in ,

Laurent Levy, “La Gauche”, les Noirs et les Arabes

L’ouvrage de Laurent Lévy[1] se consacre à l’étude de la gauche et des clivages qui la traversent, à travers le traitement qu’elle a consacré à des questions telles que la loi prohibitive de 2004[2].

L’auteur porte une attention particulière au front dit de gauche radicale, dont il a personnellement côtoyé certains des éléments. Il faut se rappeler qu’il est lui-même le père d’Alma et Lila Lévy, les deux jeunes filles qui ont été dès 2003 au centre d’une âpre polémique liée au fait qu’elles portaient le foulard au lycée.

L. Lévy a donc observé les débats ayant précédé la loi dite d’interdiction des signes ostentatoires à l’école en sa qualité d’avocat mais aussi de père des principales intéressées. Il a été le témoin des polémiques parfois hystériques qui ont secoué le monde associatif et politique français, y compris dans ses franges situées les plus à gauche. Soutenu au départ par nombre d’amis ou de connaissances politiquement engagés, il a aussi été le témoin de volte-face parfois peu glorieuses de certains d’entre eux, n’assumant plus, auprès de leur amis politiques une position qui se voulait anti-prohibitionniste même modérée (c’est-à-dire s’exprimant non en faveur du foulard et de ses symboles supposés mais contre la déscolarisation, par principe). Mais il a aussi été frappé par des positionnements courageux et qui ne se sont jamais démentis.

L’histoire de cette loi prohibitive, des débats passionnés qui l’ont accompagnée ont déjà fait l’objet d’analyses très fouillées[3]. L. Lévy n’y revient donc pas pour répéter ce qui a été dit, mais pour analyser les enjeux de ce débat (ainsi que d’autres questions connexes comme la création des Indigènes de la République) et ce qu’il révèle sur l’état de la gauche ; en réalité, comme il le remarque, ce débat a révélé des clivages traversant tous les partis, aucun n’ayant observé de ligne unique à propos de cette polémique.

L’auteur rappelle ainsi que les promoteurs du débat on développé des arguments largement détachés de la réalité, s’exprimant sur un mode abstrait, développant le mythe républicain sur tous les tons (Laurent Lévy a déjà consacré des écrits à ce mythe républicain, devenue vulgate obligée pour prétendre à une quelconque légitimité et son ennemi supposé, le « communautarisme »-[4]).

Les défenseurs de la loi ont tour à tour brandi l’arme du féminisme (sans se soucier du paradoxe qui consiste à porter préjudice à celles que l’on prétend défendre), de la laïcité, la revisitant dans le même temps (tant il est vrai que le principe de neutralité était censé s`appliquer au personnel de la fonction publique et non pas a ses bénéficiaires). Enfin, l’argument de l’intégrisme a aussi été mis en avant. Pour l`auteur, le recours à ces argumentations multiples ne s’explique que parce qu’aucun des arguments pris isolément ne suffisait à soutenir de façon décisive la position de ceux militant en faveur d`une loi. Le caractère irrationnel de ces prises de position, leur ton souvent péremptoire avait un caractère intimidant, les fréquents rapprochement souvent arbitraires convoquant des exemples horrifiques (les talibans par exemple, un procédé intellectuellement malhonnête dont les animateurs principaux du mouvement des NPNS se sont fait une spécialité ; rappelons que l’ancienne présidente des NPNS, F. Amara, qui a rejoint ensuite le gouvernement Sarkozy-Fillon, s’exprimait en 2003 contre une loi d’interdiction des signes religieux –comprenez, du foulard- à l’école avant de subitement changer d’avis quand la direction du PS a rejoint le rang prohibitionniste).

L’argumentation « théologico-politique » impose aussi de faire entendre la voix de musulmans « modérés » naturellement opposés au port du foulard, lesquelles postulent qu’il s’agit là d’une exigence excessive, et par là provocatrice. Le fait que cette posture n’est pas admise par tous n’est pas vue comme l`effet d`une pluralité normale d’opinions ou de lectures théologiques mais comme LA lecture seule autorisée, faisant apparaître par contraste, les intégristes comme s’opposant aux intégrés.

Laurent Lévy ne prétend pas dans son analyse que les défenseurs de l’argument féministe ne sont pas sincèrement féministes ou que le camp des prohibitionnistes est constitué de racistes et d’islamophobes convaincus (bien que dans nombre d’exemples l’islamophobie était bien présente dans les prises de position publiques ou les débats médiatiques). Il démontre simplement que les arguments pris isolément n’étaient pas juridiquement tenables et se contredisaient parfois, justifiant précisément le recours à une loi spéciale.

En recourant à de nombreux exemples, il analyse le déplacement idéologique au sein de la gauche que ces postures libérales ou prohibitionnistes ont traversé, comme l’ensemble des partis.

Publicité
Publicité
Publicité

Il montre aussi que, même au sein des mouvances de la gauche radicale, nombre de militants ne sont pas disposés à laisser les « minoritaires » s’affirmer maîtres de leur destin et s’indignent de les voir élaborer leur propre doctrine politique. Laurent Lévy fait aussi apparaître dans son analyse de certains discours de militants de gauche la permanence d’une certaine idéologie post-coloniale. Ainsi en est-il de la manière de considérer les Français issus de l’immigration coloniale comme d’éternels étrangers. On se rappelle avec inquiétude que la gauche, y compris dans ses franges radicales, ne s’est guère émue ni opposée aux lois liberticides, telles celle instaurant un délit d`outrage à la Marseillaise, une loi qui figurait il n’y a pas si longtemps dans les seuls programme du FN. Il cite aussi d’effrayantes prises de position en faveur de la politique bushienne ou cette anecdote qui se passe de commentaire : en juillet 2005, alors que le criminel de guerre Ariel Sharon s’apprêtait à visiter la France, le PCF renonçait à participer à un rassemblement de protestation arguant du fait que cela était malvenu…après les attentats de Londres !

Dans cet ouvrage, Laurent Lévy se garde de porter un regard dénué de nuance sur la gauche de la gauche, mais il dresse un tableau sans concession de ses militants dont il a pu être le compagnon de luttes, de leurs renoncements et insuffisances. 



[1] Laurent Levy, “La Gauche”, les Noirs et les Arabes, La Fabrique, 2010.

[2] La loi du 17 mars 2004 dispose que : “Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.”

[3] Par exemple Pierre Tévanian, ” Le voile médiatique : Un faux débat”, Liber, 2005.

[4] Laurent Levy, Le Spectre du communautarisme, Editions Amsterdam, 2005.

Publicité
Publicité
Publicité

Laisser un commentaire

Chargement…

0

Saïd Bourarach, la vérité

Séminaire Science et Islam