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Deux poids, deux mesures pour les citoyens d’Israël

 

L’arrestation d’un journaliste et de plusieurs militants en Israël au cours des dernières semaines a provoqué un débat dérangeant : les lois sont-elles appliquées différemment selon qu’un citoyen est juif ou pas ?

C’est une question qui est le plus souvent posée en lien avec les Territoires occupés, où Israël fait fonctionner deux systèmes juridiques pour la majorité de la population : un système civil pour les colons juifs, et un régime militaire, beaucoup plus sévère, pour les Palestiniens.

Mais de récentes arrestations bien médiatisées en Israël suggèrent que les citoyens arabes palestiniens, qui constituent un cinquième de la population d’Israël, subissent aussi ce que Amal Jamal, professeur de sciences politiques à l’Université de Tel Aviv, appelle une forme « d’apartheid juridique », malgré leur citoyenneté et le fait qu’ils vivent sous le même ensemble de lois.

Le mois dernier, l’arrestation de Majd Kayyal, journaliste de la minorité palestinienne d’Israël, a été particulièrement controversée. Il a été arrêté à un poste frontalier, au retour d’une visite au Liban. Il avait voyagé en se servant de documents de voyage spéciaux de l’Autorité Palestinienne à Ramallah.

Il a été tenu au secret pendant 5 jours, accusé d’infraction grave à la sécurité et interdit de tout contact même avec des avocats. Il a finalement été libéré et assigné à résidence lorsqu’il s’est avéré que les autorités israéliennes n’avaient pas la moindre preuve d’une infraction à la sécurité.

Plusieurs journalistes juifs israéliens chevronnés avaien pris sa défense, soulignant qu’eux aussi avaient visité « des états ennemis », en se servant d’un passeport alternatif, non israélien, sans avoir jamais été interrogés voire arrêtés et menacés de poursuites.

Zvi Barel, un analyste Moyen-Orient au quotidien Haaretz, dit qu’Israël a deux poids, deux mesures, l’un pour les Israéliens juifs et l’autre pour les populations arabes palestiniennes : « Les journalistes arabes sont suspectés par avance d’avoir un objectif pour aller visiter un état ennemi – espionner, fournir de l’information ou ’contacter un agent étranger’. Un journaliste arabe israélien est considéré avant tout, et en dernière instance, comme un arabe ».

Selon les juristes, journalistes et groupes de défense des droits de l’homme, la série d’arrestations constitue un démenti au commentaire du Premier Ministre israélien Benjamin Netanyahou, la semaine dernière, quand il a dévoilé ses plans pour introduire une législation définissant Israël comme « l’état-nation du peuple juif ».

Il promettait que la discrimination ne recevrait aucune sanction légale : « Israël préservera toujours pleinement l’égalité des droits, tant personnels que civiques, pour tous les citoyens de l’état d’Israël, juifs et non juifs ensemble ».

Cette promesse était faite alors que Hassan Mounir, un militant de 44 ans de la ville de Lod [Lydda] dans le centre d’Israël était arrêté après avoir posté sur Facebook des photos d’un groupe de chrétiens israéliens-palestiniens rencontrant un ministre du gouvernement pour discuter de l’introduction d’une conscription militaire pour les chrétiens.

L’armée avait annoncé le mois dernier qu’elle enverrait pour la première fois à tous les élèves chrétiens quittant l’école, un courrier les encourageant à se porter volontaires, ce qui avait choqué beaucoup de membres de cette minorité palestinienne. L’opération est généralement considérée comme une tentative de diviser les Palestiniens en Israël, en montant chrétiens et musulmans les uns contre les autres.

Mounir a dit à Haaretz que son arrestation était destinée à intimider et à faire taire les critiques de la conscription. La semaine passée, une interprétation similaire a été donnée à l’arrestation musclée par la police israélienne de trois étudiants israéliens-palestiniens qui menaient une action de protestation silencieuse contre la conscription, sur le campus de l’Université Hébraïque à Jérusalem.

Les avocats défendant Mounir, qui a été contraint de remettre son ordinateur et son téléphone à la police avant d’être libéré et assigné à résidence, ont déclaré qu’il n’avait enfreint aucune loi.

