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Sortir de la culture de l’excuse et du déni… Pour se réapproprier le réel.

« (…) toute action se déroule (…) dans une sorte de crépuscule, qui, comme la brume ou l’éclairage de la lune, a tendance à rendre les choses plus grossières et plus grotesques qu’elles ne le sont en réalité. »
Clausewitz (1780-1831), soldat et théoricien militaire.

« Dès qu’on traite la langue comme un objet autonome, acceptant la séparation radicale que faisait Saussure entre la linguistique interne et la linguistique externe, entre la science de la langue et la science des usages sociaux de la langue, on se condamne à chercher le pouvoir des mots dans les mots, c’est-à-dire là où il n’est pas…. »
Pierre Bourdieu, ’’Ce que parler veut dire ’’, 1982 ; et ’’Langage et pouvoir symbolique’’, 1992.

Chacun se renvoie une vision erronée de l’Autre. Du moins, partiellement vraie ou partiellement fausse. Chacun y va de son refrain accusant l’Autre d’être la cause des problèmes de société (chômage, insécurité), de ses problèmes personnels (déclassement, échec), et d’avoir un discours trompeur, manipulateur (démagogique), inscrit dans le « déni du réel »… que ce soit les opposants politiques entre eux ou les personnes incriminées ou stigmatisées du fait de leur origine ethnique ou religieuse (Tariq Ramadan et le fameux double discours).
Et les discours des politiciens comme des slogans, ceux d’une droite ou d’un Front National qui « parlent vrai » ou du « réel », comme ce face-à-face entre Laurent Wauquiez obsédé par les musulmans et Benoît Hamon.
En effet, la droite républicaine et l’extrême droite qui se vantent d’être inscrits dans le réel, confortés par des idéologues ou prophètes du Grand Remplacement (Camus, Zemmour); contrairement à la gauche qui s’emmitouflerait dans la bien-pensance dans des discours antiracistes et droit-de-l’Hommiste (MRAP, LICRA), n’a pas toujours eu ce discours.
Pourtant, Jean-louis Bourlanges avait une phrase remarquable et explicite pour résumer la situation : « la droite n’aime pas les arabes (immigrés) et la gauche n’aime pas les musulmans ».
Depuis Sarkozy qui avait accéléré le processus de création du CFCM pour des raisons électoralistes, afin de conforter une vision communautaire de la société (Samuel Pruvot, Le mystère Sarkozy : les religions, les valeurs et les femmes, éd. du Rocher) ; en même temps que le soutien apporté au régime Ben Ali (barrière contre l’islamisme) ou encore du tapis rouge dressé pour « son ami » Khadafi (despote de type militariste), on pouvait penser à un statuquo des rapports franco-arabes. C’était sans compter sur les « printemps arabes » et la multiplication des attentats sur notre capitale lors du mandat de notre président normal, dans un climat  d’exacerbation d’un sentiment de colère nationale légitime, qui n’aura fait hélas que renforcer l’acceptation des interventions néo-impérialistes en Afrique, via des engagements militaires au Mali, en Centrafrique, en Lybie, en Syrie, au nom de la Lutte contre le terrorisme, dissimulant mal les aspirations de contrôles géostratégiques voire géo-énergétiques, dans une concurrence effrénée entre multinationales et puissances nationales (Chine, Russie, USA, Europe). Et la banalisation des idées du Front National.
Pourtant, malgré l’effort de mystification des Héraults du choc des civilisations faisant croire à une  Oumma unie et forte (péril de l’islamisation), jamais le monde musulman n’aura été aussi divisé, fragilisé, attaqué, et jamais la culture de l’excuse et du déni, de part et d’autre, n’aura été aussi ancrée dans les discours médiatiques, politiques, et sociaux.
