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Comment les Arabes ont-ils perdu la Palestine ? Examen historique (1916-1948)

Réfugiés palestiniens en 1948 photo domaine public

Au moment où j’avance doucement dans la rédaction d’un ouvrage sur le déclin de la civilisation islamique, j’ai été amené à examiner de près les évènements qui se sont produits à l’aube de l’époque moderne et au début du XXème siècle, au Proche-Orient.

Quelle n’a pas été ma surprise de constater que les causes de cet inexorable déclin ont eu aussi des effets catastrophiques sur la perte par les Arabes de la Palestine au cours de ce siècle, notamment à ses débuts.

Il est important de ne pas voir dans cette tragédie absolue, dont la conséquence immédiate est le risque de génocide subi par le peuple palestinien, le seul et unique résultat du « projet sioniste » soutenu par certains dirigeants britanniques, comme Lloyd George et Winston Churchill, conformément à la déclaration Balfour de 1917.

Il est également nécessaire de pointer les erreurs stratégiques désastreuses commises par les dirigeants arabes de l’époque, qui ont facilité grandement la matérialisation de ce projet, jusqu’à ce qu’il débouche sur la création de l’Etat d’Israël.

L’objet de cet article est précisément de jeter une lumière crue sur ces erreurs, qui sont le résultat du long délitement de la civilisation islamique depuis le Moyen Âge, et de situer la responsabilité de leurs auteurs : ces dirigeants arabes qui échouèrent à mener leur lutte contre la domination européenne et le projet sioniste de manière rationnelle et responsable.

Allah, Le Très-Haut, a dit dans le Coran :

« Il (l’homme) a  par devant lui et derrière des Anges qui se relaient et qui veillent sur lui par ordre de Dieu. En vérité, Dieu ne modifie pas ce qui est en eux-mêmes. Et lorsque Dieu veut (infliger) un mal à un peuple, nul ne peut le repousser : ils n’ont en dehors de lui aucun protecteur[1] ».

Il n’y pas de fatalité dans l’échec des Arabes durant ces évènements. Mais ce qui est arrivé est arrivé en raison de l’irrationalité et de la mauvaise conduite des questions politiques et militaires au Proche-Orient, à cette époque.

Un contre-exemple suffit à le démontrer : après plus d’un siècle de domination coloniale française en Algérie, le mouvement nationaliste algérien a mené sa lutte contre la colonisation avec rationalité, en rassemblant toutes les forces vives de la nation algérienne opprimée par le colonisateur français. Spontanément, le mouvement indépendantiste algérien est né en 1920, en se solidarisant avec les autres mouvements au Maghreb sous la bannière de l’Etoile nord-africaine (ENA), puis du Parti du Peuple Algérien (PPA), créé en 1937, et du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD).

Ensuite, tous ces mouvements politiques algériens, ainsi que l’Association des oulémas musulmans algériens, se sont rassemblés autour du Front de Libération Nationale (FLN) qui livra une guerre de libération dont l’objectif fut « la restauration de l’État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques ».

Ce processus reflète une certaine cohérence dans les discours anticoloniaux, nationalistes et indépendantistes, puisque toutes les tentatives politiques des nationalistes algériens ont débouché sur une volonté commune et nationale de construire un Etat algérien sur les débris de la présence coloniale qui a duré plus d’un siècle et demi.

Les mouvements nationalistes arabes auraient pu évoluer selon le même schéma. Malheureusement, les habitudes héritées d’une longue période de déclin ont empêché ces mouvements de parvenir à s’émanciper de l’ère coloniale occidentale, qui enfanta le projet sioniste. Une série d’erreurs politiques et stratégiques ont fait perdre aux Arabes cette Palestine, terre féconde des trois religions monothéistes.

On va raconter maintenant cette dramatique histoire. Il est essentiel de regarder en face la réalité passée, afin de mieux préparer le terrain aux générations futures et d’éviter de réitérer les mêmes erreurs, car il ne faudrait pas s’y tromper : les germes du déclin sont toujours présents dans le corps mutilé des nations musulmanes.

La révolte arabe durant la Première Guerre mondiale et la manipulation par les puissances européennes des dirigeants arabes

Pendant le 19ème siècle et les débuts du 20ème siècle, le Moyen-Orient arabe est resté dans un état léthargique, en vivant sous la domination ottomane. Les Arabes n’ont jamais profité du déclin de l’empire ottoman pour s’émanciper, même lorsque les pays des Balkans, occupés pendant des siècles par les Turcs, ont commencé à se révolter et à réclamer leurs indépendances.

Cette léthargie et ce déclin, ils vont, hélas, le payer très cher et subir leurs violents contrecoups par la suite. C’est ainsi que deux évènements majeurs se produisirent, au début du XXe siècle, au Moyen-Orient : la révolte arabe entre 1916 et 1918 et l’adoption des accords Sykes-Picot par la France et l’Angleterre, en 1916.

S’il y a un mot qui définit le mieux ce qui s’est passé, c’est celui de manipulation. Les Arabes ont, en effet, été dupés et manipulés par ces puissances, ce qui prouve qu’ils étaient naïfs et qu’ils ne raisonnaient pas de manière rationnelle et intelligente.

Alors que la Péninsule arabique était occupée presque entièrement par l’empire ottoman, les tribus arabes qui y vivaient ne se sont jamais révoltées contre la Sublime porte avant 1916.

Il est bien entendu légitime de fonder son propre Etat, basé sur la culture et la nationalité. Mais il fallait le faire bien avant la Première Guerre mondiale, durant laquelle les puissances européennes se battaient sans pitié pour instaurer leur hégémonie en Europe et dans le reste du monde. L’empire ottoman s’est allié avec les empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie) et a déclaré la guerre contre la triple-entente (France, Grande-Bretagne, Russie) en 1914.