« Ce qu’il a fait, c’est nommer et faire honte aux personnes présentes à la réunion en publiant une photo officielle. Son post ne contenait aucune parole pouvant s’interpréter comme une menace, dit Saousane Zaher, une avocate deAdalah, Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël.

Elle ajoute que les sites des médias sociaux en Israël sont remplis « d’incitations à la haine contre les arabes » émanant de juifs israéliens, mais qu’aucune arrestation ne suit jamais. « Son cas et d’autres semblables concernent entièrement l’état, qui se sert de la loi comme d’un outil politique. Ils veulent envoyer ce message : n’envisagez pas une seconde de critiquer ceux qui soutiennent la politique du gouvernement, ou vous aurez des problèmes ».

L’arrestation de Kayyal elle aussi a été considérée par d’aucuns comme ayant des motivations politiques. Le service de renseignement intérieur israélien, Shin Bet, a utilisé une ordonnance de non-publication draconienne pour tenter de dissimuler ses investigations sur la suspicion qu’il aurait eue, « de contacts avec un agent étranger », ce qui peut entraîner une condamnation allant jusqu’à 15 ans ».

Le journaliste âgé de 23 ans avait assisté à une conférence à Beyrouth célébrant le 40ème anniversaire du quotidien As-Safir [L’ Ambassadeur], dont il est un correspondant. Il a dit à MEE qu’il n’avait aucunement dissimulé sa visite, postant des mises à jour sur sa page Facebook de là-bas et écrivant sur l’événement pour un site web arabe.

Outre son arrestation, ce sont certains aspects de l’affaire qui ont dérangé les observateurs :

* Le refus d’accès à des avocats est une caractéristiqu
e du système juridique principalement utilisée contre les Palestiniens, le plus souvent dans les Territoires occupés, mais également en Israël. En tant que journaliste, fait remarquer Dimi Reider, il ne s’applique quasi jamais à des citoyens juifs.

* Entre les interrogatoires agressifs, Kayyal était confiné dans une cellule en sous-sol fortement éclairée 24 heures sur 24, une méthode que certains assimilent à de la torture. Cette technique est censée désorienter les suspects et provoquer leur confusion, leur faire ressentir l’isolement, perdre le sens du temps et abandonner tout espoir.

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* Produire des ordonnances de non-publication, empêcher les médias d’écrire sur une arrestation, cela est normalement réservé aux cas les plus graves portant atteinte à la sécurité nationale. Dans le cas de Kayyal, l’ordonnance n’a été révoquée que lorsque des blogs à l’étranger ont publié son arrestation, entraînant des questions embarrassantes de la part de journalistes lors d’une conférence de presse au Département d’État US.

Après que Kayyal eut passé un test au polygraphe, l’accusation de ’contact avec un agent étranger’ a été abandonnée. Il a été libéré et assigné à résidence, avec interdiction de quitter le pays ou de parler à qui que ce soit hors d’Israël. Les procureurs envisagent toujours de l’inculper pour avoir « visité un pays ennemi », ce qui pourrait lui valoir une condamnation à 4 années d’emprisonnement.

A la suite de son arrestation, un porte-parole de Shin Bet aurait dit : « Il est soupçonné d’avoir été recruté par une organisation hostile ».

Mais selon Kayyal, leurs questions « désespérées » montraient dès le début que les hommes de Shin Bet n’avaient aucune preuve qu’il aurait rencontré un agent du Hezbollah. « Ils ont même fini par dire qu’ils savaient que j’avais lancé des pierres et écrit des graffiti pendant les manifestations d’octobre 2000 [en soutien à la Deuxième Intifada] ! Je leur ai fait remarquer que j’avais 9 ans à cette époque ». Malgré cela ils ont persévéré.

« Ce qu’ils espéraient, c’est une confession. Ils voulaient me briser » dit-il. « J’en suis arrivé au point où tout ce que je voulais c’est qu’ils ouvrent une fenêtre de la salle d’interrogatoire pour que je sache si c’était le jour ou la nuit. Et alors, vous commencez à avoir peur de ne jamais sortir ou de ce que vous pourriez dire, juste pour que ce cauchemar s’arrête ».