Avant le printemps arabe pas un média arabe et musulman national ne remettait en cause la faillite des élites politiques, leur vassalité aux grandes puissances, à la finance mondialisée, la corruption à grande échelle, etc., si ce n’était des organes de presse indépendants et situés à l’étranger. Des journalistes au prix de leur vie (comme aujourd’hui Asli Erdogan en Turquie).
De même, pas un média occidental ne met encore aujourd’hui à nue, sans être traité de complotiste d’islamo-gauchiste, que cette lutte contre le terrorisme via des factions interposées (chiites sunnites ; chrétiens musulmans) et des idiots utiles (djihadistes), n’est que le pendant du néo-impérialisme d’un système ultralibéral consumériste et matérialiste à l’agonie. Chacun se renvoyant la culture de l’excuse ou du déni. Jusqu’à parler de racisme imaginaire ! (Pascal Bruckner)
Et ce jusque dans les familles qui refusent de voir les problèmes d’éducation, de délinquance, d’insécurité, de criminalité en face, notamment, dans un déni du réel, renvoyant toujours la faute uniquement sur le système ou sur l’autre. Malek Bennabi avait une formule toute trouvée : « Si nous avions été colonisé, c’est parce que nous étions colonisables ». Et Hollande ironique celle du « peuple sans dents », comme si le consumérisme avait anesthésié toute volonté de défendre ses droits. Tout comme le Coran qui explique : « Dieu ne change l’état d’un peuple que lorsqu’ils ont changé l’état de leurs cœurs ».
Les musulmans sont à l’image de leurs concitoyens, ni bons ni mauvais : humains tout simplement et pris dans l’émotion de l’instant. Et la résignation.
La meilleure des communautés citée par le Coran, n’est pas celle de la Oumma d’aujourd’hui. Loin s’en faut. A cela on peut se demander Pourquoi ? Et les éléments de réponse peuvent être multiples, loin d’être exhaustifs, et espérons-le susciter un débat de fond.  Un débat nécessaire. Vital. Urgent.
On pourrait se demander, quel lien entre les émeutes des banlieues de 2005 celles de 2007 ainsi que celles suite à l’affaire Théo, de même la polémique suscitée par les propos d’Emmanuel Macron « que la colonisation a été un crime contre l’Humanité », et cette « France abandonnée aux islamistes » titrée par le Figaro Magazine (du 13 et 14 janvier 2017) à la sortie du livre choc « Une France soumise » ?
Et pourtant il y en a un. Celui de la violence du pouvoir et de la culture de l’excuse et du déni… sans jamais questionner l’envers de cette réalité psychologique sociale et politique.
Nous verrons dans quelle mesure cette réalité politique s’est opérée  via les représentations médiatiques aussi bien à l’intérieur de notre territoire qu’au niveau international, et quels en sont ses enjeux, voire le non dit de l’usage de certains mots et ce qu’ils impliquent dans l’inconscient collectif.

De la violence : des damnés de la terre aux terroristes

La violence, thème qui a inspiré bien des penseurs, des philosophes, des historiens, des sociologues, des anthropologues, des psychanalystes… et autres chercheurs quelle que fut leur spécialité__ parcourt le temps et l’Humanité, jalonnant l’Histoire de conflits, de guerres, de révolutions, et autant de dates mémorables, voire tragiques.
La violence définit le caractère de ce qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense, extrême, brutale. Elle peut être émancipatrice ou destructrice. En effet, elle peut avoir des significations radicalement opposées selon les situations et les intentions des acteurs.
Cependant, qu’est-ce qui fait que dans l’inconscient collectif, depuis les damnés de la Terre de Franz Fanon aux terroristes d’aujourd’hui, celle-ci ne serait imputable qu’aux musulmans extrémistes ?
À la violence est souvent assimilée la démesure : du latin violentia, elle peut caractériser l’abus de la force ; mais elle peut renvoyer aussi àviolare que l’on peut traduire par « violer » ou « agir contre » ou « enfreindre une loi et l’espace des autres ». Déjà chez les grecs, la violence ou hybris, caractérisait l’abus de la puissance, la profanation de la nature, ainsi que la transgression des lois les plus sacrées.
