Moustachu et grisonnant, jovial et exubérant, Thomas Milo pourrait incarner au cinéma un personnage hybride, entre Hercule Poirot et le professeur Tournesol. Ce Néerlandais, âgé d’une soixantaine d’années, n’est pourtant pas un amateur mais un linguiste reconnu sur le plan international, qui présentait le 12 juin dernier, devant les plus hautes autorités du Sultanat d’Oman, l’aboutissement de l’ambitieux projet commandé par le gouvernement : le premier Coran électronique interactif – Mushaf Muscat – mis au point selon le système Unicode avec la collaboration de divers spécialistes, linguistes, informaticiens, mathématiciens, hollandais, allemands, mais aussi polonais et libanais…
Unicode ? Un standard informatique peu connu du grand public, mais utilisé depuis des années par des groupes tels qu’IBM, Apple ou Microsoft pour résoudre les épineux problèmes d’échanges de textes au niveau mondial. Sans rentrer dans les détails, il faut savoir par exemple que lors de certains échanges complexes de données, un même texte précisant le montant d’une somme en dollars peut aboutir à donner un montant identique, mais dans une autre monnaie.
Unicode permet donc d’harmoniser tout cela. D’où l’idée de mettre à profit cette technologie du 21ème siècle pour faire un peu de ménage dans un domaine pour le moins inattendu : celui des multiples calligraphies utilisées à travers les siècles pour les différentes éditions du Coran. Le projet est né lors d’une visite à Amsterdam de Sheikh Abdallah bin Mohammad as-Salimi, ministre des Affaires religieuses d’Oman, qui a proposé à Thomas Milo de relever le défi.
Ce dernier a accepté et, après de longs mois de recherches et de travaux, s’est livré, ce 12 juin à Mascate, à la présentation enthousiaste de son « produit fini » : un Coran entièrement numérique qui permet, lorsqu’on clique sur un mot, de voir s’ouvrir, dans une fenêtre, les différentes calligraphies utilisées pour le même mot à toutes les époques, dans tous les pays musulmans.
Calligraphie ? Le mot peut prêter à confusion. Certes, il ne s’agit a priori que de différences visuelles dans la manière de transcrire, et Thomas Milo se défend d’avoir voulu introduire dans son travail une quelconque dimension « interprétative » du sens du texte sacré. Linguiste rompu aux langues latines, slaves et indo-européennes, il confesse même n’avoir eu, au départ, qu’un intérêt limité pour la culture islamique.
Il a juste utilisé cette façon de penser et d’observer qu’il a acquise dans ses années de formation pour analyser l’écriture musulmane. En ce qui le concerne, le projet n’avait d’autre finalité que « la joie de vivre, l’art, le plaisir esthétique de retrouver l’Histoire et le dialogue entre les cultures ». Mais les choses sont toujours plus compliquées et Dieu, lui aussi, peut parfois se cacher dans les détails. Car il faut savoir que les différentes calligraphies islamiques ont énormément varié au fil des siècles et qu’elles obéissent, selon Thomas Milo, à une véritable « grammaire » équivalente à celles des langues, dont il est fier d’avoir réussi à reconstituer les règles aujourd’hui quasiment perdues.
Non pas que ces règles soient mortes aujourd’hui, au sens des langues dites mortes comme le latin ou le grec ancien. Elles continuent d’être appliquées par leurs utilisateurs du Moyen-Orient, du Maghreb, du Pakistan, de l’Iran ou de l’Arabie, mais dans une pure pratique, et dans l’oubli presque complet des règles qui gouvernent leur fonctionnement. « J’ai fait de la géologie linguistique », explique-t-il, « oui, ce projet, c’est vraiment une grammaire de l’écriture arabe, une grammaire de l’écriture et non pas de la langue ». Il cite à titre de comparaison la langue française qui n’a pu naître qu’en oubliant le latin dont elle est issue et son système de déclinaisons.
De même, le système d’écriture arabe correspondait, dit-il « à de grands paradigmes d’inflexions, des tables de présentation, aujourd’hui perdues », par la faute des européens qui, parce qu’ils ne le comprenaient pas, « l’ont simplifié comme le français qui a dérivé par rapport à la langue latine ». Aujourd’hui, les règles de fonctionnement de l’écriture islamique sont ainsi analysées et théorisées. Au final, pour servir à quoi ? Thomas Milo se félicite des passerelles ainsi jetées entre l’Orient et l’Occident, même s’il admet que le but premier des autorités omanaises était « d’enseigner au monde musulman leur propre écriture ».
Oman reste ainsi fidèle à la tradition ibadite qui occupe une place originale entre le sunnisme et le chiisme : « à part », mais nourrissant aussi l’ambition de jouer un rôle fédérateur, « réconciliateur » – au sein de l’Islam. Et au passage,Thomas Milo lâche aussi cette réflexion, banale en occident, mais qui, à certains égards, peut passer pour révolutionnaire dans cette région du monde : « Les Omanais ont compris que l’Islam n’est pas seulement une religion, mais que c’est aussi une culture »
Une première mondiale : le Coran numérique présenté à Mascate (Oman)
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5 Comments
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Félicitation à l’équipe de Décotype !
@ Waterr
As salam alakoum, je souhaitai corriger deux approximations dans votre message.
1) Concernant les chiite il faut couper court à cette idée qu’ils seraient out de la sunna du Prophète et que seul les sunnite suivraient cette sunna. Le terme sunnite designe a l’origine non pas la sunna dans le sens du “hadith”, mais “sunna” dans le sens de “coutume”, celle de shura pour designer le chef, chose qui se faisait déja avant l’islam.
D’un point de vue technique les chiite reconnaissent l’immense majorité des hadith sahih sunnite, parfois avec un autre sanad, mais le matn est là. Ce a quoi ils ajoutent les narrations de leurs imams, ce qui ne devrait pas vous choquer au regard du nombre de sunna des rashidun utilisé coté sunnite (cf tarawih) et dénoncé avec force par ibn Hazm
2) les ibadites et le Coran. Vous deterrez le vieux débat abasside du Coran crée ou incrée… 1000 ans que ça dure cette vieille lune.
D’un coté les asharite, les maturidite et une partie des wahabites disent quele Coran en tant que Parole d’Allah est concomittant à Ce Dernier
La Tisseuse, je ne parle histoire, ni science de la parole, je parle de la réalité 2017.
Justement parlant interprétation, il n y a pas plus brute que le pensée humaine.
S’ils est vrai que Les Ibadites sont proches de la souna du prophète que les chiites complètement out.
Personnellement je reproche aux Ibadites de définir le coran selon la pensée humaine.
La seule définition du coran est mentionnée dans le coran lui meme : La parole de dieu.
C’est ce que dit le coran, la souna du prophète, les compagnons du prophètes et c’est ce que je dirai pour toujours.
Les Ibadites disent que le coran est une créature de dieu, ce n’est pas le mot mais le contenu du mot qui dérange.
Créature veut dire imparfait, seul Allah est parfait. Le mot Imparfait dans ce contexte, vaut mieux choisir une autre religion, au lieu de déconner.
Merci.
un peu de beauté et d’esthétique dans un monde de brute, pour nous rappeler que les religions ne sont coupables de rien , et qu’elles sont le reflet des interprétations des hommes qui sont capable du meilleur comme du pire.