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Venir au secours de nos civilisations moribondes

L’affaire des caricatures et l’ensemble des manifestations qu’elles entraînent comme une réaction en chaîne éloigne encore un peu plus symboliquement des civilisations, donc des hommes et des femmes, que les technologies de l’information et de la communication ne cessent de rapprocher par ailleurs.

Au-delà des émotions sincères et légitimes, la situation devrait tous nous interpeller sur l’avenir d’un monde qui doit être commun dans nos représentations, parce qu’il l’est dans la réalité d’une façon nouvelle, propre aux potentiels d’ubiquité et d’interactivité que des outils comme internet ont fait naître en 15 ans.

« Nous », ce n’est pas « occidentaux » ou encore « athées » d’un côté, « musulmans » ou « croyants » de l’autre, irrémédiablement dans l’altérité tel que de nombreux médias ou malheureusement responsables politiques ou intellectuels souhaitent nous faire lire le monde, directement ou par détour de langage.

C’est « Nous », comme l’ensemble des hommes et des femmes qui croient en la civilisation de l’humanité, que le principe de civilisation repose sur les droits de l’homme ou sur les devoirs de l’homme, sur un respect de la nature humaine sans Dieu ou sur la valeur de l’humanité grâce à Dieu.

Aimé Césaire a écrit : « une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».

Or, ces caricatures d’abord, les réactions ensuite, et enfin les réactions aux réactions, semblent surtout montrer à quel point nos civilisations sont moribondes, de nos propres faits, par l’accumulation des ruses avec nos principes, principes que nous brandissons avec indignation comme des saints humanistes ou des saints religieux, à la face de l’infamie à laquelle quel nous réduisons essentiellement « l’adversaire ».

L’hypocrisie des « civilisations occidentales » avec leurs valeurs, qui s’expriment notamment dans la déclaration des droits de l’homme, est une évidence : économie, phénomène migratoire, accès à la justice, égalité … il ne faut pas creuser beaucoup pour découvrir toutes les ruses mises en place dans cette « modernité post-humaine » qui s’arrange avec ses principes quand « la machine » l’exige. Et aucune de ces ruses ne semble empêcher la « guerre sainte »,ou plutôt la « guerre des saints », pour défendre la « liberté », d’expression en l’occurrence, considérée comme tout autant pleinement acquise d’un côté (intérieur) que menacée essentiellement de l’autre et par l’autre (extérieur).

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Les sociétés et les nations qui affirment mettre les principes de l’islam au cœur et comme moteur de leur vie politique et sociale n’apparaissent pas plus honnêtes avec les leurs : autoritarisme, détournement des richesses, corruption, manipulations et intimidations sont trop de manifestations bien réelles. Mais là aussi, aucune de ces ruses ne semblent empêcher de faire comme si l’essentiel venait juste d’être atteint, de l’extérieur, par l’autre, l’étranger « alter-alienant » et « alien- alterant ».

Dans chacune de ces civilisations, on a vu brandir l’outrage commis par l’autre envers sa morale, ses moeurs et son identité, quand les principes énoncés comme fondements de cette morale, de ces moeurs et cette identité sont visiblement contredits, détournés ou contournés de façon régulière et d’abord par les actes ou l’inaction de ceux qui s’en réclament.

Alors que penser ? Que dire ? Et que faire ? Alors que tant de paroles, d’écrits et d’actes apparemment antagonistes convergent en fait dans l’élaboration de catégories et de hiérarchies essentielles et figées, se réclamant toutes de l’universel au nom d’un universalisme monopolisé, faut-il choisir aujourd’hui radicalement entre « liberté d’expression » ou « respect des croyances religieuses » ? Faut-il se laisser glisser dans la facilité d’un rapport essentiel d’identité/altérité, de « eux » contre « nous », et finir ainsi par confirmer et réaliser les thèses de ceux que la guerre attire ? Faut-il reprendre la phrase du graphiste « Ben » : « Arrêtez la terre, je veux descendre ! » ?

Ou faut-il venir au secours, chacun comme il ou elle le peut, de nos civilisations moribondes, en ayant malgré tout confiance et foi en « la » civilisation, sans vouloir en accorder le monopole à quiconque, mais à l’humanité, sans les considérer comme abouties une fois pour toutes mais en construction permanente et en interaction inévitable avec ce qui les contredit ou semble les contredire ?

Mais pour cela, la lucidité, « blessure la plus proche du soleil » selon René Char, sera la première étape indispensable pour tous et toutes, pour enfin voir que l’altérité, et le risque d’aliénation qu’elle peut porter, est bien à l’intérieur de nos identités respectives avant d’être extérieure, notamment dans les ruses que nous mettons ou que nous laissons s’installer entre nos principes et nos actions ou nos réactions.

Et c’est en faisant d’abord l’expérience lucide de nos propres « impuretés » respectives, et en ayant la conscience que toute utopie de « pureté absolue » nécessitant une « phase historique planifiable » de purification du réel et de l’humanité est non seulement vouée à l’échec mais même potentiellement suicidaire, que nous éviterons peut-être la « glob-aliénation » de nos civilisations dans un monde rétréci de fait par les technologies de la communication et la circulation des personnes, des produits et des informations.

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