Cependant, Galliclès avait montré dans le Gorgias, que cet excès n’est que l’autre nom du désir. Chez Freud au contraire, l’Homme est foncièrement agressif, voire cruel.
En effet, la violence paraît inhérente à l’Homme, constitutive même de sa nature, tout comme la notion de bien et de mal. Mais comme le remarque François Jullien (’’Du mal/Du négatif’’, Essais éd. Points.), celle-ci fait l’objet d’un jugement, qui est l’exclusion. Je dirais même, l’exclusion de nous-mêmes en quelque sorte : occulter notre propre violence et la projeter sur l’Autre. Ce que le monde animal ne distingue pas par ailleurs, certainement par défaut de conscience, et mu par la logique de la chaîne alimentaire et de sa nature prédéterminée : herbivore, carnivore, etc. Il n’accusera pas l’autre d’être violent, car c’est la loi de la survie, de la nature : il y a les prédateurs et les proies. Une forme de Darwinisme social qui ne dit pas son nom.
Alors que la violence peut être appréhendée sous deux aspects chez l’Homme : légitime et illégitime, qui induisent le respect ou le non-respect de la loi (internationale). Ce qu’on ne dit pas ou ce qu’on oublie, c’est que la loi a été élaborée à travers les âges, les traditions, les coutumes, les religions, les civilisations, autant de traces vivantes des siècles passés ; en somme, incluse dans un processus historique, et écrite ou déterminée par les plus forts.
La violence est souvent la conséquence d’une injustice selon Michel Wierviorka (’’La violence’’, éditions Hachette Littératures.), elle peut-être aussi la manifestation d’une fêlure, voire d’une fracture du sujet, dans les moments où le sens se dérobe, se distord ou s’emballe.
Elle permet aussi la dissuasion, l’équilibre des forces, comme lorsque le bloc soviétique et le bloc occidental se faisaient face, pendant la guerre froide.
Mais alors, pourquoi cette persistance dans la représentation de la violence arabo-musulmane, comme étant l’incarnation même de la « violence barbare » (Tzvetan Todorov, ’’La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations’’, éd. Robert Laffont). Contrairement à celle occidentale qui resterait néanmoins __ malgré la traite négrière, l’esclavage, la colonisation, la déportation, l’holocauste, le libéralisme sauvage__ une violence « intellectualisée » ? En somme, une violence « civilisée », « légale légitime », « reconnue », « pensée », « contrôlée », « étudiée », voire « nécessaire », renvoyant à une violence « barbare », « illégitime », « illégale », « irrationnelle »? (Kilani Mondher,’’L’universalisme américain et les banlieues de l’humanité’’, éd. Payot Lausanne. Lire le chapitre :Violence « illégitime » et guerre « zéro mort » : deux concepts pour un même hégémonisme ou le fantasme du contrôle absolu, p 47.)
La violence a été représentée, symbolisée dans toutes les civilisations, renvoyant l’autre aux marges de l’Humanité : le barbare sans foi ni loi, tout comme la vision qu’en avait Saint-Augustin. Elle n’était pas encore analysée comme de nos jours de manière sociologique, politique, historique. Elle était perçue comme l’essence même de l’autre. Celui qui fait peur et qui nous pousse à nous recroqueviller, afin d’affirmer notre appartenance au groupe menacé (Cf ; Hannah Arendt sur les origines du totalitarisme).
Edward Saïd (’’L’orientalisme’’, éd. Seuil.) est de ceux qui auront donné une esquisse historiographique et analytique du discours et de la construction des représentations qu’a « l’Occident » sur « l’Orient », et qui ont réussi à démontrer que « l’Orient » n’existe que de manière à exorciser les craintes, les délires de puissance, et d’impérialisme de cet « Occident ».
