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Gaza : Quels sont les scénarios envisageables ?

Nul besoin de rhétorique pour décrire ce qui s’écrit depuis quelques jours sous nos yeux à Gaza.  Les médias israéliens et leurs relais européens et français en particulier s’en sont chargés à coup de titres spectaculaires. « Séisme politico-militaire », « Une nouvelle guerre de Kippour », « Un nouveau 11 septembre israélien », ou encore « Un échec lamentable du renseignement militaire israélien », voire « La faillite du système de dissuasion israélien ».

Mais la question la plus importante reste aujourd’hui : A quoi faut-il s’attendre dans les jours qui viennent ?

Passées les premières heures du choc psychologique subi, les dirigeants israéliens étaient unanimes à brandir la menace d’une riposte exceptionnelle, à la hauteur du défi lancé par le Hamas. Ils n’avaient pas d’autre choix que de brandir une telle menace. D’abord, pour rassurer psychologiquement la population israélienne et, en particulier, les colons. Ensuite, il y va de la stratégie de dissuasion suivie jusque-là par Israël et dont il est raisonnable de douter qu’elle puisse résister au coup qu’elle a subi.

Offensive terrestre 2.0

Pour espérer en finir avec la menace du Hamas, le gouvernement israélien ne pouvait qu’envisager une riposte différente de toutes celles qu’il a suivies jusque-là, depuis la guerre de 2009 jusqu’à la bataille de 2021 qui a opposé l’armée israélienne aux combattants du Djihad islamique, en passant par la guerre de 2014 contre le Hamas. La stratégie du bombardement aérien et de la destruction systématique des infrastructures n’a pas réglé le problème, il est logique de s’attendre à autre chose cette fois-ci.

Selon les médias américains, Netanyahou aurait informé Biden qu’Israël n’avait pas d’autre choix que de passer à une offensive terrestre dans le but d’en finir cette fois-ci avec le Hamas.

« Offensive terrestre », la formule magique est lancée. Mais au cinquième jour des affrontements depuis le lancement de l’opération « Déluge d’al-Aqsa », Israël semble hésiter. L’état-major de l’armée israélienne vient de déclarer qu’il n’avait pris aucune décision concernant une éventuelle offensive terrestre mais qu’il s’y préparait. 

Les médias israéliens, qui ont gardé une certaine critique avec les évènements (mieux en tout cas que leurs homologues français), restent dubitatifs. Le Haaretz, principal quotidien de gauche israélien, a publié des extraits de la lettre d’un général de réserve de l’armée de l’air israélienne qui avertit clairement contre toute offensive terrestre d’envergure qui pourrait avoir des conséquences effroyables non seulement parmi les civils palestiniens, mais aussi au sein de l’armée israélienne.

Le général n’hésite pas à mettre en garde contre ce qu’il appelle « le piège de Gaza ». Les craintes du général israélien montrent à l’évidence qu’on est en face de l’émergence d’une nouvelle équation stratégique dans la région. 

L’information d’une extrême gravité rapportée par l’agence Reuters, selon laquelle les services des Nations Unies à Gaza ont reçu l’instruction du commandement de l’armée israélienne d’organiser l’évacuation d’un million d’habitants du nord au sud de Gaza, ajoutée aux images qui nous parviennent sur l’intensité des bombardements israéliens de ces deniers jours, pourraient renseigner sur la nouvelle stratégie israélienne et constitueraient, de fait, une première réponse aux inquiétudes exprimées par le général israélien cité par le Haaretz.  

Nous serions cette fois en face d’une offensive terrestre 2.0, qui ne commencera qu’après avoir vidé le nord de Gaza de ses habitants. L’offensive terrestre 2.0, au cas où elle aurait lieu, ne serait qu’une supercherie, dans la mesure où les chars et les hélicoptères qui entreront dans ces conditions à Gaza n’auront en face d’eux que quelques centaines de combattants épuisés qui auront survécu au déluge de l’aviation et de l’artillerie.

Reste maintenant que cette « offensive terrestre » 2.0, sur laquelle semble parier l’état-major de l’armée israélienne, n’est pas si sûre puisqu’elle dépend de l’évacuation des habitants du nord de Gaza, même si on sait malheureusement que près de 400 000 habitants ont déjà été délogés et obligés de se tasser dans les camps ouverts par l’UNRWA. 

« Une victoire à la Pyrrhus » ?

A supposer que l’offensive terrestre 2.0 puisse arriver à neutraliser le Hamas comme prévu, Israël et son parrain américain n’auraient même pas le temps de savourer une victoire qui aura tout l’air d’une « victoire à la Pyrrhus »,  pour des raisons à la fois sociopolitiques et géopolitiques incompressibles. 

Le général israélien cité par le Haaretz n’a pas seulement émis de sérieuses réserves militaires sur le scénario de l’offensive terrestre. Il a aussi eu la lucidité de se poser l’autre question de fond qui est à caractère politique : à supposer que l’armée israélienne réussisse son offensive terrestre au prix fort, que fera-t-elle après ? Rester et occuper une nouvelle fois le territoire et revenir à la situation d’avant 2005 ? Pour refaire à rebours le chemin qui a conduit à la situation présente ?

Mais le scénario de l’offensive terrestre pourrait être confronté à d’autres contraintes, extérieures à Israël cette fois-ci. En apparence, les Etats-Unis et leurs alliés européens semblent d’accord avec ce qu’ils considèrent être le droit d’Israël de se défendre. Dans les déclarations officielles, ils ne semblent fixer aucune limite à l’Etat d’Israël qui, au demeurant, ne s’est jamais encombré de considérations juridiques et humanitaires depuis sa création. 

