Un islam consulaire désavoué par la « base musulmane »
La remise en cause générale des systèmes amicalistes, à partir du début des années quatre-vingt, trouve son origine dans la crise de légitimité des régimes maghrébins, confrontés aux contradictions des politiques de développement et à des problèmes socio-économiques de plus en plus aigus (chômage, inflation, accroissement de la dette, etc.). Ce contexte de crise interne rejaillit directement sur les communautés émigrées en Europe qui vont progressivement se détacher des représentations apologétiques des États d’origine, longtemps imprégnées par une mystique développementaliste. La croyance au thème idéologique du développement pour tous tend à être battu en brèche dans les communautés émigrées qui prennent conscience, à l’instar des autres citoyens maghrébins, des effets pervers de l’autoritarisme politique et des ravages provoqués par la corruption publique : « Élevée dans le culte de ce qu’on appelle un “pays neuf” comme dans une demeure dont j’ai cru pouvoir bâtir peu à peu l’image dans la réalité, et vivant cette construction comme celle de mon être propre, je découvre que les concepts auxquels j’attribuais une valeur, comme progrès, histoire, raison, lumières, etc., sont comme des clous rigides qui tentent vainement de fixer une réalité de plus en plus impalpable et glissante. »1
Le retour annuel au bled est l’occasion pour les émigrés de perdre un peu plus leurs illusions sur les « bienfaits » de la ligne politique suivie par les régimes maghrébins depuis les indépendances. Ainsi, leurs récits de voyage comportent de nombreuses références aux tracas administratifs, au racket douanier et, d’une façon générale, aux « mésaventures bureaucratiques », subies dans les pays d’origine et dans les consulats maghrébins en Europe. L’aura des mouvements de libération nationale, largement instrumentalisée par les régimes, tend à s’amenuiser chez les émigrés maghrébins, notamment chez les plus jeunes d’entre eux, qui n’ont pas connu la période coloniale. Ce désenchantement national n’épargne personne, pas même les Maghrébins d’Europe qui, malgré l’éloignement et la nostalgie du pays, véhiculent une vision de plus en plus critique à l’égard des États d’origine. Dans la plupart des cas, il s’agit moins d’une opposition active que d’une prise de distance subjective à l’égard des régimes maghrébins. Parce qu’on les a souvent considérés comme des « analphabètes » ou des « ignorants », l’on a parfois sous-estimé cette dimension critique du discours dans l’émigration prolétarienne, se contentant de rendre compte des mouvements d’opposition à dominante intellectuelle, comme s’il y avait, d’un côté, la majorité silencieuse (les émigrés) et de l’autre, la minorité agissante (les étudiants et les universitaires). Pourtant, même si cela ne s’est pas toujours traduit en termes d’action politique et syndicale, les émigrés économiques ont contribué largement à démystifier l’image idyllique des États d’origine, remettant en question le principe d’allégeance inconditionnelle aux régimes en place. A la fin des années soixante-dix, il s’est produit une sorte de fracture irréversible entre le sentiment national qui continue à être vécu intensément par les émigrés sur un mode émotionnel et l’allégeance politique aux États qui fait de plus en plus l’objet de désillusions et de contestations dans les communautés installées à l’étranger.
Par ailleurs, cette prise de distance avec les pays d’origine renvoie aussi à une dimension « objective », liée au processus de sédentarisation dans le pays d’accueil. En effet, chez les anciennes générations de l’émigration (les parents et les grands-parents), ce phénomène s’est traduit par une inscription de plus en plus marquée dans les enjeux des sociétés européennes, notamment dans le domaine syndical. Nombreux sont les émigrés maghrébins à s’être syndiqués dans les organisations ouvrières européennes (CGT et CFDT pour la France) et à avoir joué un rôle actif dans les différents mouvements sociaux (grèves, manifestations et occupations d’usines)2. Dès lors, l’émigré maghrébin cesse de se positionner exclusivement en fonction des impératifs du développement dictés par les États d’origine, pour devenir progressivement un salarié européen à part entière, attaché à la reconnaissance de son statut social et à la défense de ses droits fondamentaux dans le pays d’accueil. Ce mode de socialisation par le travail et l’action syndicale aboutit à ce que l’émigré maghrébin s’éloigne chaque jour un peu plus des enjeux sociétaux des pays d’origine, dans lesquels il ne se reconnaît plus véritablement.