Aujourd’hui, toute violence est inacceptable, fut-elle justifiée par des valeurs démocratiques, surtout si les conséquences n’en sont pas calculées. Les irakiens le disent : « La situation en Irak est devenue pire que sous Saddam. Daesh est le produit de l’impérialisme américain »
Mais la pire des violences est celle qui ne se voit pas, et dont les effets sont dévastateurs : la violence symbolique telle que l’a défini Pierre Bourdieu dans ses travaux.
Le tour de passe-passe que réussissent les plus forts, est de retourner cette image de violence contre ceux qu’ils oppriment, humilient, en leur disant que s’ils sont dans cette situation c’est de leur faute (Aminata Traoré, ’’L’Afrique humiliée’’, éd. Fayard.).
Aujourd’hui encore, on persiste à dire que le problème vient des minorités, « toujours violentes ». Ces mêmes minorités qui ont aidé notre continent à se battre contre son propre cancer hégémonique (le nazisme, la théorie des races), à se reconstruire dès l’après-guerre mondiale (grâce à l’apport de l’immigration en main-d’œuvre), sans jamais avoir reçu une réelle reconnaissance ou remerciements en retour.
Non, ce n’est pas de la repentance que demandent les ex-immigrés et leurs enfants français, mais bien plutôt une réhabilitation de l’histoire, une réelle reconnaissance, afin de vivre dans la dignité et d’être respectés comme tous les autres concitoyens, et non plus représentés comme l’ennemi intérieur.
Ce qui est plus grave encore, comme l’écrit Jean Ziegler (’’L’Empire de la honte’’, éd. Fayard.) et qui corrobore une vision plus générale de la violence, aussi bien inscrite dans les régimes totalitaires comme l’Arabie Saoudite ou encore les régimes arabes et africains dirigés par des présidents à vie ou marionnettes sur siège éjectable de l’ordre impérialiste occidental : « (…) l’exercice de la violence s’est fait culture. Elle règne en maître et en permanence. Elle est le mode d’expression ordinaire _idéologique, militaire, économique, politique_ des féodalités capitalistes. Elle habite l’ordre du monde.
Loin de témoigner d’une éclipse passagère de la raison, elle produit sa propre cosmogonie et sa propre théorie de légitimité. Elle induit une forme originale de surmoi collectif planétaire. Elle est au cœur de l’organisation de la société internationale. Elle est structurelle.
Par rapport aux valeurs fondatrices des Lumières, elle témoigne d’une régression évidente –et apparemment sans retour.
Elle se révèle dans les corps décharnés des paysans congolais, dans les yeux hagards des femmes bengalis à la recherche d’un peu de nourriture pour leur famille, dans l’humiliation du mendiant errant sur la place de Candelaria, à Rio de Janeiro, giflé à l’occasion par le policier. »

Nous sommes tous modernes ? Pas si différents que ça…

L’autre envers de la violence n’est ni plus ni moins que le changement, ce que d’aucuns appellent modernité. Pourtant, dans le discours médiatique revient souvent l’archaïsme des islamistes djihadistes : rien n’est moins sûr.
En effet, à la volonté de fidélité à la tradition des prémodernes, à la vision de progrès et d’avenir des modernes, s’est substituée celle de l’atomisation et de l’individualisme via une postmodernité ou ère du vide (Gilles Lipovetsky) qui a touché toutes les cultures et toutes les sociétés, notamment les sociétés musulmanes ; l’Homme n’a jamais été aussi mis à mal quant à sa quête de sens et au risque d’aller vers l’abîme (Edgar Morin) ou de l’inhumanité (Philippe Claudel). D’où ces débats sur l’identité : « Qui sommes-nous ? », « Où allons-nous ? ».