Lorsque le Chérif de la Mecque, Hussein ben Ali, fut choisi par Londres pour saper l’empire ottoman en Arabie et au Moyen-Orient, qui constituaient le noyau dur de ce qui restait de cet empire après les indépendances balkaniques au XIXe siècle, en lui promettant un Etat arabe englobant l’Arabie et le Proche-Orient, ce dernier aurait pu réaliser que la Grande-Bretagne, passée maître dans l’art de « diviser pour mieux régner », ne s’intéressait au rôle politique et militaire des Arabes que parce que l’empire ottoman était devenu un adversaire de la triple-entente.

Le déclenchement de la révolte fut non seulement une trahison du califat musulman, mais aussi un opportunisme parce que le Chérif aurait pu comprendre que la Grande-Bretagne et la France ne se préoccupaient nullement des intérêts des Arabes, elles qui occupaient des territoires musulmans de l’Afrique du Nord à l’Inde.

D’ailleurs, le rival du Chérif Hussein, l’émir Fayçal ibn Saoud Hedjaz, a pris prétexte de cette curieuse initiative de combattre des Musulmans (les Turcs), des hachémites, pour s’attaquer aux troupes d’Hussein à Turabah, la capitale des hachémites, en tuant 5 000 d’entre eux et en les chassant de la péninsule arabique[2].

Il aurait été tout de même judicieux de demander aux alliés un document écrit et signé portant leur promesse, en échange de la révolte arabe. Mais tel ne fut pas le cas. Par ailleurs, le plan stratégique anglais était bien conçu. Après le déclenchement de la révolte en 1916, qui aboutit à la prise de La Mecque et de la ville portuaire d’Aqaba en 1917, les Anglais en Egypte se sont assurés que le front sud était sécurisé. Ils s’attaquèrent alors à la Palestine, le 17 novembre 1917, et prirent Jaffa. Le général britannique Allenby conquit Jérusalem, le 9 décembre 1917.

La dernière étape de la guerre est marquée par la prise de la ville de Damas, en octobre 1918, par les forces combinées des Britanniques et des troupes arabes hachémites, et par la victoire d’Alep, le 26 octobre 1918, qui mit un terme à cette campagne durant laquelle les forces arabes jouèrent un rôle décisif.

L’empire ottoman capitula, le 30 octobre 1918. Alors que les puissances européennes ont ainsi atteint leur objectif suprême, qui était de vaincre l’empire ottoman au Moyen-Orient – surtout la Grande-Bretagne qui voyait dans cette région un prolongement naturel à l’Egypte, à l’Ouest, et à l’Inde, à l’Est, et qui s’engagea dans une guerre mondiale contre les Ottomans – les forces arabes de la révolte, dirigées par le Chérif de la Mecque, ont été flouées, puisque la France et la Grande-Bretagne signèrent, en 1916, les fameux accords Sykes-Picot qui accordaient à la première, la Syrie et le Liban, et à la seconde, la Palestine et l’Irak.

Ces acquisitions furent confirmées lors de la Conférence de Saint Remo d’avril 1920 et le Traité de Sèvres d’août de la même année. Le projet d’un grand Etat arabe, s’étendant de la péninsule arabique au Moyen-Orient, a été définitivement enterré avec la défaite des troupes du Chérif Hussein face aux Français, en janvier 1920, à Damas. Néanmoins, l’un des fils de Hussein, Abdallah sera placé, en 1922, par les Britanniques à la tête d’un royaume de Transjordanie[3].

Le dernier élément de ce remodelage du Proche-Orient sur les débris de l’empire ottoman, qui reflète la vaste manipulation subie par les Arabes, est la mise en œuvre du projet sioniste par la Grande-Bretagne, en vertu de la déclaration Balfour du 2 novembre 1917. Elle promettait la création d’un « foyer national juif » en Palestine, sur un territoire qui devait appartenir au grand Etat arabe qui ne verra jamais le jour[4].

Ce qui prouve la naïveté confondante des Arabes est l’absence d’un document formel signé, portant l’engagement de Londres de permettre la création de l’Etat arabe unifié après la fin de la guerre contre l’empire ottoman. Seul existait un échange de lettres avec le haut-commissaire britannique au Caire en 1915, Sir Henry Mac-Mahon[5], dans lequel figurait une simple promesse et non un texte écrit et signé ou même une déclaration officielle.

En revanche, les accords de Sykes-Picot sont un texte signé, dont des copies ont été remises aux parties présentes lors de leur signature. Pour preuve, une copie de ce texte a été découverte dans les archives du ministère des Affaires étrangères russe après la révolution d’Octobre. C’est alors qu’en janvier 1918, le nouveau gouvernement bolchévique informa le gouvernement turc de l’existence de ces accords secrets, qui ont été finalement révélés au grand public en novembre 1917, dans un article de la Pravda.

Ce dernier a fait parvenir au Chérif Hussein cette nouvelle fracassante. C’est alors que le chérif demanda des explications au gouvernement britannique.

Il convient de citer la réponse britannique, afin de montrer à quel point le Chérif Hussein a été dupé[6] : « Le gouvernement de sa Majesté et ses alliés n’ont pas abandonné leur politique qui consiste à apporter leur concours le plus entier à tous les mouvements qui luttent pour la libération des Nations opprimées. En vertu de ce principe, ils sont plus que jamais résolus à soutenir les peuples arabes dans leurs efforts pour instaurer un monde arabe dans lequel la loi remplacera l’arbitraire ottoman et où l’unité prévaudra sur les rivalités artificiellement provoquées par les intrigues des administrations turques. Le gouvernement de Sa Majesté confirme ses promesses antérieures concernant la libération des peuples arabes ».