Ce processus de distanciation à l’égard des Etats est encore plus marqué dans les nouvelles générations issues de l’émigration maghrébine en Europe, dans la mesure où il ne touche plus exclusivement le champ professionnel et syndical, mais concerne également la question centrale de la citoyenneté européenne. En manifestant dans l’espace public des sociétés d’accueil (la France, la Belgique, les Pays-Bas….), les « enfants de l’émigration » entendent être reconnus comme des citoyens européens à part entière, au delà du statut de salarié. En choisissant massivement la nationalité des pays d’accueil, les nouvelles générations maghrébines d’Europe n’accomplissent pas exclusivement un acte administratif (la nationalité de papier), elles signifient clairement leur allégeance à la « nation d’accueil », qu’elles identifient désormais comme la leur.
Dans ces circonstances, les amicales maghrébines en Europe et leurs relais culturels et cultuels n’ont plus vraiment de raison d’être ; leurs actions perdent toute pertinence sociale. D’aucuns diraient qu’elles disparaissent de leur « belle mort » et ceci malgré la persistance d’un vif sentiment national dans les communautés émigrées.
Le défi : construire un « islam européen » libéré de la tutelle des régimes autoritaires du monde arabo-musulman
Cette crise générale du système amicaliste produit des conséquences directes dans le domaine religieux et cultuel. Ce sont les associations et les mouvements refusant clairement la tutelle des Etats d’origine qui remportent désormais le plus de succès en termes de mobilisation et d’encadrement des musulmans croyants et pratiquants. L’organisation la plus emblématique de cette recomposition du paysage islamique français est l’UOIF. Créée en 1983, cette organisation fédère aujourd’hui environ 200 associations locales et contrôle directement deux mouvements de jeunes, bien implantés sur le territoire français : Jeunes musulmans de France (JMF)3 et Etudiants musulmans de France (EMF). L’un des mots d’ordre de l’UOIF est précisément de combattre l’influence des Etats d’origine, en se réclamant d’un « islam européen et citoyen », libéré de la tutelle étrangère. C’est en ce sens que l’UOIF a émis un certain nombre de réserves à l’égard de la tournure prise par la consultation, engagée par le ministère de l’Intérieur :
Aujourd’hui, il nous est proposé dans ce processus de reconnaître et d’accepter une représentation ethno-communautariste du culte musulman en France4. De notre point de vue, cela constitue une tournure non conforme à l’essence première qui a motivé notre participation à la Consultation. En effet, depuis le début de ce processus, la dimension citoyenne de l’organisation du culte musulman constitue un fondement de la démarche pour la grande majorité des responsables du culte musulman5.
Dans une perspective proche mais légèrement différente sur le plan organisationnel et idéologique, l’on peut citer aussi le réseau d’associations, Présence musulmane, animé par le théologien et le philosophe suisse, Tariq Ramadan, leader dont le charisme produit un effet de mobilisation sans précédent sur les jeunes Français de confession musulmane6. Ce dernier prône clairement une conciliation entre une démarche citoyenne et l’affirmation d’une « identité islamique européenne », détachée de l’emprise traditionnelle des pays d’origine. On peut lire ainsi dans l’éditorial du bulletin mensuel de Présence musulmane :
Promouvoir une culture islamique européenne : il nous faut absolument penser le vêtement culturel de l’islam dans les sociétés européennes. Cela veut dire, d’abord, reconnaître que les sensibilités et les goûts ont changé et qu’au lieu de tout interdire (ce qui est une visée impossible et folle), il faut encourager les initiatives qui permettent de trouver des formes d’expression artistique adaptées à notre nouveau contexte […]. Promouvoir une culture islamique européenne, c’est faire le choix d’une culture tout à la fois sélective et alternative. Difficile, ô combien, de faire face aux défis. Ils sont incontournables pourtant, sauf à nous noyer dans la tourmente d’une sous-culture sans âme ni valeurs ou à vivre en constant décalage avec notre environnement, regrettant les temps anciens tout en observant nos enfants s’éloigner ou se perdre parce que nous n’avons pas su, ou pas cherché, à parler leur langue. La culture islamique européenne est en train de naître et nous en voyons partout les signes précurseurs7.
