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Plaidoyer pour la liberté d’expression … d’un minimum de vérité !

La liberté d’expression n’équivaut pas au droit absolu de déclarer n’importe quoi. Le site pro-choix dirigé par Caroline Fourest prétend défendre la démocratie, la liberté, et s’emploie pour cela à dénoncer celles et ceux qui n’acceptent pas telle ou telle de ses options idéologiques, quitte à salir des réputations, à dénoncer tous azimuts, à accuser les uns d’être vendus à l’islamisme, les autres aux sectes ou à d’autres réseaux occultes, le tout sans preuve aucune ni autres formes de procès.

On pouvait déjà lire sur le même site que je serais à la solde de Tariq Ramadan, intellectuel musulman sur lequel je porte pourtant un regard critique sans pour autant sombrer dans l’invective ou des accusations sans fondement (voir Une laïcité « légitime » : la France et ses religions d’Etat, Paris, Entrelacs, 2006, p.88). Mais c’est maintenant le centre de recherche que je dirige qui tombe soudain sous le coup de cette inquisition d’un nouveau genre qui ne recule devant aucune diffamation pourvu qu’elle fasse grand bruit.

Ces affirmations n’entachent maintenant pas seulement des personnes mais aussi des institutions de la République, en l’occurrence l’Observatoire du religieux et avec lui l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Je crois qu’il doit y a avoir des limites, dans une société civilisée, au mensonge et à la dénonciation publiques :

– L’Observatoire du religieux attribuerait « un nombre impressionnant de bourses à de jeunes chercheurs » afin qu’ils diffusent la bonne parole « islamiste ». Sauf que l’Observatoire n’a jamais disposé d’aucune bourse de quelque nature que ce soit. Première affirmation mensongère sans discussion possible !

– Par conséquent, ni Vincent Geisser ni Jocelyne Césari (ainsi que l’affirme notre dénonciatrice), ni quiconque, n’a « été mis sur le marché grâce à cette filière ». Et de surcroît, ces deux chercheurs n’appartiennent pas à l’Observatoire du religieux ! Informez-vous un peu que diable ! Un minimum de sérieux n’a jamais fait de mal à personne, même à ceux qui sont avides de popularité. Cela en dit long, en tout cas, sur la valeur des « enquêtes » menées par de tels individus.

– L’Observatoire recevrait des fonds publics et… privés. Une telle insinuation, qui voudrait laisser penser que nous sommes financés par l’« extérieur » (par exemple par des « forces » islamistes occultes ou des sectes) est entièrement fausse. Nous n’avons d’ailleurs jamais reçu le moindre centime d’entité privée quelles qu’elles soient (nos comptes, depuis la création du centre en 1992, sont à la disposition de nos dénonciateurs…).

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– Nous ne sommes pour rien dans l’introduction de l’UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) au CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) ! En l’occurrence il faudrait plutôt blâmer le vote des musulmans français… Sous couvert de défense du « choix » de chacun, la démocratie en acte n’est apparemment pas une valeur très appréciée de nos dénonciateurs.

– Enfin, nous ne pouvons accepter des insinuations tendant à laisser croire que nous défendons les « sectes » sous prétexte que nous étudions les Nouveaux mouvements religieux qu’ils soient ou non considérés comme sectes. Nous ne pouvons pas non plus accepter que l’on nous accuse d’entretenir des accointances particulières avec certains mouvements islamiques, de jouer un jeu trouble, alors que nous ne faisons qu’enquêter, faire des recherches sur tous les mouvements quels qu’ils soient. Il est vrai que lorsque nous mettons en place une étude, elle dure souvent plusieurs années, nous rencontrons les acteurs sociaux, nous analysons leurs discours, leurs pratiques, en suspendant tout préjugés, ce qui ne semble pas une méthode très en vogue de nos jours.

Les thèses binaires fondées sur le fantasme du complot ont toujours existé, et ont toujours fait les succès de librairie comme les célébrités brillantes… mais sont aussi à l’origine des extrémismes de droite comme de gauche. Dès lors, la virulence aveugle de Madame Fourest et de ses collaborateurs ne nous étonnent guère, ni que leurs idées avoisinent celles de Monsieur de Villiers : tout cela est, pour ainsi dire, sociologiquement banal.

Il est en revanche plus alarmant que ces gens-là puissent soutenir publiquement avec un assentiment de plus en plus large, et avec l’encouragement non dissimulé d’une partie de nos élites intellectuelles et politiques, tout et n’importe quoi sur des personnes, et maintenant sur un centre de recherches national qui a consacré de nombreuses années de travail à décrypter des phénomènes très difficiles à appréhender sereinement. Nous n’attendons rien des effets directs de la brûlante actualité, de l’air du temps, nous ne sommes pas en quête d’héroïsme ou de popularité, bref nous ne vivons pas dans le même monde que celui de nos dénonciateurs.

Il est néanmoins évident que les affirmations dirigées contre l’Observatoire du religieux, affirmations ineptes en elles-mêmes, ont ici dépassé toutes les limites de la décence et requièrent de notre part une réaction proportionnée, qui pourra aller jusqu’à des poursuites judiciaires. Il était en outre plus urgent encore, sur le plan purement civique, ce qui justifie la publication de ce texte, de mettre en garde nos concitoyens contre la généralisation de telles pratiques, préjudiciables à la crédibilité de l’information mais aussi, et c’est sans doute plus grave encore, à l’esprit même de la liberté d’expression en démocratie.

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