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L’année 2014 dans le monde arabe entre espoirs de changement et risques de somalisation

L'année 2013 s'est achevée avec quelques maigres espoirs d'entrevoir peut-être le bout du tunnel de deux crises majeures qui risquent d'affecter gravement la sécurité et la stabilité de la région sensible du Moyen Orient: la crise syrienne et la crise du nucléaire iranien. Mais il s'en faut de beaucoup pour espérer que la diplomatie puisse venir à bout du conflit syrien  que la militarisation par des puissances étrangères a rendu incontrôlable.

Pire, malgré l'accord russo-américain sur ce dossier sensible dont on attend une plus grande pression sur les protagonistes régionaux (Turquie et Arabie Saoudite d'un côté, Iran et Irak de l'autre) qui continuent à alimenter le conflit, les données sur le terrain conduisent à penser que des forces radicales et incontrôlées sont en mesure de créer une ou des entités autonomes à la frontière syro-irakienne à partir de laquelle elles pourraient continuer une longue guerre d'usure, donnant ainsi à la puissance américaine un prétexte commode d'installer une base militaire à partir de laquelle ses drones de combat pourraient se lancer à la chasse des méchants djihadistes comme cela se passe déjà à la frontière pakistano-afghane et au Yémen.

Risque de somalisation en Syrie

Le scénario de la somalisation de la Syrie n'est pas à écarter dans ces conditions et les dernières nouvelles en provenance d'Irak, où la filiale locale d'al Qaida, l' "Etat islamique d'Irak et du Levant" semble avoir pris le contrôle de la ville martyre de Faloudja, laissent penser que cette perspective ne concernera pas que la Syrie. En effet, le conflit syrien qui a longtemps été nourri par les protagonistes irakiens qui arment chacun ses alliés en Syrie est en train de s'exporter en Irak pour donner un nouveau regain à la guerre civile qui n'a jamais cessé dans ce pays depuis l'invasion américaine de 2003.

Les avancées diplomatiques sur le dossier du nucléaire iranien permettent de caresser l'espoir qu'un nouveau front militaire aux conséquences désastreuses pour l'ensemble de la région ne sera pas ouvert au grand dam des faucons de la droite israélienne qui n'ont pas désespéré de pouvoir lancer un raid préventif contre les installations nucléaires iraniennes. Le parrain américain a jusqu'ici réussi à les retenir espérant que sa politique de la carotte et du bâton amènera Téhéran à de meilleurs sentiments. Mais dans sa folie belliciste,  le camp des durs au sein de l'establishment israélien pourra compter paradoxalement sur un nouvel allié objectif en la monarchie saoudienne qui applique à la caricature la vieille devise "l'ennemi de mon ennemi est mon ami" et dont la politique étrangère continue d'être alimentée essentiellement par la phobie de l'expansionnisme chiite du voisin iranien. De nouveaux alignements géopolitiques ne sont pas à exclure sur une scène moyen-orientale déjà compliquée.

Mais la résolution diplomatique de la crise iranienne, si elle venait à se confirmer en 2014, aura également des retombées certaines sur les autres dossiers régionaux où l'influence iranienne n'est pas à négliger: Syrie, Liban, Irak. Si l'Iran attend de la résolution de la crise du nucléaire et des concessions qu'il est obligé de faire sur ce plan une réintégration dans le jeu géopolitique régional, la puissance américaine et ses alliés de l'Otan attendent de leurs côtés que l'Iran coopère avec elles dans la gestion des dossiers sécuritaires sensibles (Irak, Syrie, Liban, Palestine) de manière à sauvegarder un statut quo favorable à leurs intérêts stratégiques que la République islamique d'Iran n'a jamais en fait remis en question autrement que dans sa rhétorique "révolutionnaire" et "anti-impérialiste" à destination de l'opinion publique arabe et musulmane.

Paix impériale

Ce qui nous amène à nous interroger sur les perspectives de "paix" concoctées par les grandes puissances avec l'implication plus ou moins forcée de leurs partenaires régionaux et leurs implications sur le devenir des nations et des peuples de la région. Il est clair que si l'accord stratégique russo-américain arrive à forcer la main de leurs partenaires respectifs (Turquie, Arabie saoudite, Iran, Irak) en vue de cesser d'alimenter la guerre civile aussi bien en Syrie qu'en Irak, personne n'aura à s'en plaindre.