Il est vrai qu’aujourd’hui Tariq Ramadan est parmi les leaders musulmans européens celui qui a poussé le plus loin ce projet d’émancipation à l’égard des Etats d’origine et des pays musulmans tiers (Arabie Saoudite, Koweït, Pakistan…)8. La polémique politico-médiatique autour du personnage n’est sans doute pas étrangère à ses initiatives « dérangeantes » : en France, les pouvoirs publics préfèrent toujours dialoguer avec un musulman aux ordres d’une puissance étrangère qu’avec un « musulman libre », car aujourd’hui l’usage de sa liberté de parole est souvent assimilé à acte de rébellion, voire à une trahison : « en se déclarant, en 1999, contre les ‘bricolages politiciens’, c’est-à-dire pour une représentation indépendante politiquement et financièrement de l’intérieur comme de l’extérieur, nous pouvons dire que Ramadan a été visionnaire. Preuve en est l’état du Conseil français du culte musulman (CFCM) depuis sa création en avril 2003 »9.
Ce dynamisme des associations et des fédérations musulmanes européennes, échappant totalement à l’influence des réseaux amicalistes et consulaires n’est pas sans provoquer d’inquiétudes et d’interrogations chez les pouvoirs publics français. Ces derniers, pour raisons principalement sécuritaires, ne sont pas hostiles au maintien d’une certaine tutelle des Etats d’origine sur les croyants et les pratiquants musulmans.
Orientations sécuritaires ou comment mater les courants rejetant la tutelle des « cheikhs bledistes » ?
Sur le plan local, les maires et les administrations municipales continent à entretenir des relations suivies avec les consulats maghrébins, en leur accordant officieusement un « droit d’ingérence » dans les affaires islamiques. A Marseille, par exemple, dans le cadre du projet d’édification de la « Grande mosquée », la municipalité de Jean-Claude Gaudin a ouvertement soutenu la coalition d’associations conduite par le consulat d’Algérie (Collectif des associations musulmanes de Marseille) contre une organisation rivale, la Coordination des musulmans de Marseille (COMUM), accusée, à tort ou à raison, de fondamentalisme. Le cas marseillais n’est pas isolé. Nombre de municipalités françaises préfèrent développer des partenariats avec les réseaux consulaires (algérien, marocain et tunisien), plus rassurants à leurs yeux, que les associations « indépendantes », appartenant à la mouvance de l’UOIF, au Collectif des musulmans de France (Tariq Ramadan) ou du Tabligh10 : « en dépit de ces discours officiels relevant du républicainement correct [respect du principe de neutralité], l’attitude des pouvoirs locaux, confrontés à une demande plus ou moins formelle de lieu de culte musulman, n’est jamais neutre, pas plus à Marseille que dans les autres communes françaises. Les acteurs municipaux ne se comportent pas comme de “simples enregistreurs” d’une demande cultuelle musulmane, mais sont conduits à opérer des choix souvent arbitraires et subjectifs, en fonction de leurs intérêts politiques et électoraux, de leurs représentations du problème (la peur du fondamentalisme islamique par exemple) et de leurs préférences idéologiques et philosophiques (certains leaders musulmans étant proches de leur courant politique ou appartenant aux mêmes clubs philanthropiques) »11.