Dans cette déclaration, il n’est aucunement fait mention à la promesse britannique quant à la création d’un royaume arabe unifié, s’étendant de la péninsule arabique au Proche-Orient. Il y a juste une vague référence au soutien à l’unité du monde arabe, qui n’a rien à voir avec un projet précis de création d’une entité politique avec des frontières bien définies.

Le Chérif Hussein n’était pas entouré de diplomates et de juristes capables de lui prodiguer les conseils et orientations nécessaires dans un tel cas de figure, en raison du déclin du monde musulman qui, à cette époque et pendant les siècles de domination ottomane, ne disposait pas d’universités pour former de tels cadres.

Le pouvoir britannique en Egypte avait bien envoyé l’officier Edward Lawrence auprès du Chérif Hussein pour le conseiller et aider la révolte. Mais celui-ci a uniquement servi les intérêts de la Grande-Bretagne, se gardant bien de prodiguer le moindre conseil au Chérif Hussein.

Par contre, cet énigmatique officier britannique assista bien à la rencontre, en avril 1918, entre le fils du chérif, Fayçal, et Haïm Weizmann, le chef du mouvement sioniste, durant laquelle Fayçal se serait montré compréhensif à l’égard du projet sioniste[7].

Un pacte entre le mouvement sioniste et Fayçal aurait été signé le 3 janvier 1919, comportant une entente cordiale entre eux[8]. Peu importe les intentions réelles de Fayçal et de son père, le Chérif Hussein, à l’égard du projet sioniste. Le plus important est que Lawrence a parfaitement accompli sa mission, tout allant dans le sens de la stratégie britannique qui visait à dominer une partie du Proche-Orient et de promouvoir le projet sioniste, conformément à la déclaration Balfour, aux relations étroites entretenues entre Weizman et le gouvernement britannique après sa contribution scientifique à l’effort de guerre de la Grande-Bretagne et à l’intérêt de Londres de se rapprocher de la communauté juive des Etats-Unis.

Pour sa part, le mouvement sioniste n’a pas soutenu le Chérif Hussein dans sa lutte contre les Français pour créer un Etat arabe unifié. En outre, Lawrence se permettait même de dicter au Chérif Hussein ce qu’il devait dire et écrire, tellement l’entourage de ce dernier a manqué cruellement d’une intelligentsia capable de l’appuyer dans son travail.

Nous avons ainsi vu que les erreurs du Chérif Hussein, dont la plus importante fut la non exigence de la part des Britanniques d’un traité écrit et signé, stipulant noir sur blanc l’accord de la Grande-Bretagne pour la création d’un Etat arabe unifié couvrant le Moyen-Orient, en échange de la participation des tribus arabes à l’effort de guerre contre l’empire ottoman, ont été monumentales.

Si le Cheikh Hussein n’avait pas commis cette erreur, la carte du Moyen-Orient aurait été très différente de ce qu’elle est aujourd’hui, et la Palestine aurait été arabe et non israélienne. Au lieu de cela, la Grande-Bretagne et la France se sont partagé les dépouilles de l’empire ottoman dans sa partie arabe, dans le cadre des accords de Sykes-Picot. Le Cheikh Hussein a, en plus, commis le grave péché d’avoir combattu d’autres musulmans (les Turcs), ce qui lui a coûté l’aliénation des wahhabites qui se sont alliés à Saoud.

Par la suite, le Cheikh Hussein a disparu progressivement de la scène politique, en raison d’autres erreurs comme son auto-proclamation de « calife de tous les musulmans » après l’abolition du califat ottoman en 1924, et l’interdiction du hadj aux wahhabites, lesquels, furieux, chassèrent les partisans du Cheikh Hussein de l’Arabie et mirent à sac la cité de Taïf.

Trois ans auparavant, les fils d’Hussein, Fayçal et Abdallah, reçurent respectivement l’Irak et la Transjordanie.

La perte progressive de la Palestine par les Arabes : la série de leurs erreurs stratégiques

En 1922, le Ministre des colonies, Winston Churchill, élabora le Livre blanc qui prévoyait la création d’un foyer juif en Palestine et la relance de l’immigration juive dans ce territoire.

Lorsque les autorités britanniques ont compris que les révoltes arabes en Palestine et les affrontements entre les Arabes et les Juifs étaient provoquées par les achats de terres du Fonds national juif, qui dépossédait les Arabes de leurs terres, et l’arrivée de plus en plus accélérée d’immigrants juifs en Palestine, dont le nombre atteignit, entre 1933 et 1936, plus de 164 000 juifs[9], ils n’ont pu rien faire en raison de l’opposition de Churchill et de Lloyd George à toute remise en cause du Livre blanc et de l’objectif de création d’un foyer juif en Palestine.

Soudain, une grande opportunité s’ouvrit pour les Arabes qui, lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata en 1939, sont subitement devenus des interlocuteurs sérieux pour la Grande-Bretagne qui a ressenti le besoin de leur aide dans l’effort de guerre, alors que l’armée allemande avançait vers le Moyen-Orient.

Le 17 mai, un nouveau Livre Blanc a été adopté par le Ministre des colonies, Mc Donald, avec l’approbation du Premier ministre Chamberlain qui a mis fin à l’immigration juive massive (limité à 20 000 immigrants par an pendant cinq ans) et à la vente de terres aux juifs en Palestine[10]. Cependant, les nouveaux dirigeants arabes commirent une erreur fatale : Hadj al-Amin el-Husseini, le mufti de Jérusalem et le dirigeant principal des Palestiniens, et Rashid Ali, le nouveau gouverneur putschiste de l’Irak  s’allièrent à l’Allemagne nazie. Le premier a même été reçu par Hitler à Berlin, le 28 novembre 1941.

