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Des femmes sujets de l’Histoire

Le besoin de se construire et de réaliser une identité personnelle en tant que sujet, avec et/ou contre les autres mais indéniablement parmi ces derniers ; marque les attitudes de femmes et d’hommes. Or, l’installation de populations d’origine immigrée issues notamment du Maghreb et de Turquie, dans le paysage belge et français, ne s’effectue pas sans difficultés. Cette réalité impliquant des redéfinitions de soi s’inscrit donc au centre de débats sociétaux.

La présence des femmes musulmanes au cœur de l’Europe, et plus précisément celles coiffées d’un foulard islamique, interrogent le concept de citoyenneté. Par leur visibilité, ces femmes constituent pour nombre de chercheurs un terrain propice à l’analyse des relations complexes entre l’islam et la modernité dite occidentale.

Parmi ces femmes, il en est qui affichent le foulard comme étant une traduction de leur identité islamique. Cette représentation féminine s’avère pour ainsi dire extrêmement surprenante. En effet, le regard occidental méconnaît ce phénomène qui, pour certains, provient d’un autre âge et matérialise le symbole de l’offensive islamiste dont le but ultime résiderait dans la conservation de valeurs rétrogrades au profit d’un passé idéalisé. Pour d’autres, cette réalité répond à un modèle spécifique de libération de femmes alors que des observateurs y perçoivent un archétype avant-coureur d’une émancipation islamique au féminin.

Nombre de ces femmes musulmanes, parfois même féministes, se positionnent intellectuellement. Par conviction personnelle, elles mènent des combats au centre desquels réside leur revendication pour davantage de libertés et de responsabilités. Le politologue Abderrahim Lamchichi insiste précisément sur cette génération de […] jeunes militantes voilées [qui] se veulent à la fois croyantes, pratiquantes et modernes ; elles s’identifient fortement à une certaine éthique islamique, mais aspirent dans le même temps à la réussite scolaire et professionnelle. […] La femme islamiste se veut « moderne » : elle est certes voilée, mais veut être respectée, reconnue et aspire à prendre en main son destin […].[1]

Comme l’indique le spécialiste du monde arabo-musulman François Burgat, ces femmes ne représentent pas des êtres aliénés de la même manière qu’elles ne se laissent pas imposer le port du foulard : […] elles ont choisi librement de le porter, parfois même contre le vœu de leur milieu familial. [2] Et pour cause, aux yeux de ces femmes ce vêtement islamique répond à un précepte divin, reflète l’expression d’une forme de pudeur et représente également un moyen de libération.

Soulignons par ailleurs qu’au travers d’un procédé qui permettrait à la femme l’accès à une sorte de virilisation, une récente particularité imputée au foulard islamique trouve écho en Turquie. Pour distinguer le foulard traditionnel porté par les mères et les grand-mères, la presse turque désigne le couvre-chef de ces jeunes militantes par le terme turban. Ce serre-tête correspondait initialement à la coiffure masculine et l’utilisation de […] « ce terme au lieu de celui, féminin, de foulard attribue un « pouvoir » aux femmes musulmanes et indique « leur virilisation » par la politique religieuse. […] Autrement dit, l’appellation même de « turban » cache et révèle ce caractère hybride et transgressif du voile islamique, au croisement des dynamiques des rapports de pouvoir entre Orient/Occident, tradition/modernité et hommes/femmes. [3]« 

A cet égard, Abderrahim Lamchichi affirme que « le voile arboré par ces jeunes femmes [parlant de musulmanes engagées] est un signe publiquement affiché et revendiqué, un défi à la tradition, un vecteur d’investissement de l’espace public qui leur permet de revendiquer des droits notamment, à commencer par le partage des tâches et du pouvoir au sein de la famille. [4] « Une nouvelle fois ces femmes allient le libre choix d’un vêtement islamique d’une part aux combats citoyens d’autre part.

Dans un entretien avec Aziz Zemouri, l’intellectuel Tariq Ramadan évoque également le caractère compatible de ces exigences féminines. L’islamologue genevois met ainsi en exergue un féminisme islamique. Notons à cet effet que « […] le droit à l’autonomie, à l’éducation au divorce, au travail, à l’engagement social et politique […] le déni du droit à l’éducation, à la participation à la vie sociale et aux différentes sphères du pouvoir […] le refus des mariages forcés, de la violence conjugale […] » correspondent à autant de revendications et de condamnations amarrées aux textes sacrés de l’islam.[5] D’ailleurs, Tariq Ramadan déplore le manque de considération pour l’être féminin : « […] ce chaînon manquant du discours musulman sur l’être féminin, sur la féminité dans l’ordre de la foi et sur les choix féminins, sur la libre quête spirituelle, produit des effets graves sur la conception du rapport homme-femme. »[6]

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Ceci étant, nous pouvons avancer que l’émancipation des femmes s’inscrit dans une modernité islamique. Ces femmes musulmanes, engagées et revendicatives, ne se positionnent non plus passivement comme objets d’étude mais bien en tant que sujets de l’Histoire. Elles s’insèrent dans une histoire critique qui catégorise les femmes comme agents de cette même logique diachronique. Ces musulmanes génèrent, dès lors, non seulement une proximité manifeste avec les combats de femmes dans le monde mais s’y insèrent indéniablement. En définitive, ce dynamisme amorcé ne pourra se pérenniser qu’au travers d’une revitalisation d’un féminin islamique, portés par la synergie des forces, des compétences et des intelligences de femmes et d’hommes.



[1] LAMCHICHI Abderrahim, « La condition de la femme en islam. Avancées et régressions », in LEONETTI Taboada (dir.), Les femmes et l’islam, entre modernité et intégrisme, L’Harmattan, Paris, 2004, p.42. Voir également LAMCHICHI Abderrahim, « Vers un féministe islamiste ? », in Manière de voir, Paris, n°68, Avril-Mai 2003, pp.82-87.

[2] BURGAT François, L’islamisme en face, La Découverte, Paris, 2002, p.213.

[3] GÖLE Nilüfer, Islamisme et féminisme en Turquie : regards croisés in NORDMANN Charlotte (dir.), Le foulard islamique en questions, Editions Amsterdam, Paris, 2004, p.120.

[4] LAMCHICHI Abderrahim, « La condition de la femme en islam. Avancées et régressions », in LEONETTI Taboada, Les femmes et l’islam…, p.44.

[5] ZEMOURI Aziz, Faut-il faire taire Tariq Ramadan ?, L’Archipel, Paris, 2005,p.210.

[6] Ibidem. Voir à cet égard, RAMADAN Tariq, « Le souffle féminin. Révélation et espoir », in ZEMOURI Aziz, op. cit., p.379. 

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