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Le jour approche où


Si l’on est superstitieux à l’image de la majorité des Algériens, il faut s’élever très haut dans les sphères célestes pour espérer trouver la réponse à une question qu’on se pose souvent, celle de savoir si notre destin a été déterminé avant notre apparition sur la terre ou s’il n’est que le fruit de nos idées et de leur traduction en actes et faits à travers les âges. C’est vers la première hypothèse que l’homo-religiosus niché en nous incline et la question devient alors : notre destin a-t-il été placé sous le signe d’une bénédiction ou d’une malédiction à perpète ?

Car les Algériens, en bons « croyants soumis » qu’ils sont depuis qu’on leur a claqué au visage les portes de l’« ijtihad » et de la rationalité en sont encore à penser que Dieu s’occupe d’eux un par un, voient sa signature dans tous les évènements et, le sachant Tout-puissant, n’imaginent pas qu’un bonheur ou un malheur puisse les toucher sans qu’il en ait été décidé en haut lieu. Et quand ce n’est pas au sens propre qu’ils prennent le mot (Dieu), c’est au sens figuré (l’Etat-providence, la main de l’étranger, « les autres »…)

Il y a de quoi le supposer, en effet, quand on réalise que nous avons survécu à trois millénaires d’histoire réputée impitoyable envers les faibles en vivotant au jour-le-jour, souvent de « garnina », sans construire des villes, réaliser des inventions ou faire des choses dont la civilisation humaine et la science moderne auraient témoigné et enseignées. D’un autre côté nous n’avons résolu l’équation de notre développement ni avec le socialisme de Boumediene, ni avec le libéralisme de Chadli, ni avec la politique de « kach Bakhta » (friperie) de Bouteflika malgré la pluie incessante de milliards de dollars qui s’est abattue sur nous sous son règne pendant dix-huit ans sans discontinuer. On commence pourtant à trembler à la vue des premiers signes de dèche et de sècheresse et à l’idée que le jour approche où…

Apparemment, le Très-Haut nous aurait gratifiés de sa bénédiction durant trois millénaires et infligé une malédiction à l’indépendance sous forme de disponibilités en or noir dont la vente en l’état a fait de nous des rentiers, des assistés et des ayants-droit. Le pétrole a été découvert par les Français entre la fin des années 1940 et le début de l’exploitation du champ de Hassi Messaoud en 1956 mais à quoi ça sert de le rappeler, c’est toujours Dieu…

Etrangement, nous n’avons pas disparu à l’instar des peuples précolombiens ou amérindiens comme l’aurait voulu une logique de l’Histoire impartiale, ni n’avons fait notre entrée parmi les pays développés comme l’aurait voulu la logique économique au vu de nos incroyables atouts. Nous n’avons pas été immergés dans les flots de l’Histoire et délivrés une fois pour toutes de la mal-vie multiséculaire contre laquelle nous n’avons rien pu, ni n’avons émergé parmi les nations méritantes à la satisfaction des martyrs auxquels nous devons l’indépendance. Nous sommes demeurés en suspens entre le « zalt » (mendicité) et le « tfar’în » (l’orgueil), la pauvreté et la richesse, la réussite et l’échec, la démocratie et l’islamisme, exactement comme l’âne de Buridan qui, lui, est mort en peu de temps conformément aux lois de la nature.

Cette indéfinition, ce non-positionnement, ce flottement bizarre ne semblent pas avoir d’explication rationnelle ni de justification métaphysique mais, en cherchant bien dans le grenier de notre sagesse populaire, je suis tombé sur une curiosité emballée dans la pensée suivante : «! »! ») Ce peut-il ? A-t-il un sens ce mariage de deux états contraires ?

Au premier abord on pourrait estimer que cette sentence est une pieuse affirmation de la tempérance chez nos aïeux dépourvus de tout mais plus fiers que Qarûn, Crésus et Artaban réunis. Elle pourrait être la réplique indignée d’un de nos ancêtres ombrageux à une remarque blessante sur sa condition matérielle faite par un occupant romain ou français et qui aurait frappé l’amour-propre « national » au point qu’il l’a gravée à jamais dans sa mémoire.

Il y a en effet du génie et une force morale admirable dans cette formule lapidaire et percutante. Mais, en y regardant de près, on se demande si elle n’a pas une autre signification que la sobriété, si elle n’est pas le pendant de la détestable expression « mendiants et orgueilleux », ce qui en ferait non pas une vertu à inscrire à notre actif mais un autre symptôme du « khéchinisme », un énième hymne à l’absurde dont n’avait pas besoin notre capital d’idées fausses rempli à ras bord.

Le peuple algérien charrie depuis plusieurs millénaires de fausses idées auxquelles il doit les vicissitudes de son histoire, sa non-constitution en société viable et fiable, et explique l’extrême précarité de sa situation économique et institutionnelle présente. Il a dans sa gibecière beaucoup d’autres expressions populaires encore plus insensées mais auxquelles les gens croient dur comme fer et qu’ils appliquent naturellement dans leurs rapports. Le parler courant est truffé de ces inepties héritées d’une vie primitive, tribale, rurale et anarchique où la ruse, la perfidie et le « dribblage » tiennent lieu d’armes dissuasives et de bottes secrètes. Le premier aventurier, charlatan ou Djouha venu détecte facilement cette faille en nous et construit dessus rapidement son empire ou son emprise sur nous.