Quant au second, il a permis à l’aviation allemande de se ravitailler en Irak[11]. Même le chef d’état-major de l’armée égyptienne à cette époque, Aziz Pacha Al Masri, a choisi le même mauvais camp. Anouar al-Sadate, le futur président égyptien, a tenté de sauver ce dernier des griffes britanniques. Mais il a été débusqué grâce à des espions juifs au Caire[12].

Ces trois personnages ont vraiment hérité l’irrationalité après des siècles de déclin des musulmans. Dans ses mémoires, el-Husseini écrit : « L’Allemagne était considérée comme notre ami puisque ce n’était pas un pays impérialiste, et qu’elle n’avait pas porté atteinte à un seul Etat arabe ou musulman dans le passé. Elle combattait nos ennemis impérialistes et sionistes, et après tous les ennemis de nos ennemis étaient nos amis. J’étais certain qu’une victoire allemande sauverait complètement notre pays de l’impérialisme et du sionisme[13] ».

C’est une affirmation qui reflète une méconnaissance des règles les plus élémentaires de la géostratégie et même de la géographie. Une simple observation d’une carte de l’Afrique du Nord et de la Russie du Sud et une connaissance approchée des moyens militaires et des défenses de la Russie et de la Grande-Bretagne dans le Caucase et en Egypte auraient permis à el-Husseini de comprendre que les armées allemandes n’étaient pas encore arrivées et ne pouvaient atteindre que miraculeusement les frontières de ces deux territoires sans parler du fait que le risque était grand de faire de la Grande-Bretagne, puissance occupante majeure, une ennemie au moment où la rivalité des Arabes et des juifs était à son paroxysme et que Churchill, un soutien indéfectible de la cause sioniste était de nouveau aux commandes à Londres et avait promis de laisser un million et demi de juifs de venir en Palestine  .

Il est vrai que les armées allemandes progressaient vers le Caucase et l’Egypte, deux objectifs majeurs en raison de leurs positions stratégiques et les richesses pétrolière du Caucase, mais étaient loin de les atteindre. Le général Rommel a bien débarqué en Libye en 1941 et a fait avancer l’Afrikakorps dans le désert vers l’Egypte, mais il a été arrêté à Al Alamein en 1942. L’écrasante supériorité des Britanniques sur le plan naval en Méditerranée et en nombre de chars en Egypte ont fait la différence et l’armée allemande a été finalement repoussée.

Le résultat de cette maladresse ne s’est pas fait attendre. Après la fin de la guerre en 1945, l’immigration juive reprend. Mais encore une fois, une autre opportunité se présente aux Arabes de Palestine qui n’a pas été saisie.

Après le remplacement de Churchill par Attlee comme Premier ministre britannique, le gouvernement britannique entreprend de ne pas encourager l’immigration juive en Palestine au moment où les rescapés des camps de la mort en Europe devaient être dirigées vers ce pays et se retrouve face au mouvement sioniste qui commence alors une guerre contre les britanniques. Si les arabes avaient profité de cette situation, ils auraient pu avoir gain de cause dans ce conflit. Mais ils n’ont rien fait. La raison de cette inaction est la rivalité entre l’Emir de Jordanie, Abdallah et le Mufti de Jérusalem, el-Husseini. Il ne fait pas de doutes que le premier voulait annexer la Palestine, ce qui a incité le second à le détester au point de le faire assassiner en 1951.

En tout cas, cette hostilité entre les deux hommes a été la cause de leur inaction au moment crucial où les Britanniques ont fait marche arrière dans l’édification du foyer juif en Palestine avant qu’ils ne soient remplacés par les Américains quelques années plus tard. Cette hostilité reflète une irrationalité de la part de ces deux dirigeants car leur union était vitale pour empêcher que la Palestine sorte du giron arabe. Abdallah et el-Husseini étaient prisonniers de leurs alliances, respectivement avec les britanniques et avec l’Axe (Allemagne et Italie) qui sont tous les deux des ennemis irréductibles durant la seconde guerre mondiale. Il fallait plutôt qu’ils réunissent leurs forces au moment fatidique au sortir de la seconde guerre mondiale.

Après la conférence de Londres (1946-1947), la Grande-Bretagne décide de quitter la Palestine et de confier son avenir aux Nations unies qui créent une commission d’enquête, l’Unscop (comité spécial des Nations unies sur la Palestine). Celle-ci élabore un plan de partage en 1947 prévoyant la création de deux Etats, arabe et juif et la fin du mandat britannique.

Lorsqu’on examine l’attitude des Palestiniens et des Etats arabes, d’une part, et celle du mouvement sioniste, d’autre part, à l’égard de ce plan de partage, on comprend là aussi que les premiers ont commis une grave erreur en boycottant les travaux de cette commission[14] puis en rejetant le plan de partage qui en a été l’œuvre. En fait, le plan donnait aux Palestiniens, la Galilée occidentale, le centre de la Palestine, le territoire du Sud jusqu’à la frontière égyptienne alors que le reste a été octroyé à l’Etat juif tandis que Jérusalem est placé sous autorité internationale.

Ce n’était pas mal comme début. Les palestiniens et les arabes auraient pu accepter ce plan et régler le problème des frontières plus tard. A l’opposé de cette attitude, les sionistes ont accepté le plan alors qu’ils ont poursuivi leurs attaques contre les britanniques et ont accéléré l’immigration juive illégalement malgré les interdictions de la puissance occupante. Lorsque le 29 novembre 1947, le plan est approuvé par l’assemblée générale des Nations unies, la guerre éclate en Palestine.

