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L’enjeu de la terre dans le conflit israélo-palestinien

Parler de la question de la terre en Palestine force à commencer par les conséquences de l’Occupation qui rendent depuis 1967 la vie du peuple palestinien difficile, voire impossible ; cela est encore plus vrai depuis le début de la seconde Intifada. Mais cette mainmise sur les terres palestiniennes remonte à la création de l’Etat d’Israël et passe aussi par la décision de l’Etat d’Israël de construire des colonies de peuplement – illégales – dans les territoires occupés.

Depuis 1999, 44 colonies ont été implantées en Cisjordanie, en 2001, 34 ont été créées et 14 projets de nouvelles colonies approuvés1.

Dans la Bande de Gaza, la superficie des terres confisquées est de 165,04 km2 – soit 45% de la superficie totale. Sur ces 45% du territoire sont installés 6429 colons, alors que plus d’un million de Palestiniens vivent sur les 55% restants2.

Il faudrait ajouter que la décision unilatérale prise en juin 2002 d’ériger le mur dit de protection entre les peuples israélien et palestinien a rendu dramatique la question de la terre. Ce mur n’a pas été construit le long de la ligne verte de 1967 mais à l’intérieur des territoires occupés. Parfois, il s’enfonce tel un serpent à plus de 20 km à l’intérieur des terres. Il enserre dans des murs hauts de 8 mètres des villes, des villages, des terres agricoles et des fermes. Il s’octroie, sans négociation, les sources et les puits qui alimentent en grande partie la Cisjordanie.

Aujourd’hui 50% de la Cisjordanie se trouvent doublement annexés …

A la suite de quel mécanisme ce vol de terres appartenant depuis des générations à des familles d’agriculteurs, de bergers est-il possible ?

On doit interroger le besoin incontestable de sécurité de l’Etat israélien, mais cela est vrai pour le peuple palestinien qui doit avoir le droit de vivre dans un Etat viable sur le plan économique et en sécurité aux côtés d’Israël. On ne peut que constater que ce besoin de sécurité n’est pas réciproque et que bien peu de gens s’élèvent contre cet état de fait qui ne fait pourtant qu’envenimer la situation entre les deux peuples et éloigner tout espoir de construction d’une paix juste et durable.

On doit aussi questionner le système légal mis en place par l’Etat israélien qui, devant chaque prise de décisions réduisant encore un peu plus la liberté des Palestiniens, la légitime grâce à la sacro-sainte expression « security reasons ». Deux mots qui justifient tout, expliquent tout et donnent bien souvent bonne conscience à de nombreux gouvernements.

Ces deux mots réussissent parfois à étouffer la mobilisation de millions de personnes qui croient au respect des droits de l’Homme, à l’importance du droit international et humanitaire, à l’utilité des institutions onusiennes.

Leur témoignage est entendu mais pas écouté. A leur voix répond le silence peuplé de bonne conscience de ceux qui sont pour différentes raisons du côté des « security reasons ».

Le premier cadre est celui des décrets d’urgence datant du mandat britannique (1945) conservés et appliqués en Israël. Ces textes toujours en vigueur précisent que :

Si cela semble nécessaire au gouvernement en raison des nécessités de la sécurité, il peut proclamer un état d’urgence particulier.

Cette situation cessera quand le gouvernement l’annoncera ou quand le délai fixé pour cet état sera écoulé3.

Le second est celui des ordres militaires israéliens mis en place au moment de l’occupation de 1967.

Le 7 juin 1967, les forces israéliennes ont annoncé que, pour des raisons de sécurité et de maintien de l’ordre public, elles occupaient et avaient pris le contrôle de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza.

Ces ordres militaires sont entre autres :

  • Les proclamations militaires (au nombre de 3), signées par le chef du gouvernement israélien, publiées durant les deux premiers jours de l’occupation, précisant que les Territoires palestiniens occupés sont sous contrôle du commandant de la région militaire.

  • Les ordres militaires numérotés, signés par le commandant militaire de la région, régulant la vie en Cisjordanie (à peu près 1377 entre 1967 et fin 1992). Leur nombre ne cesse de s’accroître. L’ordre militaire 1084 précise que (…) les forces militaires israéliennes ont le pouvoir de déplacer par la force toute personne refusant de laisser sa terre, ce refus pouvant être puni de 5 ans d’emprisonnement.

  • Les ordres militaires non numérotés, signés entre 1967 et 1981 par un commandant de l’armée israélienne et depuis 1981 par un responsable de l’administration civile. (…)

Ces ordres militaires, restés en vigueur même après la signature des Accords d’Oslo, s’appliquent à l’ensemble des Palestiniens de Cisjordanie et de la Bande de Gaza et des autres Palestiniens vivant sous le contrôle de l’Autorité palestinienne.