Tout en disant avoir apprécié le soutien de ses collègues juifs, il note qu’ils ont attendu jusqu’à avoir la certitude qu’il n’avait aucun lien avec le Hezbollah. « Il y avait toujours le présupposé de leur part qu’en tant qu’arabe j’avais sans doute commis une infraction à la sécurité ».

Amal Jamal, qui dirige Ilam, un centre basé à Nazareth qui défend la justice et le pluralisme dans les médias israéliens, a dit :

« Il ressort clairement de la manière dont la loi est appliquée que les autorités considèrent les citoyens israéliens qui sont palestiniens comme coupables, jusqu’à ce qu’ils puissent prouver qu’ils sont innocents ».

L’interdiction de se rendre dans un pays ennemi provient des règles d’état d’urgence de 1948, dont beaucoup sont un héritage israélien du Mandat britannique. Kayyal dit que la loi est « illégitime » à ses yeux car elle interdit aux citoyens palestiniens de satisfaire au besoin naturel d’être en contact avec le monde arabe.

« Israël veut que je sois un oiseau en cage Mais je ne vis pas que pour manger. J’ai besoin d’une vie culturelle. J’ai besoin d’avoir des relations avec mes cousins arabes, de trouver un lieu auquel j’appartienne ».

L’Association pour les Droits Civiques en Israël (ACRI) a dit que des journalistes juifs israéliens qui ont enfreint la loi « ont été très applaudis pour ce qu’on considère comme du journalisme courageux et professionnel ». Elle ajoute qu’en s’appliquant aux seuls citoyens palestiniens, la loi est devenue « une méthode inconvenante pour suivre et contrôler leurs mouvements ».

Wadea Awawdy, de l’hebdomadaire Hadith al-Nass qui a signé la pétition contre l’ordonnance de non-publication dans le cas Kayyal, a déclaré que de telles connections étaient très importantes pour les journalistes et les politiciens palestiniens en Israël.

« Notre rôle doit être de comprendre notre région, de fournir une information réelle sur les conflits que nous couvrons, de représenter nos lecteurs et de les aider en leur apportant des idées sensées ; de faire ce qu’il faut pour être engagé dans le monde arabe ».

Il déplore en particulier le refus d’Israël, ces sept dernières années, de permettre aux journalistes israéliens – y compris ceux de la minorité palestinienne – d’entrer à Gaza. « Le siège de Gaza, c’est aussi l’interdiction qui nous est faite d’avoir des contacts mutuels et d’échanger des informations, sous prétexte de sécurité. En tant que journalistes nous devons envisager une guerre contre ces règles, et être prêts à en payer le prix ».

Me Zaher, l’avocate de Adalah, a critiqué l’usage israélien de la clause ’contact avec un agent étranger’ dans le Code Pénal. Utilisée presque exclusivement dans des cas de sécurité impliquant des citoyens palestiniens, elle est unique en ce qu’elle requiert que ce soient les prévenus qui doivent prouver leur innocence ».

Qui est comptabilisé parmi ces « agents » ? – un ami ou un parent d’un membre du Hezbollah par exemple ? Ce n’est pas clair. Et en pratique, le seul fait de rencontrer un tel « agent » est habituellement considéré comme une preuve suffisante pour être inculpé devant un tribunal israélien, même s’il n’y a eu aucune atteinte à la sécurité.

Bien des citoyens palestiniens éminents ont enfreint cette loi, y compris Said Naffaa, ancien parlementaire israélien, qui en 2007 avait guidé une délégation de hi
érarques druzes faire la tournée des lieux saints en Syrie.

D’autres y incluent Amir Makhoul, un dirigeant de la société civile palestinienne qui a mené le mouvement de boycott en Israël, et Mohammed Kanaaneh, dirigeant de Abnaa el-Balad, [Fil(le)s du Pays], un mouvement politique qui rejette la participation aux élections israéliennes.

Middle East Eye – Vous pouvez consulter cet article à : 
http://www.middleeasteye.net/news/d… –
Traduction : Info-Palestine.eu – AMM

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