Et pourtant, jamais un dialogue de sourd comme celui-ci n’a été porté à une aussi grande échelle (médiatique et politique), que depuis la haine franco-allemande des guerres mondiales que dénonçait Romain Rolland : « Etait-il impossible d’arriver, entre vous, sinon à vous aimer, du moins à supporter, chacun, les grandes vertus et les grands vices de l’autre ? Et n’auriez-vous pas dû vous appliquer à résoudre dans un esprit de paix (vous ne l’avez même pas, sincèrement, tenté), les questions qui vous divisaient, celle des peuples annexés contre leur volonté­, et la répartition équitable entre vous du travail fécond et des richesses du monde » (Au-dessus de la mêlée, éd. Payot).
Dans ce climat général, comment ne pas se rappeler de la violence de la Révolution Française et de la Terreur qui s’en est suivie : « qu’un sang impur abreuve nos sillons », pour reprendre la Marseillaise à propos de l’exécution des antirévolutionnaires (conservateurs) et autres monarchistes ou cléricaux. Déjà Baudelaire n’avait de cesse, à l’instar des antimodernes de son temps, de fustiger cette modernité et de la voir d’un mauvais œil. Prémisses d’un monde qui vient et qui révèle les inquiétudes du poète : « Sur le terrain pourri de la fatuité moderne » ou encore « le sommeil radoteur de la décrépitude ». (Lire Antoine Compagnon sur les antimodernes)… Cela avait plus de style que les sirènes du « Grand Remplacement », « des territoires perdus de la République », ou encore « de la France soumise ».
Il aura fallut attendre la fièvre bolchévique ou le péril rouge, le choléra fasciste ou bien la peste brune, et les années du Maccarthysme poussées par l’excès de paranoïa de l’infiltration des idées séditieuses communistes, époque du progrès technique et du rêve des invasions extraterrestres (Phillip K. Dick), pour arriver à l’obsession de la menace verte (non pas HULK, personnage de Comics, mais de la menace dite islamique). « Etat islamique » auto-proclamé et relayé par les médias, et qui reste une insulte à la face de tous les musulmans du monde entier, comme si l’Allemagne ou la France ou les Etats-Unis à l’heure des massacres de l’impérialisme, de la colonisation, de l’esclavage, du fascisme, et de l’Apartheid actuel pour Israël, n’auraient eu que pour seule et unique caractéristique leur chrétienté ou leur judaïté. Quand bien même ces organisations terroristes se qualifieraient selon leur prétendue confession.
Or, Yann Moix dans son dernier livre La Terreur, ne dit pas autre chose, lorsqu’il écrit : « Les terroristes passent de la fiche S à la fiche Wikipedia. Il n’est pas très admissible (il est même très obscène) que Salah Abdeslam possède, comme Albert Camus, comme Chopin, comme Ghandi, comme Shakespeare, une fiche Wikipedia. »
Comme si dans ce monde postmoderne tout se vaut, un aplanissement de la pensée critique ou « la morale du troupeau » pour reprendre Nietzsche.
Ce que la modernité a de plus caractéristique, c’est bien la rupture, voire la violence. (Pierre-Jean Luizard, le choc colonial et l’islam, éd. La Découverte). Ce « Djihad » que les terroristes appellent pour rallier leur cause, à travers des vidéos de propagande dignes d’Hollywood, et dans une Terreur rappelant non pas le ralliement des tribus arabes suivant la geste prophétique dans un idéal de justice et de propagation du Message coranique (dans le respect des ennemis combattants faits prisonniers) et des Futuhates épiques (conquêtes musulmanes) à travers l’espace géographique pour reconstruire et faire la synthèse d’un monde nouveau (sur l’héritage byzantin et perse, puis indien et africain), mais au contraire, se positionnant dans une trahison totale du code de la chevalerie (Boutros Ghali, La tradition chevaleresque des Arabes, éd. EDDIF) et du respect des sites historiques comme éradication symbolique pure et simple de l’Autre (comme ces destructions de statues de Bouddha et de vestiges historiques à Palmyre, qui selon le Coran restent des exemples des peuples antérieurs décimés, ce que les compagnons du Prophète et les musulmans de l’âge d’or ont laissé respectueusement comme témoignage du message divin).