Le 11 mars 2001 à 21h, à 250 mètres de la frontière, à 500 mètres du Kibboutz de Kfar Aza, dans la région de Abu Safia dans la Bande de Gaza, des soldats israéliens laissent 2 heures aux 47 membres de la famille Salam Abu Sal’a répartis dans 4 maisons, avant de tout détruire avec des bulldozers assistés par des tanks. Dans leur rage de destruction, ils ont écrasé chèvres et poules. Rien n’est récupérable. 32 donums5 d’arbres fruitiers et de culture maraîchère ont ainsi été passés aux bulldozers6. La famille Salam Abu Sal’a se retrouve en quelques minutes privée de maison et de son outil de travail.

Le 19 janvier 2004, à Deir el-Balah, les forces armées israéliennes ont confisqué 700 donums de terres agricoles dont une dizaine de familles étaient propriétaires. Leurs terres avaient le tort d’être situées au nord de la colonie de Kfar Darom.

Le 22 février 2004, elles ont informé la plupart des agriculteurs palestiniens dont les terres jouxtent la colonie de Netzarim que celles-ci seraient saisies pour des raisons militaires jusqu’en décembre 2005. Les familles se sont adressées, par l’intermédiaire du Centre palestinien des Droits de l’Homme de Gaza, à l’avocat de l’armée israélienne ; il leur a été répondu que la saisie était justifiée par des besoins militaires absolus7. Ce jour-là 27 donums de terres agricoles ont été « volés ».

Lorsque ce ne sont pas les forces armées israéliennes qui ordonnent l’expulsion des agriculteurs et de leurs familles, ce sont les colons eux-mêmes qui décident de prendre les terres proches des colonies qu’ils habitent.

Ainsi, en décembre 2003, les colons de Shilo – colonie située près du village de Turmus ‘Aya à 15 km au nord est de Ramallah – ont pris plus de 1750 donums de terres agricoles et de champs sur lesquels poussaient des oliviers. Il faut préciser que ces terres volées appartiennent en bonne et due forme à des Palestiniens qui en sont propriétaires depuis la période du mandat britannique8 !

L’Etat d’Israël n’a que faire des lois jordaniennes en vigueur en Cisjordanie, tout comme il n’a cure des Régulations de la Convention de La Haye. Il ne respecte pas plus l’article 55 des Régulations qui fait obligation au pays occupant de sauvegarder le fonds des propriétés et de les administrer selon les règles de l’usufruit que l’article 43 qui interdit à la puissance occupante de changer le système juridique dans les territoires qu’elle occupe.

Village de Masmouria, dans le district de Bethléem, Jamal, chimiste de formation, a repris, depuis le début de la seconde Intifada, les terres de sa famille. Il vit ici avec une cinquantaine de familles.

Lors de ma première visite, en juillet 2003, on voyait assez près de leur maison se construire le mur. Les soldats israéliens avaient même d’office annexé un puits alimentant le village et permettant l’arrosage des champs. J’avais alors rencontré Jamal remontant d’un trou profond à la recherche d’une nouvelle source. Il l’avait trouvée !

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6 mois plus tard, leurs terres et les maisons sont à l’intérieur du mur. Un officier est venu leur dire qu’il n’y aurait pas de porte pour eux, et qu’ils sont maintenant en terre israélienne, alors que depuis 150 ans cette maison et ces terres appartiennent à leur famille. Ils sont donc dans l’obligation de quitter le sol israélien puisque leur présence est devenue illégale.

Cet encerclement vise à les faire partir afin de pouvoir implanter une nouvelle colonie de peuplement où pourraient vivre 5000 personnes, agrandissant ainsi la colonie d’Aroma.

Mais Jamal résiste et a décidé de travailler en relation avec un avocat israélien.

Pourtant depuis octobre 2003, la vie, pour les quelque 200 personnes enfermées sur leurs propres terres, est infernale. Aux check points, ils sont quotidiennement menacés ; les soldats vont jusqu’à leur demander de l’argent pour les laisser passer. Certains, épuisés, acceptent ; d’autres refusent.

Depuis 3 mois, les soldats insistent pour qu’ils signent des papiers affirmant qu’ils habitent en zone « israélienne » reconnaissant ainsi que leur présence est illégale au regard de la loi israélienne.

Il leur est aussi conseillé de se rendre à Jérusalem au Ministère des Affaires intérieures pour obtenir un permis de séjour dans leur propre maison dont ils sont propriétaires …

Mais comment peuvent-ils aller à Jérusalem alors qu’ils ne sont porteurs que d’une carte d’identité orange qui ne les autorise à circuler qu’à l’intérieur de la Cisjordanie ? Elle ne leur permet même pas d’aller à Gaza !

