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La question du voile dans l’Islam et le monde moderne

Je viens de lire, afin de me faire une opinion informée sur “l’affaire du voile”, deux ouvrages très complémentaires. Je vous en fournis d’abord les références bibliographiques puis les conclusions que je pense intellectuellement rationnelles d’en tirer.

D’abord les deux ouvrages en question :

1) Jacques Berque, “Le Coran – essai de traduction“, 2ème éd. revue et corrigée Albin Michel, coll. “Bibliothèque spirituelle”, Paris 1995.

La consultation de l’Index des concepts et thèmes du livre de Berque, au mot “voile” bien entendu, donne deux références : sourates XXIV, 31 & 60 et XXXIII, 59. Il y est dit que son port distingue la femme libre (“hurra”) de la femme de condition inférieure. Une note lexicale importante sur les sens possibles du mot « voile » se trouve au bas de XXXIII, 59.

2) “Islam : civilisation et religion“, Cahier Recherches et Débats N°51 du Centre Catholique des Intellectuels français, éd. Librairie Arthème Fayard, Paris juin 1965.

La consultation de ce Cahier N°51 du C.C.I.F. est forcément plus longue puisqu’il faut lire intégralement les 270 pages de ce dialogue entre intellectuels et théologiens musulmans et catholiques pour se faire une idée exacte des trois courants (traditionaliste, moderniste et réformiste) qui traversent l’histoire de l’Islam des origines à nos jours.

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Il ressort de cette lecture comparée, et avec la plus grande clarté, que les trois interprétations – extensives, modérées ou restrictives – du port du voile sont possibles. Non seulement possibles mais réelles puisque, de fait, elles coexistent au sein du monde musulman contemporain réparti entre l’Asie, l’Afrique, l’Europe et les pays arabes qui lui ont donné naissance. Dès lors, il est inutile d’espérer une quelconque solution pratique d’une interprétation “correcte” du texte sacré : les trois le sont ! Il ressort aussi de cette lecture que le thème du voile est un thème mineur en 1965, encore en 1995 puis devenu majeur en 2003 : pure contingence aux yeux d’un théologien ou d’un philosophe et qui ne doit pas influencer la position du problème. Tant il est vrai, comme le disait Bergson, qu’un problème est bien près d’être résolu lorsqu’il est bien posé. Autre constatation : la loi sur les signes religieux que certains appellent de leurs vœux est refusée par toutes les confessions.

Alors quelle induction tirer de ce rassemblement de faits objectifs ? Eh bien, comme les autres pays d’Europe autour de nous, il convient d’accepter que certaines femmes musulmanes soient voilées totalement, que d’autres ne le soient que partiellement et d’autres pas du tout ! Sans privilégier ni persécuter particulièrement telle des trois catégories au nom d’on ne sait quel « code de bonne conduite » en démocratie socialo-libérale. Pourquoi d’ailleurs une jeune fille voilée pourrait-elle pianoter sur le clavier d’un bureau “high-tech” à Dubaï… et pas à Paris ? Pourquoi ne pourrait-elle assister à un cours de mathématique ou de philosophie en terminale dans un collège publique ? Préfère-t-on qu’elle n’assiste pas du tout à ce cours ? Le port de la croix, du voile, de la calotte par un élève l’empêche-t-il de comprendre une satire de Voltaire et d’en apprécier, s’il est un bon esprit, le ton frondeur et la pureté de style ? De quel droit la société laïque décrèterait-elle que le voile est ostentatoire et que la croix ou la calotte le sont moins ou pas du tout ? De quel droit, d’ailleurs, cette même société décrèterait-elle que les élèves français doivent se reposer aux fêtes des confessions juives et musulmanes ? Noël est une toute autre affaire : Noël et les autres fêtes catholiques sont un héritage national millénaire constitutif de la France d’aujourd’hui dans sa culture comme dans sa civilisation. D’un simple point de vue empirique, positiviste et rationnel, il est naturel de privilégier et de maintenir les fêtes catholiques. Celles des autres religions cousines (Islam) du christianisme ou proches (religion juive) n’ont pas lieu d’être imposées par la société civile laïque : elles sont récentes et minoritaires. Elles n’ont cependant pas vocation à être interdites par cette même société non plus et le modus vivendi est souhaitable et naturel. Il existe déjà et il n’est nul besoin de légiférer dans un sens ou dans l’autre.

Vous me direz : “- Le communautarisme, nous n’en voulons pas : c’est la fracture de la République.” Je vous réponds : « – Il y a déjà longtemps que vous l’avez, que vous le vouliez ou non. »

Se voiler la face – c’est le cas de le dire ! – n’y changera rien : le communautarisme se renforcera d’ailleurs d’autant plus que la sphère laïque se refermera sur ses propres “valeurs”. Il y a un communautarisme aux U.S.A. : il n’empêche pas les différents membres de ces communautés de travailler, de payer leurs impôts, d’être soldats, bref, d’accomplir ce que tout État attend de ses citoyens. Un dernier mot, enfin, sur une comparaison qui m’a fait littéralement bondir mardi 15 décembre 2003 dernier : celle de “la chef d’entreprise féministe” expliquant à Arlette Chabot – visiblement conquise par sa pertinence – qu’elle répugnait autant à embaucher une nonne catholique qu’une femme musulmane voilée. Aberrante comparaison qui éclaire d’un jour nouveau l’obscénité foncière du capitalisme : aberrante puisque dans un cas, la vocation est extra-mondaine alors que dans l’autre, il s’agit du simple statut de l’apparence mondaine, soumise comme telle à des degrés d’interprétations. Une telle confusion est d’ailleurs très éclairante sur la mentalité profonde de la “chef d’entreprise” : à ses yeux, les religion ne sont que des boulets dans la course à l’argent, seule valeur qu’elle reconnaisse et devant laquelle elle se prosterne !

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