En fait, l’erreur des Arabes a été monumentale en raison du fait que leur rejet du plan a facilité ensuite la conquête par le mouvement sioniste de toute la Palestine. Ils ne pouvaient plus réclamer une intervention des Nations unies et des autres puissances pour repousser une agression du mouvement sioniste alors que ce dernier a bénéficié d’une légitimité en acceptant le plan de partage.

Ils se sont comportés d’une manière telle qu’ils remettaient leur sort à l’issue des armes rien de plus. Le secrétaire général de la nouvelle Ligue des Etats arabes, Abdel al-Rahman Azzam Pacha affirme : « Le temps n’est pas aux discours et aux paroles. C’est une question de vie ou de mort ». Une fois de plus, el-Husseini qui est devenu le chef du Haut Comité arabe se dresse contre ce plan de partage en rejetant toute implication des Nations unies.

Mais une telle position conduit en réalité à l’impasse puisque les Arabes revendaient tout le territoire en radicalisant leurs adversaires en Palestine alors que ces derniers en acceptant ce plan ont en apparence reconnu le droit des Palestiniens d’avoir un Etat. De plus, les Etats-Unis et l’Union Soviétique ont été favorables à ce plan et le roi de Jordanie Abdallah a tout fait secrètement pour le mettre en œuvre. Par ailleurs, le rejeter faisait le jeu de l’aile la plus extrémiste du mouvement sioniste (l’Irgoun et le Lehi) qui ne le reconnaissait pas.

L’élément déterminant a été l’entente entre les Etats-Unis et l’Union soviétique favorable au texte qui a permis de « rallier la majorité des deux tiers, nécessaire à l’adoption du texte[15] » du Plan de partage.

Ces deux superpuissances avaient leurs raisons propres : les Etats-Unis comptaient une population importante de juifs américains alors que l’Union soviétique a exploité toutes les voies pour affaiblir et chasser les britanniques du Moyen-Orient et voyait dans la cause sioniste un levier important pour y parvenir sachant que le mouvement sioniste était à cette époque aux prises avec le mandat britannique.

On remarque ainsi que le Haut Comité arabe et la Ligue arabe ont perdu le sens des réalités en adoptant une position radicale au moment où tous les facteurs jouaient en faveur du mouvement sioniste. Ils n’ont pas vu de près que ce Plan leur donnait presque 42% de la Palestine mandataire (11 500 Km2) avec la Galilée occidentale, la bande de Gaza (plus étendue vers le Sinaï qu’aujourd’hui) et la Cisjordanie.  Ce n’était pas rien comme base de départ et pour préserver une grande partie de la Palestine sachant que ce Plan qui n’a d’ailleurs pas été mis en œuvre n’était qu’une étape qui permettait aux Palestiniens d’avoir leur premier Etat indépendant en attendant mieux si les autres Etats arabes pouvaient les aider.

D’ailleurs, leur erreur a été de ne pas déclarer l’indépendance de leur Etat avant ou juste après le vote aux Nations unies du Plan de partage.

Il aurait été judicieux de le faire afin de fixer les choses et définir leurs réelles revendications. Sans une telle action, les Palestiniens ne pouvaient s’appuyer sur rien de légal pour formuler leurs revendications en se différenciant de leurs alliés arabes qui avaient leurs propres prétentions sur la Palestine.

Cette action aurait permis de sortir d’une situation de vide créé par l’échec d’al-Hussein après la première guerre mondiale de créer un royaume arabe unifié et par les accords de Sykes-Picot qui ont donné naissance à une Palestine sous mandat britannique.

Un Etat palestinien déclaré et indépendant aurait créé une nouvelle dynamique remplissant ce vide laissé depuis la fin de l’empire ottoman. Ce vide a été plutôt rempli et exploité par les juifs qui ont profité du vote du plan de partage à l’ONU pour déclarer leur Etat. Ils ont gagné une sorte de légitimité et des territoires en acceptant ce plan alors que les Palestiniens n’avaient que les pays arabes pour changer la situation, ce qui était risqué et irrationnel.

C’est le résultat inexorable de la perte de la rationalité dans la conduite des affaires politiques et stratégiques qui est le lot du vieux déclin qui va se renforcer davantage lorsque la guerre a éclaté entre les Arabes et Israël, nouveau Etat formé dans la suite de ces évènements.

La guerre israélo-arabe de 1948 : après les erreurs stratégiques, les erreurs militaires des Arabes

Pendant la première guerre qui éclate entre 1947 et 1948 en Palestine, et qu’on appelle « guerre civile » pour des raisons qui m’échappent (peut-être en raison du mandat britannique toujours existant durant ces années), se produisit un autre drame pour les Palestiniens : la fuite des populations de leurs lieux d’habitation.

Après les premières attaques de la Haganah, de l’Irgoun et du Palmah, qui sont les entités combattantes du mouvement sioniste contre les villes arabes comme Tibériade et Haïfa, des milliers de Palestiniens s’enfuirent et devinrent des réfugiés dans les pays arabes limitrophes de la Palestine.

Les dirigeants arabes ont commis encore une fois une erreur : ils ont demandé aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées de quitter les villages et les villes[16]. Même s’ils ont réalisé leur erreur par la suite, en demandant aux populations de ne pas quitter leurs maisons, il était trop tard : les populations palestiniennes, terrifiėes par les massacres des civils et les combats ont fui par milliers.

Les conditions ont été ainsi réunies pour que le mouvement sioniste acquière de nouveaux territoires qui seront habités par les immigrés juifs, qui n’ont plus rencontré d’obstacles à leur arrivée en Palestine.