Sur le plan national, les hésitations et les réserves du ministère de l’Intérieur quant à l’application du principe électif pour la désignation des représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM)12, traduit une volonté de l’Etat français de ménager les susceptibilités des régimes maghrébins13. Un compromis a alors été trouvé : contraindre les autres membres du CFCM à accepter la présidence d’un représentant du courant consulaire algérien (Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris), alors que celui-ci était largement minoritaire dans les « urnes musulmanes »14. Ce principe de désignation autoritaire des représentants musulmans est directement hérité de la période coloniale. Déjà, en 1909, le gouverneur général d’Algérie s’exprimait en ce termes : « l’intérêt supérieur de notre domination exige que nous conservions une action directe sur le fonctionnement du culte musulman… cette action doit se manifester par l’exercice du droit de nomination »15.
Le 20 juin 2002, à peine installé au ministère de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy déclarait ainsi : « Il faut une part de processus électif pour la désignation des membres de cette instance représentative. Même si la nomination ou la cooptation ont aussi leur place […] »16. Lors de sa visite à la Mosquée de Paris, il confirmait ses réticences quant à un processus électif : « Un système de représentativité basé sur les seules élections conduit inévitablement à une logique purement majoritaire. Or la finalité de la consultation est de donner au Conseil français du culte musulman, non un pouvoir de nature politique, mais une autorité qui reflète la richesse dans la diversité de l’islam de France […]. L’élection et la cooptation utilisées avec équilibre permettront à chacun de se sentir représenté, considéré, respecté […] »17.
Dans cette logique de double tutelle, la composition de l’actuel Conseil français du culte musulman apparaît comme le fruit d’un compromis politique et diplomatique (et non cultuel ou religieux) entre les tendances de l’islam consulaire et les organisations musulmanes dites « indépendantes ». Cette simple observation suffirait à prouver que l’islam consulaire n’est pas complètement éteint mais continue à produire des effets structurants dans le paysage islamique français des années 2000, ceci d’autant plus que les acteurs « indépendants » n’échappent pas non plus aux influences de « leurs » Etats d’origine. Ainsi, la FNMF qui faisait pourtant figure, depuis quelques années, de « coquille vide », dépourvue de base sociale, est parvenue à renaître de ses cendres grâce aux réseaux consulaires marocains et l’UOIF18, dont la majorité des dirigeants sont de nationalité marocaine19, a parfois opéré des compromis locaux avec des représentants de l’islam consulaire.
Le spectre de « l’islamo-terrorisme » comme justification du maintien d’une double tutelle sécuritaire et étrangère
Pour conclure sur la question de l’ingérence des États d’origine en matière de culte musulman, nous voudrions faire quatre remarques que d’aucuns jugeront normatives mais qui, selon nous, peuvent contribuer à dépasser les clichés.
Les États d’origine n’ont plus aujourd’hui les moyens de leur politique d’allégeance. Ils en sont réduits à une forme d’impuissance face à des « communautés » qui leur échappent de plus en plus, d’où une sorte de fuite en avant qui se traduit souvent par des pressions sécuritaires sur les individus et les groupes. A ce titre, les « élections » récentes du CFCM sont moins révélatrices d’un retour en force du système amicaliste et consulaire (celui-ci est condamné à moyen terme), que d’une forme de baroud d’honneur nationaliste et patriotique, de la part de chancelleries étrangères (Algérie et Maroc) qui perdent progressivement tout contrôle sur leurs expatriés en matière religieuse. Ce sont les associations à problématique transnationale et européenne qui rencontrent actuellement le plus d’audience auprès des croyants et des pratiquants musulmans de France. Dans le même temps, ces nouvelles organisations prônant un « islam européen » sont parfois financées et soutenues par des pays musulmans autoritaires (Arabie Saoudite, Koweït, Pakistan, etc.) qui ne sont pas exempts de visées géopolitiques. A ce titre, elles devront faire un effort de clarification et se donner les moyens de leur indépendance théologique et financière : on ne peut critiquer l’Arabie Saoudite pour son obscurantisme religieux et dans le même temps accepter de recevoir des dons financiers des « Princes du pétrole ».