La modernité de ces révolutions, notamment de l’expansion islamique, était cette capacité de synthétiser et de se réapproprier tout le savoir antique, afin de donner sens à la vie et au déchiffrement des signes (Ayat) à travers les éléments physiques et naturels. Une projection vers l’avenir, vers un monde nouveau, et un élargissement  des connaissances et des échanges (route de la soie, commerce, sciences, philosophie, littérature, art, architecture, etc.). Tout ce que ces inquisiteurs des temps modernes récusent, ne réduisant l’islam qu’à un corps desséché sans âme, sans spiritualité, et sans sensibilité artistique. Allah ne dit-il « Je suis beau, et j’aime ce qui est beau » ?
Comment ne pas penser à ceux que Nietzsche qualifiait « d’Hommes du ressentiment ». Ces faux inquisiteurs de la morale, ces frustrés jaloux de ceux qui réussissent (à vivre leur bonheur au sens d’Erich Fromm dans Etre et Avoir), qui pour la plupart après s’être vautré dans la luxure et le consumérisme de nos sociétés modernes voire postmodernes qu’ils considèrent à posteriori comme « décadentes » (débat sur la déchéance de nationalité), essayant ou pensant se racheter une pureté en expiant « leurs fautes » par le sacrifice inutile, la mort d’innocents, la barbarie au panthéon du Djihad (Effort, progrès, définition étymologique du mot). Jouant aux takfiristes (excommunicateurs) et néo-khawarij (nouveaux dissidents) quand cela leur convient, bercés au nom de Dieu par l’illusion du pouvoir encore une fois. (Hichem Djaït, La grande discorde : Religion et politique dans l’islam des origines, éd. Folio).

Conclusion : Sortir de la culture de l’excuse et du déni…

Les musulmans comme tous les habitants de cette planète se trouvent dans le même dilemme cornélien et existentiel : le « silence de Dieu » et le risque écologique majeur.
Devant ce chaos (Irak, Syrie) et les massacres et les injustices certains se demandant même si Dieu ne serait pas anarchiste ? Mais comme le dit le Coran, « C’est Dieu qui a fait de vous des communautés » ou « parmi vous des croyants et des non-croyants » et « les meilleurs d’entre vous, sont ceux qui agissent dans le Bien ». Et que dire de la littérature des hadiths annonciateurs de la fin des Temps (3alamat Sa3a), qui annoncent la disparition de toute invocation de Dieu et la lie de l’Humanité. Ne pas se résigner ne veut pas dire ne pas accepter l’auto-critique. Qui peut aller à l’encontre du décret divin ? Et le Coran de dire, « quand un bien vous touche vous dites que cela vient de Dieu, et quand un mal vous touche vous dites que cela vient aussi de Dieu » or « ce n’est que le fruit de vos mains (actes) ».
De ce fait, les musulmans n’échappent pas aux angoisses de l’Homme moderne ou postmoderne. L’acte de folie suicidaire des « Djihadistes » est plus similaire à la crise existentielle des nihilistes russes ou encore allemands, que celle des compagnons du prophète Muhammad pour qui toute vie est sacrée. Comme le dit le Coran : « Qui tue une vie, tue toute l’Humanité, et qui sauve une vie, sauve toute l’Humanité ».
Le fait de tuer l’Autre du seul fait qu’il est considéré comme Kafir (négateur) ou mauvais musulman, est à l’encontre de l’enseignement et de l’esprit coranique. Sauf en cas de légitime défense.