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Les Britanniques quittèrent la Palestine, selon un plan arrêté depuis longtemps le 14 mai 1948, et l’Etat d’Israël a ainsi été créé.

Les Palestiniens ont accusé les Etats arabes d’être responsables de cette situation, tandis que ces derniers rejetèrent la responsabilité sur les Britanniques. Même s’il y a du vrai dans ces accusations, il n’en demeure pas moins que la série de maladresses et d’erreurs stratégiques commises simultanément par les Palestiniens et les Etats arabes ne peuvent être imputables qu’à un état d’esprit irrationnel, qui ne tient pas compte de toutes les conditions du terrain et des informations que l’environnement produit constamment.

Charles Enderlin a cité un entretien entre Yasser Arafat, dirigeant de l’OLP, et Alan Hart, son biographe[17].

Le premier a déclaré : « J’ai été encore très jeune mais, en raison des relations de ma famille avec la direction palestinienne, j’ai eu la possibilité de découvrir la cause réelle de notre tragédie…La vérité et que nous avons été trahis par les régimes arabes et je regrette de le dire, par les britanniques qui ont travaillé dur pour créer l’Etat juif[18] ».

En réalité, les Arabes n’avaient nullement l’intention de trahir leurs frères palestiniens. Mais, comme on l’a remarqué, la série d’erreurs commises depuis la Première Guerre mondiale par Cheikh Hussein et ses fils, et durant la Seconde Guerre mondiale par le Mufti al-Husseini, le dirigeant irakien et le chef d’état-major égyptien en s’alliant à l’Allemagne nazie, puis par le Haut Comité arabe et la Ligue arabe dans les années 1947 et 1948, qui ont rejeté le plan de partage, sans omettre le roi jordanien Abdallah, qui préféra ne pas profiter de la nouvelle politique britannique antisioniste après la Seconde Guerre mondiale, rongé par sa haine envers le mufti, ne pouvaient pas être de la trahison, mais une simple incapacité à conduire les évènements de manière rationnelle et cohérente.

Quant aux Britanniques, ils y avaient certes Winston Churchill et Lloyd George, ces farouches défenseurs du projet sioniste en Palestine, mais cette position s’inscrivait dans le cadre d’une vaste stratégie visant à diviser le Moyen-Orient en états dépendants et faibles.

Il faudrait aussi rappeler que le Premier ministre britannique Attlee, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, a fait volte-face devant cette politique pro-sioniste et que le mandat britannique fut empreint de lassitude, en raison des attaques des sionistes et des Arabes contre son autorité, dans un contexte marqué par l’épuisement causé par un deuxième conflit mondial cataclysmique, long de six ans.

Arafat, qui a eu un lien de parenté avec les Husseini, avait des raisons de cacher l’irresponsabilité du mufti el-Husseini dans la conduite de la cause palestinienne, en nouant une relation avec l’Allemane nazie et en rejetant le plan de partage de 1947 qui permettait au moins d’avoir un Etat palestinien indépendant et reconnu internationalement, en créant les conditions d’un affrontement qui tourna à l’avantage d’Israël.

Cet affrontement a eu lieu en effet dans les années 1948 et 1949 entre Israël et les pays arabes qui sont intervenus militairement en Palestine, après l’écrasement des Palestiniens par le mouvement sioniste et ses instruments armés durant la « guerre civile » en 1947-1948.

Alors que les erreurs stratégiques des Palestiniens avant et durant « la guerre civile » ont rendu leur situation intenable, surtout avec le début de l’exode des populations palestiniennes, tout reposait alors sur les armées arabes qui sont intervenues en Palestine en 1948, ce qui déclencha la première guerre israélo-arabe.

La première erreur des Arabes a été d’accepter le plan militaire du roi de Jordanie Abdallah, qui a consisté dans une attaque à travers cinq axes de pénétration au nord, à l’est et au sud[19] sans aucune cohérence d’ensemble, avec un objectif principal retenu au lieu d’un seul mouvement en tenailles le long de la côte vers les principales agglomérations (Acre, Afoula, Netanya) des forces syriennes, libanaises qui seraient rejointes par les irakiens et les jordaniens (légion arabe) à partir de l’est puis par les égyptiens qui devaient avancer vers le nord à partir de Gaza, ce qui aurait permis d’encercler la Galilée et de couper Israël en deux, tel que proposé par les Syriens[20].

Le plan du roi Abdallah enleva toute chance de réussite, en raison du fait que les cinq axes d’attaques étaient en fait fragmentés et déconnectés entre eux, alors qu’il n’y avait pas un commandement centralisé des armées arabes.

Ceci est un élément important : sans un commandement unique, les axes d’attaques sont vraiment figés sans possibilité de déplacer des troupes d’un front à l’autre contrairement aux Israéliens.

Le roi Abdallah voulait en fait éviter une victoire rapide, en évitant de conquérir l’est de la Palestine, par les armées arabes, afin qu’il puisse réclamer ce territoire pour l’annexer ensuite à la Jordanie. On ne peut pas dire que ce dernier était farouchement déterminé à battre les Israéliens. En effet, il entretenait des rapports secrets avec certains de leurs dirigeants, au cours desquels il avait affiché sa préférence pour le partage du territoire. Son objectif principal a été d’occuper l’est de la Palestine (la Cisjordanie) et d’éliminer son rival palestinien el-Husseini.

Cette divergence ou disons le fossé qui a existé entre les intentions des pays arabes coalisés dès le départ a hypothéqué les chances d’une réussite stratégique alors que le rapport des forces militaires sur le terrain n’était pas en réalité à l’avantage écrasant des Arabes.