Les enfants sont systématiquement bloqués au check point quand ils se rendent à l’école du village voisin ou au collège de Bethléem. Ils attendent une heure, parfois moins, mais la plupart du temps arrivent en retard et sont traumatisés par ce harcèlement quotidien qui leur vole leur vie d’enfant.

L’objectif de ce vol des terres est d’isoler les villages palestiniens et de permettre ainsi de relier des colonies illégales entre elles. Cette annexion est soutenue par les forces d’occupation israélienne qui, le cas échéant, viennent prêter main forte aux colons9. Mais il y a une autre raison à ces prises de terres que la construction du mur dit de sécurité ou que l’implantation de colonies illégales ; il s’agit de prendre les terres agricoles palestiniennes afin de porter un coup fatal à l’économie de la Palestine, basée essentiellement sur l’agriculture et la vente des produits maraîchers et agricoles.

La localisation de ces terres a son importance, car elles contiennent de nombreux puits et sources qui sont aussi un enjeu majeur pour l’Etat israélien qui utilise plus de 85% de l’eau fournie par les nappes phréatiques de la Cisjordanie….

Cela revient à maintenir sous dépendance totale un peuple afin de démontrer au monde entier -y compris à ceux qui demandent de façon bien tiède, que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes soit respecté- que les Palestiniens sont considérés incapables de déterminer librement de leur statut politique et d’assurer librement leur développement économique social et culturel.

Si leur droit à disposer d’eux-mêmes était enfin reconnu, le peuple Palestiniens pourrait, toujours en vertu de ce droit, disposer librement de ses richesses et de ses ressources naturelles (…). En aucun cas, il ne pourrait être privé de ses propres moyens de subsistance10.

Si l’Etat d’Israël est bien lié par la Convention de La Haye, les Pactes de 1966 et la quatrième Convention de Genève pour y avoir adhéré en 1952, cela ne l’empêche pas de considérer qu’il n’a aucune obligation au regard du droit international.

Cette attitude tient à une particularité du droit israélien. Ce droit subordonne l’application, par les tribunaux internes, des règles issues d’un traité international, à l’incorporation formelle de ces règles dans la législation nationale. Par contre, il permet à ces mêmes tribunaux d’appliquer directement les normes coutumières. Or, aux yeux des tribunaux israéliens, la plupart des règles de la Convention de Genève n’ont pas le caractère de règles coutumières11. Pas plus d’ailleurs que les Pactes internationaux qu’il a signés mais pour lesquels il n’a pas signé les Protocoles additionnels. L’Etat israélien, de ce fait, se sent hors du droit international !

De plus, les normes internationales ne font l’objet d’aucune mesure de transposition formelle dans l’ordre interne. Cette situation est infiniment dommageable en ce qu’elle prive d’une arme précieuse les victimes d’atteintes à des droits fondamentaux et leurs défenseurs.

Dernière nouvelle en date du 14 mars 2004, les villageois de Irtah, à l’est de Tulkarem, ont vu les forces militaires détruire quelques dizaines de donums de leurs terres pour des raisons uniquement « militaires ». Ils n’ont pu obtenir d’autres explications. Il semblerait que le but soit de construire une nouvelle route qui relierait Irtah à Tulkarem ; elle devrait éviter que la route empruntée par les Palestiniens soit trop près de l’autoroute et d’une zone industrielle. Le projet total prendra aux villages de Faro’n et d’Irtah près de 400 donums. Sur les champs détruits poussaient des légumes et de la menthe faisant vivre une grande partie des deux villages …

Notes :

1 Rapport de Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU, sur le droit à l’alimentation

2 idem.

3Notons que le 8 juin 1982, Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, a signé le règlement en période d’urgence

4 du 22 septembre 1967

5 1 donum équivaut à 1100 mètres carrés.

6 Rapport de mission du 12 au 16 mars 2001, Mireille Mendès France, travail effectué avec le Centre palestinien des droits de l’Homme.

7 Les besoins militaires ne sont ni plus ni moins que la construction du mur de sécurité entourant le sud de la colonie illégale de Netzarim.

8 Les Régulations de la Convention de La Haye -1907- dans l’article 43 précisent l’état occupant prendra toutes les mesures (….) en vue de rétablir et d’assurer l’ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur du pays.

9 Rappel : en 1967, il existait une seule colonie de peuplement ; en 2003, le Ministère de l’Intérieur en comptait 10 23, source B’Tselem.

11 Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966, articles 1-1 et 1-2

12 La IVe Convention de Genève et le sort de la population civile palestinienne dans les territoires occupés, Géraud de La Pradelle, professeur de droit international, décembre 2002

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