Peut-on raisonnablement être dépourvu de tout et n’avoir besoin de rien ? Sensément non, sinon comment vivre ? Mais, dans la mentalité algérienne plus attachée à dissimuler la vérité quand elle est humiliante que de raisonnement logique, la forme compte plus que le fond et le subjectif plus que l’objectif. Cette sentence, les dirigeants actuels et responsables des conséquences de la crise qui est aux portes aimeraient bien la voir exhumée sous sa déclinaison fataliste en ces temps de péril mais ils ignorent, comme beaucoup d’autres choses, qu’elle est devenue entre-temps une arme à double tranchant.

Apparue aux époques de pauvreté généralisée et de frugalité forcée, cette sagesse de circonstance a perdu depuis belle lurette son cadre sociologique et avec lui ses motivations morales. Il n’y a aucune chance de voir les millions d’Algériens actuels, jeunes et moins jeunes, habitués à être pris en charge par leur famille ou l’Etat, la reprendre à leur compte pour imposer silence à leur ventre criant famine quand cela adviendra.

Pour eux, surtout au vu des grands scandales de corruption qui ont émaillé les dix-huit dernières années, c’est devenu «! » (« »), considérant en toute bonne foi que leur part de pétrole leur a été volée et que de ce fait leur avoir est incomplet. Ceux-là ne se contenteront pas de patriotisme et d’eau fraîche le jour où la création monétaire laminera le pouvoir d’achat des actifs et rendra la vie impossible aux inactifs et aux démunis. Ce jour approche et personne ne pourra l’arrêter.

Le piège est en train de se refermer sur l’association de sénilité et de débilité qui nous dirige avec des recettes à la Djouha.  La politique populiste de subventions indiscriminées pour acheter la paix sociale est en train de leur retourner à la figure comme un boomerang. La dévaluation du dinar, devenue quotidienne, réduit le pouvoir d’achat des salaires en surenchérissant les prix des matières premières, semi-produits et produits finis importés qui entrent pour 70% dans notre consommation. Les réserves de change tiendront au mieux deux ans. Le blanchiment de l’argent sale est une concession à l’oligarchie pour lui permettre de recycler le fruit de la corruption dans l’achat du pouvoir (sièges parlementaires et autres). Tout ce qui reste au « système », c’est d’actionner le levier de la répression lorsque les mouvements de protestation commenceront. Ce sera alors le début de la fin d’une ère et le commencement d’une autre, meilleure ou pire, on ne peut le prédire.

La « politique économique » menée par Bouteflika pour son bien, et la politique économique qu’il fallait mener pour le bien de l’Algérie, malgré qu’elles soient contradictoires, étaient bonnes toutes les deux. Elles n’ont pas coïncidé parce que la première était bonne pour lui et son clan, tandis que la seconde pouvait être bonne pour toute l’Algérie. La première avait pour leitmotiv «(« » quand la seconde aurait eu celui de «! » »)

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La deuxième question que de nombreuses gens n’éprouvent plus de pudeur, vraie ou fausse, à poser à la vue de la situation humiliante et ruineuse faite au pays, est si le peuple algérien existe, tant il est en apparence mort en de larges parties de son âme ? Si ce peuple devait confirmer qu’il est encore vivant, il le prouverait en s’élevant contre la politique de maltraitance, d’avilissement et de faillite qui lui est infligée sans répit avec sadisme, impudence et mépris. Il le prouverait en trouvant les formes d’expression pacifiques de ce refus et de ce rejet.

Et s’il doit le faire, ce ne sera pas pour se venger d’un occupant étranger ou tout casser pour faire baisser les prix des produits de première nécessité, mais pour mettre de l’ordre dans la maison, pour construire enfin la maison, l’ « Etat démocratique et social » pour lequel sont morts des centaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes entre 1945 et 1962 et qu’il a été interdit à leurs enfants de construire, l’indépendance venue, par des aventuriers infiltrés dans les bases-arrières de la Révolution.

Pendant tout le temps où l’Algérie ployait sous l’humiliation du colonialisme français, il n’existait pas de chants patriotiques comme le célèbre et émouvant « … »  (« »). Les montagnes algériennes étaient là depuis des millions d’années et les Amazighs vivaient accrochés à leurs flancs depuis des millénaires mais ils n’étaient pas des « hommes libres » (sens du mot amazighs). 
Ils eurent souvent à vivre sous l’infamie, mais le moment n’était pas encore venu de les réveiller de leur résignation pour les précipiter dans les sacrifices du 8 mai 1945 et du 1er novembre 1954 afin qu’ils recouvrent liberté et dignité.

Le jour approche-t-il où, du sein de ce peuple, jaillirait un nouveau 11 décembre 1960 ? Où on entendrait un nouveau chant patriotique s’élever dans les airs pour libérer l’Algérie du satanisme, de l’incompétence et de la mafia politico-financière qui l’ont prise dans leurs serres ?

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                        

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