Mais dans les coulisses, les choses sont plus compliquées. Les indices que laissent filtrer les médias américains proches de l’Administration démocrate, comme le New York Times et le Washington Post, montrent que les Américains, s’ils comprennent le souci israélien de rétablir le facteur de dissuasion, n’en sont pas moins préoccupés par les conséquences éventuelles d’une guerre totale à Gaza, qui pourrait constituer le casus belli d’une extension régionale du conflit qu’ils redoutent par-dessus tout.

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L’incontournable question palestinienne

Les Américains et au moins une partie de l’establishment israélien savent que, même à supposer que l’armée israélienne arrive à déloger définitivement le Hamas de Gaza, cela ne réglera pas la question de la sécurité d’Israël et des intérêts stratégiques américains dans la région qui sont, au demeurant, sérieusement bousculés par l’intrusion de la Russie et de la Chine, y compris dans les pays du Golfe qui étaient jusqu’ici une chasse gardée américaine.

Le Hamas constitue sans doute, aujourd’hui, un grain de sable redoutable, qui pourrait cristalliser toutes les rancœurs et tous les appétits qui dérangent la domination américaine et israélienne. Et à ce titre, il devient une cible prioritaire. 

Mais qui garantit que l’acteur qui remplacera éventuellement le Hamas sera moins intransigeant ? Les stratèges américains et israéliens devraient se rappeler qu’il y a une quarantaine d’années, les services de renseignement israéliens avaient joué cyniquement la carte du Hamas contre le Fatah. La suite, on la connaît.

La temporalité du grand jeu des officines du renseignement n’est pas la même que celle qui est à l’œuvre dans les tendances lourdes qui structurent les espaces sociaux et politiques d’une région de vieille civilisation, à laquelle un système international inique fait subir une des plus grandes injustices de l’histoire contemporaine.

Un évènement qui peut paraître anodin, aux yeux de certains, pourrait corroborer cette lecture. La Maison-Blanche vient de retirer les accusations effroyables qu’elle a portées contre le Hamas concernant le soi-disant massacre de bébés israéliens, en affirmant qu’elle a été induite en erreur par un porte-parole du Premier ministre israélien et par certains médias de ce pays. Pourquoi une telle repentance qui vient mettre à mal tous les efforts de la machine de propagande pro-israélienne, si ce n’est pour justifier plus tard une douloureuse négociation avec le Hamas par l’intermédiaire des acteurs régionaux qui ont gardé le contact avec lui (Egypte, Qatar, Turquie) ? 

Le rappel de ces contraintes géopolitiques montre à l’évidence qu’il y aura désormais un avant et un après l’opération « Déluge d’al-Aqsa ». Si, pour une raison ou une autre, Israël ne s’engage pas dans une vaste et coûteuse offensive terrestre visant l’anéantissement du Hamas, elle pourrait dire adieu à sa dissuasion et devrait mettre ses pieds sur terre, et arrêter de penser que la paix peut se construire ailleurs qu’avec les Palestiniens. Et à ce moment, il y aura réellement une chance pour une paix juste et durable au Moyen-Orient. 

Le scénario redoutable de l’extension du conflit

Si, au contraire et malgré tout, Israël se laisse aller à écouter les voix autodestructrices de sa composante extrémiste et se lance dans une offensive terrestre avant ou après avoir vidé le nord de Gaza de sa population, le risque est grand d’assister à une extension géographique du conflit que ses parrains américains redoutent au plus haut point.

S’il est aisé d’imaginer qu’une entrée de l’armée israélienne à Gaza ne pourra que déboucher sur l’embrasement de la Cisjordanie, il est revanche difficile de prédire les ondes de choc en Jordanie, en Syrie, au Liban. Et si le Hezbollah libanais entre en guerre, cela veut dire que des milliers de volontaires irakiens et yéménites seront de la partie.

Nous n’osons même pas envisager le scénario qui verrait l’Iran entraîné directement dans un conflit régional de grande intensité. Un tel conflit ne fera pas seulement oublier l’Ukraine, mais pourrait donner le signal de départ d’un conflit mondial, dont la question des nouvelles routes du commerce international qui oppose farouchement les USA à la Chine constituera un motif supplémentaire, peut-être même un motif qui déclassera d’ici 20 ans l’enjeu pétrolier.

Le scénario de l’ouverture d’un second front au nord, qui verrait le Hezbollah envahir la Galilée où résident un million de colons israéliens, est pour l’heure improbable et Washington fait tout pour le prévenir. Mais elle sait qu’elle ne l’empêchera pas seulement par l’envoi du porte-avions Gérald Ford en Méditerranée orientale. 

En attendant le soulèvement de leurs frères de Cisjordanie, les combattants de Gaza, qui ont sans doute prévu y compris ce scénario, devront, au moins à court terme, continuer à porter seuls le poids de cette cinquième guerre en moins de 15 ans, une guerre qui sera sans doute plus effroyable, mais peut-être aussi plus féconde politiquement que celles qui l’ont précédée.

L’histoire est en train de rappeler, dans l’horreur et la douleur, à la courte mémoire des grands de ce monde qu’il n’est ni sain ni raisonnable de chercher à sacrifier la justice, dont relève fondamentalement la cause du peuple palestinien, sur l’autel des calculs sordides et mesquins de ceux qui se sont empressés de signer les Accords d’Abraham, dans l’espoir de sauvegarder leur pouvoir et leurs richesses pour les uns, et d’engranger quelques miettes de la honte pour les autres. 

 

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