Saïda Kada, présidente de l’association FFEME ( femmes françaises et musulmanes engagées), est également co-auteur avec Dounia Bouzar du livre L’une voilée, l’autre pas, éditions Albin Michel.
Quel sens donnez-vous à votre participation à la manifestation du samedi 14 février ?
La manifestation du 14 février est un appel qui replace sur l’espace public les vrais débats.
Pendant que l’on nous justifie les exclusions au nom d’une France qui serait en danger, la manifestation du 14 vient rappeler que ça n’est qu’une certaine idée de la France que l’on veut imposer à tous.
Un modèle nostalgique de l’empire colonial, qui veut maintenir sous tutelle toute une population que l’on juge incapable de se prendre en charge.
On a toujours douté de cette population immigrée issue des anciennes colonies de pouvoir accéder à la citoyenneté française. Le retour à la pratique religieuse pour certains ne fait que confirmer cette position.
Nous contrôler en nous parquant dans des « grands ensembles », ne suffit plus. Il faut aujourd’hui recrée de nouveaux ghettos :
La manifestation du 14 février est une formidable occasion de refuser cette nouvelle ghettoïsation, qui se veut intellectuelle et politique.
Les banlieues servent de support à une politique qui renoue avec les lois d’exception, pendant que l’islam justifie sa mise en application :
Certains se demandent pourquoi manifester après le vote de la loi. Je crois, d’abord, qu’elle a le mérite de nous rappeler que la loi ne va pas exclure, mais qu’elle avalise près de 15 ans d’exclusion en France. Elle nous rappelle, ensuite, que la loi n’est pas la conséquence d’un débat démocratique, mais la justification d’une position de principe prise il y a 15 ans.
Elle nous convie, enfin, à ne pas focaliser sur une loi. C’est parce que les dés sont pipés, et l’issue des débats connue d’avance, qu’il devient aujourd’hui nécessaire à tous les gardes fous de la société de se réunir et de s’unir pour afficher une volonté commune :
Dire non aux lois !
Manifester le 14 février, c’est résister à la criminalisation de toute forme de contestation en France, c’est refuser que l’expression de la liberté de conscience soit confisquée par des nostalgiques des grands empires, qui arrivent à « protéger les petites filles » en les excluant du banc des écoles, qui arrivent à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes.
Pensez-vous que c’est en participant aux grands débats de société que l’image de la femme musulmane sera réhabilitée ?
La question des femmes musulmanes est intimement liée aux banlieues et à l’immigration. Cela veut dire que l’on a inventé une catégorie intermédiaire, qui fait qu’avant d’être une femme, nous sommes d’abord des « beurettes ».
Pour le justifier, on enferme certaines problématiques dans le quartier, en inventant un champ lexical. Par exemple, ce que l’on appelle ailleurs viol collectif, s’appellera tournantes dans les quartiers. Le drame de la maltraitance commun à toutes les femmes dans la société française, quels que soient leurs classes sociales ou leurs groupes ethniques deviendra dans les quartiers, une phénomène inhérent à la culture arabe.
On ne relèvera comme problèmes rencontrés par les filles que ceux liés à son corps et à son sexe. (certificat de virginité, tenue vestimentaire,…)
Les derniers chiffres établissent qu’une jeune fille de moins de 25 ans sur 9 a été victime de violences sexuelles. Rien ne laisse supposer que l’on est plus violent parce que l’on habite dans une cité. Mais surtout, rien ne laisse à penser qu’il existe une plus grosse proportion d’agression dans les banlieues qu’ailleurs dans la société.
Pourtant, les médias nous présentent une perspective toute autre, qui tend à accréditer l’idée qu’il faille appliquer une politique qui serait différente du reste de la société. Ces lois d’exception sont validées par des cautions ethniques, toujours là pour reprendre en cœur le discours officiel.
On pointera du doigt les garçons, en les désignant comme responsables de leurs souffrances, on montrera du doigt la mère, gardienne d’une culture qui intronise l’homme, on montrera du doigt la religion qui les aliène.
On assiste au croisement entre le regard orientaliste qui fantasme sur le corps de Shérazade, et le regard du colon qui infantilise et dénigre la culture de l’indigène.
L’opinion publique a été trop longtemps manipulée par certains médias, et une poignée de pseudo féministes, qui ont utilisé la souffrance réelle vécue par certaines femmes, pour justifier la prise encharge des « beurettes », en présentant la culture de leurs parents et la religion comme l’origine de leurs difficultés, et de leurs proposer comme seule alternative de les extraire de cette culture et de cette religion qui les nient.
La femme musulmane doit participer aux grands débats de société, pour être présente, montrer qu’elle existe pour ensuite présenter ce qu’elle est, pour casser cette vision aliénante des banlieues, pour porter ses revendications en tant que femme issue de la société et non des cités, refusant du coup d’être reléguée au rang de subalterne du mouvement féministe.