Néanmoins, les débuts de l’attaque arabe ont été heureux : la légion arabe atteint Jérusalem, occupe les quartiers arabes et l’ancien quartier juif[21] et prend la position stratégique de Latroun. Les autres troupes arabes ont livré des combats acharnés mais sans un résultat notable. Même si une cinquantaine de villages situés dans la zone arabe du Plan de partage ont été capturés par les israéliens, il n’en demeure pas moins que les principales agglomérations (Acre, Jaffa, Haïfa, Tibériade), ont été déjà accordées aux Juifs dans le cadre du Plan de partage.

On peut supposer que la légion arabe commandée par des officiers britanniques aurait pu réaliser des percées importantes dans les lignes israéliennes si ce n’est l’attitude du Roi Abdallah qui ne voulait nullement un affrontement généralisé avec les Israéliens mais plutôt conquérir la Cisjordanie et Jérusalem en hypothéquant l’avenir d’un Etat palestinien.

Cet état des choses a persisté tout au long de la guerre. Le roi Abdallah accepte la trêve proposée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 22 mai 1948[22] sans consulter ses alliés arabes parce que ses troupes ont réalisé leur principal objectif qui est d’occuper l’Est de Palestine (la Cisjordanie et Jérusalem-est). Il aurait pu soutenir les autres troupes arabes (libanaises, syriennes et égyptiennes) au Nord et au Sud pour réaliser des résultats plus tangibles. Mais il a préféré s’arrêter à ce qui était prévu au départ sans aucune coordination avec les autres Etats arabes qui ont finalement accepté la trêve le 8 juin 1948 sans conviction puisqu’ils n’avaient pas atteint leurs objectifs.

Par contre, Israël avait cruellement besoin de cette trêve parce qu’elle n’avait pas reçu encore les armes achetées en Europe (en Tchécoslovaquie notamment) en contournant l’embargo onusien et n’avait pas encore renforcé son armée. Pendant la trêve, le gouvernement israélien a transformé les unités combattantes du sionisme en armée nationale avec des effectifs plus nombreux, plus organisés et mieux armés équipés de véhicules blindés et d’avions de combat. En plus, l’armée israélienne avait besoin de cette trêve pour parachever la construction d’une route qui permettrait d’accéder à Jérusalem en contournant Latroun, une position occupée par les jordaniens[23]

L’acceptation de cette trêve par les Arabes a été une grande erreur stratégique. Israël qui était sur la défensive depuis le début du conflit a bénéficié d’un moment de répit pour se renforcer alors que la nouvelle Jordanie semblait satisfaite de ses opérations sans soucier des autres fronts et que les autres armées arabes n’étaient pas encore parvenues à enfoncer les positions israéliennes. Il fallait plutôt à la légion arabe d’envoyer des troupes pour soutenir les autres fronts arabes mais tel n’était pas l’intention du souverain jordanien.

Dès la reprise des hostilités le 8 juillet, la situation militaire change : les Arabes sont dans la défensive et les israéliens lancent plusieurs offensives et capturent des villes importantes comme Ramleh, Lydda et Nazareth en dix jours et commencent à expulser des dizaines de milliers d’habitants palestiniens qui prennent le chemin de l’exode.

Pendant ce temps, il semble que les Etats arabes ont perdu toute volonté de se battre. Charles Enderlin révèle que des pourparlers secrets ont eu lieu en septembre entre l’Egypte et Israël, explorant la possibilité de conclure une paix séparée et durant lesquels ont été exprimés les différends entre l’Egypte et les Jordaniens, sachant qu’el-Husseini se trouvait au Caire[24].

De son côté, le roi Abdallah a exprimé lui aussi sa volonté de cesser le combat et de conclure la paix. Le fossé qui se creuse entre les égyptiens et les hachémites jordaniens permet à Israël de mener une grande offensive dans le Néguev en octobre 1948 en utilisant les nouveaux équipements militaires reçus durant la trêve. Malgré une résistance héroïque des égyptiens, les Israéliens capturent le nord de ce territoire et Beersheba et veulent même prendre Gaza.

Pendant ce temps, les Jordaniens n’ont entrepris aucune action, laissant les Egyptiens se faire attaquer de toutes parts par les Israéliens, ce qui confirme l’absence totale d’entente et de coordination entre les pays arabes durant cette guerre.

Le chacun pour soi devient la règle, ce qui reflète une irrationalité manifeste dans la conduite de la guerre chez les Arabes. La légion arabe entreprend même de prendre Hébron et Bethléem au grand dam des égyptiens[25].

Le général israélien Yigal Allon explique dans une lettre écrite à un ami à ce moment  /«…D’une part, la bande côtière (bande de Gaza), qui est aux mains des égyptiens, de l’autre la présence transjordanienne dans les monts d’Hébron constituent une menace permanente pour le Néguev, et donc pour l’avenir du pays et son indépendance. Si les forces ennemies, aujourd’hui divisées, faisaient alliance alors elles pourraient lancer une offensive en tenaille[26] ».

Ces mots en disent long sur la réalité du terrain et la nature des relations entre les pays arabes qui sont entrés en guerre en Palestine. La méfiance, l’absence d’un commandement unique et même la rivalité incongrue entre eux, au moment du grand péril devant un ennemi existentiel, reflètent une réelle irrationalité dans la conduite de la guerre.

Ce qui est révélateur de ce qu’on vient de dire, ce sont les paroles de ce général israélien à ces troupes après la signature de l’accord d’armistice entre les israéliens et les égyptiens le 24 février 1949 : « L’accord de cessez-le-feu a sauvé l’armée égyptienne d’une défaite définitive…(cet accord) conduira à une nouvelle guerre avec l’Egypte[27] ».

