base militaire US, rien, rien, non rien ne peut advenir sans la volonté d'Allah…. et des Etats–Unis d'Amérique.
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