Ce n'est pas parce que les grandes puissances de ce monde proposent une solution qui s'inscrit dans leurs desseins stratégiques que la solution serait automatiquement mauvaise pour les peuples de la région. La raison est simple: sur le terrain, il n'y a aujourd'hui aucune solution alternative crédible et entre deux solutions mauvaises, il vaut mieux s'accommoder de la moins mauvaise solution en attendant la maturation des conditions pour une solution révolutionnaire.

Bien entendu, si une solution négociée venait à être imposée par les grandes puissances et leurs alliés régionaux en Syrie, elle restera malgré tout fragile tant qu'elle ne sera pas portée par les forces vives de la société syrienne ne serait-ce que parce que les grandes puissances qui se voient aujourd'hui dépassées par leur jeu d'apprenti-sorcier après avoir armé (ou laissé faire) les groupes rebelles, peuvent toujours revenir à leur ancien sport favori si elles s'aperçoivent que la "paix" n'est pas aussi fructueuse pour leurs intérêts stratégiques.

Par ailleurs, une solution négociée qui permettrait au régime syrien et à la coalition de l'opposition syrienne à la botte de l'Arabie saoudite de s'entendre pour un partage du pouvoir risque de laisser intactes les frustrations sociales et politiques de la révolte populaire dans lesquelles continueront d'investir les groupes radicaux. La véritable question que la militarisation actuelle a occultée risque de revenir à la surface: une démocratisation véritable peut-elle se réaliser sans un fort ancrage dans les luttes sociales des larges couches populaires et sans organisations civiles fortes capables de contrebalancer le poids de l'argent et des armes des groupes financés par les puissances étrangères?

Même considérée sous l'angle des intérêts stratégiques des grandes puissances et dans le cadre des rapports de forces régionaux et internationaux actuels, l'architecture de la paix au Moyen Orient reste un tout dont les parties constitutives se conditionnent mutuellement avec pour épicentre le conflit israélo-palestinien dont l'enlisement actuel, dû essentiellement à la poursuite de la colonisation par l'Etat d'Israël, n'augure rien de bon pour l'avenir de la région da
ns la mesure où l'intransigeance israélienne rend chaque jour plus caduque la "solution des deux Etats" sur laquelle parient les cercles impérialistes pour désamorcer la bombe sociale palestinienne. On ne comprendrait pas autrement la focalisation des efforts diplomatiques en vue de résoudre la crise syrienne autour du dossier du chimique dont le dénouement apparaît en fin de compte comme une grande victoire pour cet acteur majeur mais invisible dans le conflit syrien qu'est l'Etat colonialiste d'Israël.

Les perspectives sur lesquelles déboucheront les actuelles négociations israélo-palestiniennes sous l'auspice de John Kerry nous renseigneront davantage sur les véritables desseins cachés derrière cette course diplomatique et sur la nouvelle distribution des rôles entre les grands acteurs régionaux que sont la Turquie, l'Iran et l'Arabie saoudite avec l'aval de Washington et Moscou, étant entendu que toute division régionale du travail ne saurait se faire au détriment de l'Etat d'Israël qui n'est pas juste un "allié", fût-il stratégique, mais un prolongement géopolitique et culturel de l'Occident impérial dans la région. 

Le chaos libyen

Si l'instabilité politique et la violence touchent de manière extrême le Moyen Orient, elles ne s'arrêtent pas là malheureusement. Le Maghreb n'est pas en reste. La Libye "libérée" avec la manière qu'on connaît par les puissances occidentales n'en a pas fini avec sa descente aux enfers. Le chaos qui règne dans ce pays n'a pas encore abouti à une guerre civile mais les prodromes sont là et, avec les stocks d'armes en circulation et le nombre de miliciens en vadrouille, le risque d'un basculement dans la violence généralisée est à redouter.