Les Jordaniens qui n’ont porté aucun secours aux égyptiens en difficulté au sud alors que leur armée a été si proche des positions israéliennes (les troupes israéliennes ont encerclé les égyptiens à Falouja) ont signé eux-aussi un accord d’armistice très désavantageux alors que leur offensive en Cisjordanie et à Jérusalem a été un succès au début de la guerre.

En fait, ils ont été floués par les israéliens qui ont promis leur accord aux Jordaniens pour prendre le contrôle du territoire abandonné par les Irakiens, en échange de Wadi Ara et des collines du Sud-est. Le roi Abdallah s’étonna qu’ils doivent abandonner un territoire aussi important. Peu importe, l’accord sera paraphé le 24 mars[28]. Ce qui est surprenant, c’est que le roi Abdallah aurait pu négocier avec les Irakiens, sans passer par les Israéliens, alors qu’une dynastie hachémite a régné en Irak, ce qui aurait facilité des négociations jordano-irakiennes. Une fois encore, une erreur stratégique.

Avec ses deux accords d’armistice, Israël a occupé tous les territoires convoités, y compris la Galilée et le Triangle. La Cisjordanie et Gaza seront occupés durant la guerre des Six Jours. C’est  une autre histoire, mais qui s’inscrit dans la continuité de la période 1916-1948. On s’arrêtera là, car les dés sont jetés et les Arabes ont perdu depuis la Palestine.

Conclusion

Si on peut tirer un enseignement de cette histoire, c’est bien l’incroyable accumulation d’erreurs politiques et stratégiques commises par les dirigeants arabes depuis 1916. Des erreurs, lourdes de conséquences, qui ont permis au mouvement sioniste de gagner progressivement du terrain, jusqu’à fonder un Etat qui a imposé sa domination dans la région du Proche-Orient.

Une hégémonie telle que les pays arabes comptent aujourd’hui boucler le cercle des « normalisations », qui constituent, elles aussi, des erreurs stratégiques calamiteuses sur le long terme. Le seul obstacle, auquel fait face aujourd’hui Israël, est l’« axe de résistance » alimenté par l’Iran.

On voit bien ici quels peuvent être les résultats de telles erreurs, pas seulement dans le monde arabe mais dans l’histoire du monde.

Dans un excellent ouvrage sur la Seconde Guerre mondiale ayant pour titre « Hitler Chef de Guerre : les désastres 1943-1945 », Gert Buchhei nous explique comment les fautes d’Hitler sur le plan militaire ont compromis trois années de victoires qui avaient permis à l’Allemagne nazie, en 1942, de dominer la France et le Nord de l’Europe, d’envahir profondément la Russie, d’attaquer en Afrique du Nord en approchant de l’Egypte, de terroriser par les airs les villes anglaises et d’écumer l’Atlantique grâce aux sous-marins.

Ce n’est qu’ensuite, avec El Alamein, Stalingrad, Koursk et le débarquement en Normandie, que le vent tourna et que l’Allemagne sera finalement et heureusement vaincue.

L’auteur attribue cette défaite à des fautes tactiques et stratégiques commises par Hitler. Cette analyse s’applique, Mutadis Mutandis, au monde arabe durant la période indiquée. Cette vérité traverse l’histoire, et même si elle est encore par trop méconnue, n’ayant pas été souvent abordée par les contemporains, on ne la dira et explicitera jamais assez, surtout dans le cas du Proche-Orient.

 

Notes :

[1] Coran, 13 :11.

[2] Charles Enderlin Paix ou Guerres. Les secrets des négociations secrètes 1917-1997, Editions Stock 1997, p.27.

[3] Dominique Perrin, Palestine : une terre, deux peuples, Villeneuve d’Ascq, France, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire », 2000, p. 151-153.

[4] Gilbert Achcar, « La « grande révolte arabe » du xxie siècle : considérations sur le bouleversement en cours dans l’espace arabophone », La lettre du Collège de France, no 35,‎ 1er décembre 2013, p. 24

[5] Xavier Baron, Les Palestiniens, Genèse d’une nation, Seuil, 2000, p. 18.

[6] George Antonius, The Arab Awakning : The story of arab national movement, Hamish Hamilton, Appen dix C.

[7]Op.cit. Charles Enderlin, 1997, p. 19.

[8] Ibid., p. 23.

[9] Op.cit. Enderlin, 1997, p. 34.

[10] Ibid., p. 44.

[11] Ibid. p.47.

[12] Ibid., p. 48.

[13] Citation reprise par Enderlin de Zvi Elpeleg The Grand Mufti Hadj Amin el Husseini, Frank Cass, Londres, 1993, p.65.

[14] Op.cit. Enderlin, 1997, p. 34.

[15]  « Il y a 70 ans, un plan de partage contesté de la Palestine », AFP, le Point, 25.11.2027 (sur internet).

[16] Op.cit. Enderlin, 1997, p. 64.

[17] Ibid., p. 65.

[18] Enderlin a tiré cette citation d’Alan Hart, Arafat, Sidgwick § Jackson, New York, 1994, p.53.

[19] Yoav Gelber Palestine 1948, 2006, p. 131.

[20] Ibid.

[21] Effraim Karsh The Arab Israeli Conflict-The Palestine war 1948, Osprey publishing 2002, p. 62.

[22] Ilan Pappé La Guerre de 1948 en Palestine, 2000 p. 191-192.

[23]  Op.cit. Anderlin, 1991, p. 73.

[24] Ibid., p. 83.

[25] Elie Barnavi Une histoire moderne d’Israël, 1988, p.199.

[26] Op.cit. Enderlin, p. 103.

[27] Ibid. repris de l’ouvrage de Cohen Yerouham Le Or Ha Yom, Amikam, Tel Aviv, 1969.

[28] Op.cit. Enderlin, p. 108-109.

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