La culture de l’excuse renvoyant toutes les fautes et tout le malheur des musulmans sur la figure expiatoire du Kafir (négateur), ne peut pas être justifiée seulement du fait de l’impérialisme (attaques de drones, bombardements ciblés), elle est aussi le produit d’une déshumanisation des opprimés qui « veulent se faire justice eux-mêmes ». Surtout quand les institutions telles que l’ONU ou encore le TIP (Tribunal International Pénal) sont pris en dérision par les pays puissants, qui passent outre le Droit International. Comment s’étonner après de cette violence aveugle (terrorisme) des faibles, qui touche lâchement des civils qui ne sont pas des militaires sur le fondement de la loi du Talion ? Certes. Mais quand des musulmans tuent d’autres musulmans ou d’autres minorités jugées hostiles, et quand des actes atteignent des sommets de barbarie, où est la part d’humanité ou la part d’islamité là-dedans ? Et même, je peux dire, cela est anti-islamique, puisque seul Dieu est Juge du contenu des poitrines et des actes de chacun. Et qu’Il dit, « Ne fait pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse » ou encore « ne rend pas le mal par le mal ».
Or, depuis Candide de Voltaire écœuré par la méchanceté des Hommes et de la formule de Leibniz (Pour le meilleur des Mondes), et Spinoza et ses réflexions sur la prédestination et la perfection de l’Homme à l’image de Dieu (Court Traité), le malentendu reste de taille.
En effet, nul pêché originel en islam. Nulle perfection sinon celle de Dieu. « L’homme est à l’image de Dieu », cette citation biblique a fait beaucoup de mal quant à son interprétation erronée, et reprise dans l’inconscient des musulmans qui se veulent exemplaires ou infaillibles. Mais tout cela n’est que pure illusion, voire mensonge et déni du réel.
La perfection divine est à l’image de la goutte d’eau (l’Homme) vis-à-vis de l’Océan (Dieu), semblable en apparence mais de différence abyssale en réalité. Comment les comparer ? Reconnaître la perfection biologique d’une créature et son obsolescence, n’impute en rien le génie du Créateur Eternel. Et comme le dit le Coran, « le meilleur des croyants est celui qui ne cesse de se repentir ». En effet, du vivant du prophète Muhammad, la pédagogie qui était enseignée était celle de la miséricorde envers son prochain et non celle du jugement (ou de l’obsession du pêché), celle de l’erreur dans l’évolution de l’apprentissage pour une ouverture et une indulgence (comme une mère pour son fils) et non celle de l’étroitesse de l’esprit et des œillères de la mauvaise foi. Le prophète n’avait de cesse de le répéter, « Ne soyez pas comme les Banu Israël (qui se sont égarés) au point de devenir des littéralistes (marchands du Temple) ». Cette obsession du Haram et du Hallal ne pouvait que mener à un assèchement de la spiritualité, remplaçant l’esprit de la Lettre toute Miséricorde par l’obsession du Texte ou « textolâtrie », celle qui juge et stigmatise : la créature se prenant pour le Créateur. Nouveaux Borgia déguisés en Savonarole et Inquisiteurs des temps modernes.
Et que dire du réel ? Le Dieu social et l’apparence de la vertu (Qamis, Niqab), ont envahi bon nombre de nos cités, de nos sociétés. Des parents démissionnaires, ou acceptant l’argent d’où qu’il vienne (de la drogue, de la corruption), vendant leurs valeurs au nom de la concurrence sociale et d’une islamité de vitrine. Sans parler de la condition de la femme confortée par une interprétation machiste des Textes (Fatema Mernissi, Le Harem politique, éd. Albin Michel). A ces vertus, les défauts ne sont imputables qu’à l’Autre, l’Etat, les politiques, les journalistes, les policiers, les enseignants, les institutions, la colonisation, les immigrés, etc. Loin des paroles de Malcom X qui acceptait ses fautes, en assumant la responsabilité de ses actes, et demandant le pardon à Dieu.