L’on ne peut se contenter de regarder exclusivement du côté des États et des institutions officielles. Il est nécessaire d’observer également les attitudes des individus, des familles et des groupes sociaux qui, s’ils restent attachés majoritairement à leur pays d’origine, ne sont plus forcément soumis à eux. Les relations de proximité et la persistance d’un sentiment patriotique (nationalisme migratoire) ne signifient pas forcément une allégeance inconditionnelle aux régimes maghrébins20. A ce propos, l’instrumentalisation des origines nationales jouent dans les deux sens. Quand une association musulmane sollicite des financements étrangers alors que, par ailleurs, ses responsables développent des critiques à l’égard des ces mêmes États autoritaires, l’on peut se demander légitimement qui instrumentalise qui ?
Il convient, enfin, de ne pas occulter la part de responsabilité des acteurs publics français dans cette persistance de l’ingérence des pays d’origine. L’État français, tout en déplorant cette intrusion permanente dans les « affaires intérieures », la favorise également, en privilégiant des logiques diplomatiques, sécuritaires, voire géopolitiques et en pratiquant délibérément un mélange des genres. L’islam de chancellerie n’est pas mort et le gouvernement français ne semble pas encore prêt à tourner la page. Le nouvel impératif de lutte contre « l’islamo-terrorisme international » a relancé les tentations consulaires et les négociations directes avec les autorités des régimes maghrébins et moyens-orientaux, dont l’on attend une contribution décisive pour la surveillance des activités des associations et des leaders musulmans sur le territoire français.
Le Grand Mufti de Villepin et ses « MRS » (Musulmans Républicains de Sécurité)
La nomination récente de Dominique de Villepin au ministère de l’Intérieur n’a pas fondamentalement changé la « donne sécuritaire ». Au contraire, elle l’aurait même renforcée. Le nouveau ministre de l’Intérieur est à la fois un fin diplomate (rappelons qu’il vient du Quai d’Orsay) et un farouche partisan de la méthode forte en matière de gestion du culte musulman. A peine nommé, il ordonnait l’expulsion spectaculaire de plusieurs imams, en justifiant ces mesures par l’attachement à un réalisme sécuritaire : « la fermeté contre ceux qui prônent la violence est la meilleure garantie d’une pratique sereine du culte musulman […]. Il y a aujourd’hui une réalité : sous couvert de religion, des individus présents sur notre sol tiennent un discours extrémiste et appellent à la violence. Ce sont ces discours qui favorisent l’implantation de mouvances terroristes sur le territoire français. Il est donc essentiel de s’y opposer par tous les moyens »21. Dans cette perspective à la fois diplomatique et sécuritaire, il est fort à parier que Dominique de Villepin cherche à faire évoluer le rôle du CFCM vers celui d’une « police communautaire », chargée de mettre de l’ordre dans une communauté musulmane de France jugée turbulente. Il a ainsi appelé les responsables du CFCM à exercer « une discipline interne dans les lieux de culte […]. C’est votre responsabilité, avec l’appui de l’Etat, si vous le juger nécessaire »22.
Une telle évolution dans un sens sécuritaire de la mission dévolue au CFCM risque de transformer ses membres en véritable « MRS » de l’islam, c’est-à-dire en Musulmans Républicains de Sécurité, sorte de CRS à usage communautaire.
En définitive, il existe un paradoxe franco-français qui, au nom de la lutte contre certaines influences étrangères, a encouragé parfois des formes de leadership religieux et cultuels qui précisément reproduisaient les clivages du bled, au mépris de la diversité et de la pluralité du paysage islamique français, une pluralité qui ne saurait se confondre avec un affrontement entre des groupes nationaux. L’on est resté fondamentalement prisonnier d’une vision néo-coloniale, celle de la « logique des Bachagas » et des Cheikhs inféodés, préférant promouvoir les « vieilles barbes blanches » – ô combien rassurantes ! – aux « jeunes barbes naissantes » qui font peur et sur lesquelles l’on continue à accoler les étiquettes d’« intégristes » et d’ « extrémistes ».
Notes :
1 Hélé Béji, Désenchantement national, essai sur la décolonisation, Paris, François Maspero, 1982 (Cahiers libres 368), p. 73.
2 Maryse Tripier, L’immigration dans la classe ouvrière en France, Paris, CIEMI-L’Harmattan, 1990 et Gilles Verbunt, L’intégration par l’autonomie. Le comportement de quelques institutions françaises devant les revendications d’autonomie des travailleurs immigrés organisés, Paris, CIEMM, 1980.