Là également, le scénario d'une somalisation n'est pas à écarter tant l'Etat libyen s'avère incapable de faire face tout seul au défi de la reconstruction étatique qui passe par le désarmement nécessaire des milices (on parle de 100 000 à 200 000 hommes armés dans le pays). La méfiance à l'égard des pays voisins capables d'aider au processus de reconstruction étatique et sécuritaire, alimentée par des puissances étrangère fort intéressées, n'est pas pour aider la Libye à retrouver la paix et la stabilité.

Le chaos qui règne dans l'ancienne Cyrénaïque à l'est de la Libye risque de constituer un bon prétexte à l'interventionnisme du régime militaire égyptien appelé à jouer le rôle de gendarme régional dans le cadre d'une division régionale du travail voulue par les grandes puissances. La mise au pas de l'enclave de Gaza (en attendant le renversement du gouvernement du Hamas) constitue à cet égard un bon début qui lui a valu le satisfecit de ses alliés objectifs israélien et occidentaux. Ce n'est pas pour rien que la "communauté internationale" s'est montrée fort complaisante avec le coup d'Etat militaire qui a mis fin l'année dernière à l'expérience démocratique dans le plus grand pays arabe.

Il est extrêmement difficile d'imaginer un avenir meilleur dans la région sans le retour de la stabilité dans ce pays sans même parler de la nécessaire reconquête par l'Egypte de son statut géopolitique régional naturel.  Or, on voit mal comment ce pays pourrait renouer avec la stabilité sans un retour à une vie démocratique et constitutionnelle qui passe par l'intégration de la principale force politique du pays que sont les Frères Musulmans qui viennent d'être rangés par un régime militaire aux abois comme une "organisation terroriste" au risque de plonger le pays dans une instabilité plus grande.

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Instabilité en Tunisie

Mais l'anarchie qui règne en Libye a aussi des conséquences graves sur la sécurité des pays voisins à commencer par la Tunisie où l'instabilité politique liée aux difficultés de la transition démocratique risque d'être exploitée par des groupes radicaux qui n'ont aucun mal à s'approvisionner en armes chez le voisin libyen. La porosité des frontières entre les deux pays explique la facilité avec laquelle des groupes armés ont pu s'infiltrer avec armes et bagages et constituer un point de fixation dans la zone montagneuse Chaambi à la frontière algéro-tunisienne.

Les risques terroristes réels mais sans doute exagérés par des cercles de l'"Etat profond" tunisien qui n'ont toujours pas digéré le changement démocratique constituent un excellent prétexte pour appeler au retour de l'Etat répressif et pire encore à la coopération sécuritaire des puissances étrangères. Même si elles restent à confirmer, des informations inquiétantes ont récemment fait état de la présence d'une base américaine sur le territoire tunisien, près de la frontière algérienne.

En Tunisie, même si les ressorts de la crise politique ne sont pas les mêmes qu'en Libye en raison de la grande différence entre les structures sociopolitiques des deux pays, les inquiétudes ne sont pas moindres qu'en Libye et l'instabilité qui y règne risque de refroidir les ardeurs de ceux qui ont cru trop vite au changement démocratique dans cette région qui a tant souffert de régimes autoritaires et liberticides.

En effet, ce qui se passe en Tunisie constitue à n'en pas douter un grand test pour la transition démocratique dans l'ensemble du monde arabe à commencer par le Maghreb. Si la transition démocratique échoue dans le pays où les conditions sont théoriquement les plus favorables en raison de la présence d'une classe moyenne, du niveau appréciable d'éducation de la population et d'émancipation des femmes, qu'en serait-il dans les autres pays de la région où ces paramètres sociologiques sont moins présents? L'échec tunisien, si échec il y aura, risque d'être bien instrumentalisé comme un épouvantail par tous les régimes autoritaires de la région.

Il est malheureux que les peuples aient à choisir entre l'aventure d'un changement incontrôlé et manipulé par des officines étrangères et la "stabilité" de régimes autoritaires, incompétents et corrompus. Mais le choix final dépendra aussi de la capacité des élites sociales et politiques  à construire patiemment les conditions sociales et culturelles d'un véritable changement démocratique qui ne sacrifie ni l'indépendance nationale ni la paix civile sans lesquelles l'aspiration populaire légitime à une prospérité durable et solidaire n'aura aucune chance de se réaliser.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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