La femme de confession musulmane a la responsabilité, pour être cohérente avec la spiritualité qu’elle porte, de transcrire dans ses actes dans ses combats, son attachement aux grands principes qu’il convient de défendre. Elle ne doit pas s’auto censurer, en acceptant des sphères d’actions étroites délimitées par ceux qui inventent pour nous des espaces d’actions dans lesquelles on est censée s’enfermer.
En fait, entre choisir à être prostituée ou soumise, il faut choisir la troisième voie…
Selon vous, c’est à force de distinguer le foulard du reste du processus identitaire de la femme musulmane qu’il est devenu une valeur en soi ?
A chaque fois que nous appliquons une prescription divine, nous répondons à un appel vers Dieu.
Mettre le foulard fait partie des éléments qui correspondent à un désir de cheminer vers Dieu.
Le débat sème le trouble dans le cœur de celles qui le portent, et de celles qui ne le portent pas. Il est devenu l’unité de mesure qui permet d’évaluer la foi d’une femme. Alors qu’il est censé être un élément dans notre quête de spiritualité, un jalon sur notre route, il devient une référence en soi. En pensant cela, je condamne celles qui ne le portent pas et qui essaient de faire si bien les choses.
Le foulard n’est pas un rite initiatique qui permette à une femme de se considérer musulmane. Il est une étape spirituelle qu’elle décide d’emprunter pour poursuivre sa quête vers Dieu.
Vous affirmez que « certains hommes font du foulard un périmètre de sécurité qui assure une adhésion des femmes à leurs propres façons de penser : celles qui portent un voile sont des « filles biens ». Ce n’est en fait pour vous qu’un respect de principe. Car celles qui ne sont que voilées ne sont que des corps, et celles qui sont voilées ne sont qu’un foulard ».
Comme je l’ai dit précédemment, le débat a déconnecté le foulard du reste de la pratique religieuse des femmes musulmanes. En réaction on ne voit plus du foulard, que le point de vue que l’on veut porter.
Certains partent en guerre contre lui, pour symboliser leur lutte contre l’oppression des femmes. D’autres vont le hisser comme le symbole d’une résistance contre une société qui les a toujours brimés.
Chacun voit dans l’autre « camp » un ennemi qu’il faut combattre. On oublie, alors, que derrière cette manière d’opposer les individus, on conduit les premiers à justifier l’exclusion et la mise sous tutelle des femmes voilées. Pendant que les autres vont faire du foulard le signe de reconnaissance, qui distinguera celles qui sont avec le groupe de celles qui l’ont trahit. La femme ne sera, dans ce contexte, qu’un foulard ou un corps, une soumise ou une prostituée. Ce rapport de force est institué par ceux-la mêmes qui prétendent définir pour nous les normes dans lesquelles nous sommes censées évoluer.
Les hommes ne sont pas génétiquement violents, pendant que les « beurettes », prédisposées à être des victimes. Tout cela justifie ensuite l’ingérence des politiques sociales dans la vie des gens, comme l’unique moyen d’enrayer une violence patente dont nous serions incapables de contrôler sans l’intervention des « porteurs de la civilisation ».
Le modèle dit « occidental » est-il le seul univers d’émancipation de la femme ?
Ca n’est pas tant le modèle occidental qu’il faut rejeter ou choisir, mais cette lecture qui fait de ce modèle le seul capable de garantir les libertés individuelles, le seul à porter les valeurs universelles. Elle relègue tout le reste du monde au rang de sauvagerie.
Certains intellectuels parlent même, pour le cas de la France, par exemple, de la supériorité du modèle français. Quelle place faisons-nous alors aux autres modèles d’émancipation ?
Lier la définition que l’on peut avoir de l’émancipation avec l’histoire de l’Occident, fige les débats, de telle sorte que toute dynamique voulant se définir en dehors de ce registre, serait considérée comme suspecte, et invalidée.
Il ne s’agit pas, alors, de promouvoir les femmes dans leurs pluralités, et dans leurs différences, mais d’imposer un modèle pour toutes les femmes.
On ne peut pas accepter que l’on comprenne que seules les femmes occidentales se soient battues pour leurs droits, pendant que le reste du monde se tournait les pouces. Cette vision croit que l’occidentalisation des autres cultures, est la seule chance pour les femmes d’exister, comprend dans le choix de certaines d’entre elles d’adopter un autre angle d’approche, le symptôme d’une aliénation profonde.
L’exaltation du modèle occidental n’a d’égal que la caricature que l’on fait des références de l’autre.
A tel point qu’aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire du combat des femmes, on va promouvoir une loi qui exclut des femmes !
On veut aujourd’hui libérer les femmes, comme on voulait hier civiliser les sauvageons : toute résistance est sanctionnée, et toute adhésion récompensée.
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