3 Association loi 1901 créée en 1993 et disposant de très nombreuses sections locales. Son président fondateur est le jeune prédicateur d’origine marocaine, Hassan Iqouissen.
4 L’UOIF fait référence ici à la Mosquée de Paris (Algérie) et la Fédération nationale des musulmans de France (Maroc) qui cherchaient à faire évoluer le processus de consultation dans un sens favorable à l’islam consulaire.
5 « L’UOIF répond aux propositions du ministre de l’Intérieur », document produit par l’UOIF, Paris, le 31 octobre 2002, consultable sur le site www.uoif-online.com.
6 Ses meetings payants (environ 5 euros de droit d’entrée) attirent plusieurs centaines, voire des milliers de jeunes.
7 Tariq Ramadan, Editorial, « Paroles et musiques », Présence musulmane, n° 6, avril 1999.
8 Tariq Ramadan, Etre musulman européen. Etude des sources islamiques à lz lumière du contexte européen, Lyon, Tawhid, 1999.
9 Samy Dorlian, Essai de dé-construction médiatique de l’affaire (Tariq) Ramadan, mémoire de science politique, sous la direction de Vincent Geisser, ISP de Beyrouth/IEP d’Aix-en-Provence, juin 2004.
10 Mouvement piétiste d’origine indo-pakistanaise, implanté en France depuis 1968. Très actifs, les Tablighis (membres du Tabligh) recrutent surtout parmi les jeunes des cités populaires, en faisant du porte-à-porte, ce qui leur vaut le surnom de « Témoins de Jéhovah de l’islam ». Sur les débuts du Tabligh en France, cf. Gilles Kepel, Les banlieues de l’islam, op. cit., p. 177-209.
11 Vincent Geisser, « La mairie de Marseille a-t-elle une ‘politique musulmane’ ? », Aujourd’hui Afrique, mai 2002.
12 Ce constat s’applique à la ligne adoptée par les trois derniers ministres de l’Intérieur : Jean-Pierre Chevènement, Daniel Vaillant et Nicolas Sarkozy.
13 Ce constat s’applique à la ligne adoptée par les trois derniers ministres de l’Intérieur : Jean-Pierre Chevènement, Daniel Vaillant et Nicolas Sarkozy.
14 Les listes de la Mosquée de Paris ont largement été devancées par les listes soutenues par les autres fédérations de l’islam de France, l’UOIF et la FNMF, qui détiennent la majorité des sièges dans l’actuel Conseil français du culte musulman. Cf. Xavier Ternisien, « Défaite pour la Mosquée de Paris au scrutin pour le Conseil musulman », Le Monde, 15 avril 2003.
15 Extrait du rapport du gouverneur général d’Algérie au ministre de l’Intérieur, daté du 30 mars 1909, cité par Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France (1871-1919), Tome II, p. 896.
16 Discours de Nicolas Sarkozy devant la commission d’organisation (COMOR) des « élections » du CFCM, 20 juin 2002.
17 Extrait du discours de Nicolas Sarkozy à la Mosquée de Paris du 5 octobre 2001.
18 En délicatesse avec le régime marocain, les dirigeants de l’UOIF semblent s’être réconciliés avec le makhzen ces dernières années et pourraient ainsi jouer la carte d’une certaine « marocanité », bien que leur organisation se réclame officiellement d’un islam transcendant les clivages ethno-nationaux.
19 Ils possèdent généralement les deux nationalités, marocaine et française.
20 Vincent Geisser, Schérazade Kelfaoui, « La nation d’origine réinventée. La persistance du mythe national chez les Français d’origine maghrébine », Confluences Méditerranée, n° 39, 2001.
21 Extrait du discours de Dominique de Villepin devant les présidents des Conseil régionaux du culte musulman (CRCM), dans « Islam : Villepin prône coopération et fermeté contre l’intégrisme », Dépêche Reuters, 1er mai 2004.
22 Ibid.
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