Mais on ne peut ignorer que depuis les algériens jetés dans la seine ou tués par la police sous les ordres du préfet Papon lors de la manifestation pacifique contre l’occupation française (17 mars 1961) ou le massacre de Sétif, et la gestion des différentes crises des banlieues suite à des bavures policières, ressurgit le spectre de pratiques dignes de la période coloniale et des clichés allant des quartiers arabes séparés des quartiers français lors de l’Algérie française, jusqu’aux « territoires perdus de la République » ou d’une « France soumise », instaurant une continuité idéologique qu’on ne peut plus ignorer. De l’impérialisme au néo-impérialisme, la lutte contre le terrorisme semble avoir remplacé la mission civilisatrice. Pour peu l’opération ronce ou bombardements des banlieues souhaitées par Zemmour en viennent à une Balkanisation ou à une Libanisation à l’échelle nationale et mondiale, avatar du choc des civilisations et de la confessionnalisation des rapports sociaux comme en Israël-Palestine.
Or, la volonté de réellement intégrer ou assimiler ces populations, quand d’autres crient au Grand Remplacement, a-t-elle été depuis Mitterrand conforté et poursuivie par des politiques à la hauteur ? Ou bien, à défaut d’avoir un modèle de ségrégation et de criminalisation à l’américaine (ghettos black ou hispaniques), la seule alternative pour les ratés du système avait été celle d’une salafisation de certaines franges de la population française, pour s’inscrire dans un schéma plus vaste, celui de l’achat de la paix des banlieues via les grands frères (Dounia Bouzar), où les idiots utiles via les satellites saoudiens participant à ce nouvel impérialisme occidental qui ne dit pas son nom ? Qui pour le coup tout en crachant sur le diable américain ou européen, achètent des armes occidentales pour tuer leurs frères musulmans yéménites ou autres, dans un jeu d’instrumentalisation chiites sunnites.
Oui, il est temps de sortir de la culture de l’excuse et du déni pour accepter l’auto-critique et la critique d’où qu’elle vienne pour se réconcilier avec le réel, la Praxis. Et cela est urgent, que ce soit du côté des politiciens, des journalistes, des citoyens quels qu’ils soient, afin que chacun prenne ses responsabilités et arrête de se mentir à lui-même. La France des banlieues ghettoïsées n’est pas une zone de territoires perdus, sinon qu’est-ce que cela traduit ? Au mieux la faillite de la République, au pire, le non dit de la continuité d’une gestion coloniale ? Les enfants de la République ne sont-ils pas tous des citoyens de notre Nation ? Pourtant dans le discours politique on sent bien que les musulmans sont des citoyens d’un autre ordre. Pas tout à fait français.
L’Autre n’est ni plus ni moins que le reflet de moi-même. Quant à la dérive radicale islamiste salafiste djihadiste, elle n’est que le produit de la modernité et de notre société. Si nous ne prenons pas en considération que ces enfants perdus de la République (pour aller rejoindre Daesh) ne sont pas tous des enfants de la Patrie, dans la pratique et dans les faits politiques, alors, la France des Lumières aura cédé la place à l’autre France des ténèbres nationalistes, impérialistes et xénophobes. Et le fond du débat est là. Les mêmes penchants reviennent de façon cyclique (Zeev Sternhell, Ni droite ni gauche, éd. Folio). La seule issue, sortir de la culture de l’excuse et du déni, pour appréhender le réel. Non pas le réel déformé par notre vision idéologique, mais celui qui peut mettre tout le monde sur un même pied d’égalité, de liberté et de fraternité. Redonner du sens à la vie, via le respect de l’écosystème et via le partage ou la redistribution des richesses, pour un monde plus juste et plus humain. Fondement de la Zakat (aumône ou équivalent de l’impôt sur la richesse). Penser le monde non plus en concurrence effrenée, ou darwinisme social, mais en diversité et singularité entre être humains. Cet idéal qui avait nourri les premiers pionniers de l’islam…

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