Depuis l’assassinat du général Abdel Fatah Younès et deux de ses aides (deux colonels), le 28 juillet dernier, la suspicion règne au sein du Conseil national de transition (CNT) et entre les différents groupes rebelles. Les premiers visés sont les proches du général, soupçonnés par certains de faire partie d’une « cinquième colonne kadhafiste ». Les rumeurs les plus folles circulent à ce sujet dans Benghazi. « Younès était un agent double », entend-on, « il sabotait les efforts des rebelles ». D’autres affirment, au contraire, que le général a été assassiné par des agents kadhafistes infiltrés. D’autres encore disent que le meurtre est l’oeuvre d’« islamistes » se vengeant de tortures infligées lorsqu’il était ministre de l’Intérieur à Tripoli (1).
Des instructeurs de l’OTAN enlevés ?
Les circonstances de la mort de Younès demeurent mystérieuses. Il aurait été arrêté dans son quartier général à Brega pour « interrogatoire », puis abattu et peut-être torturé au cours de son transfert à Benghazi. Son corps et ceux de ses assistants ont été trouvés, en partie brûlés, dans la banlieue de Benghazi. Les déclarations contradictoires de Mustapha Abdeljelil ont accentué le malaise, d’autant qu’une méchante rumeur accuse ce dernier d’être le véritable commanditaire du meurtre. Le charisme du général lui faisait de l’ombre… dans la perspective de négociations avec le gouvernement libyen, le président du CNT se verrait diriger la Libye avec… Seif al-Islam Kadhafi (2) !
Pour calmer le jeu et de peur d’être la prochaine victime des tueurs, Abdeljalil a promis une enquête, mais la lenteur et le manque d’informations sur ses progrès exaspèrent la puissante tribu Al-Obeidi (400 000 personnes, majoritairement en Cyrénaïque) dont faisait partie le général. Ses membres demandent que justice soit faite – à Benghazi ou devant une cour internationale – ou jurent de venger sa mort eux-même. A titre d’avertissement, ils ont mitraillé l’immeuble où Abdeljalil avait tenu sa conférence de presse et auraient enlevé 15 instructeurs de l’OTAN, parmi lesquels des Français. Lors des obsèques d’Abdel Fateh Younès, un de ses fils, a crié à l’assistance médusée : « Nous voulons le retour de Mouammar. Nous voulons le retour du drapeau vert », en référence au drapeau de la Jamahiriya (3).
Des djihadistes dissidents
La Coalition du 17 février, regroupement de courants ayant participé au soulèvement de Benghazi, exige la démission ou le limogeage de trois membres du Conseil national de transition (CNT). Il s’agit de Ali al-Essaoui, responsable des relations internationales – reçu à plusieurs reprises à l’Elysée par Nicolas Sarkozy avec BHL – qui a paraphé une demande d’arrestation du général Younès, de Jalal al-Digheily, chargé de la Défense, et de Faouzi Aboukatif, son adjoint. Ils seraient, tous les deux, en fuite. En conséquence, des membres de la Coalition du 17 février réclament des explications sur les charges pesant sur le général Younès et la démission d’Al-Digheily.
L’annonce qu’Abdel Fatah Younès aurait été assassiné par la Katiba Youcef Shaker – ou al- Nida’a – une unité spéciale de la Brigade Obeida Ibn Jarrah (4), formée de djihadistes du Groupe islamique libyen de combat ou de la branche locale d’Al-Qaïda, confirme ce que radio Tripoli avait révélé dès la fin juillet, mais ne lève pas le voile sur les véritables commanditaires du meurtre. Selon le Financial Times (31/7/11), parallèlement à l’opération visant le général, deux prisons de Benghazi ont été attaquées et plusieurs djihadistes dissidents libérés. La principale force de sécurité rebelle, la Brigade des martyrs du 17 février, composée elle aussi de djihadistes du Groupe islamique libyen de combat, mène l’enquête…
Climat de méfiance et paranoïa
Abdel Fatah Younès a été remplacé par un membre de sa tribu : le général Mahmoud Sulayman al-Obeidi, ancien commandant de la garnison de Tobrouk de l’armée libyenne. Mais, le « général » Khalifa Hifter, présenté en mars dernier par le quotidien britannique Daily Mail comme une des « deux étoiles militaires de la révolution » (4), attend son heure. Ce militaire manipulé par la CIA, qui a dirigé une organisation du type « contra » appelée « Armée Nationale Libyenne » (5), estime que le poste lui revenait de droit. Ennemi déclaré de Younès, il n’est peut-être pas totalement étranger à son meurtre.
Pour la Fondation Jamestown, le climat de méfiance qui s’est instauré à Benghazi, la paranoïa, les querelles intestines et les purges à venir, pourraient conduire à l’effondrement du mouvement rebelle. L’interview accordée par Seif al-Islam Kadhafi au New York Times (3/8/11) va accentuer les divisions à Benghazi. Il a déclaré s’être entendu avec Ali al-Salabi qu’il présente comme le « vrai chef » des rebelles et le « guide spirituel » des djihadistes libyens pour former une alliance qui débarrasserait la Libye des libéraux et des pro-occidentaux ! Tout un programme…
France Irak Actualité
(1) Hunt for the “Fifth Column” Could be the Beginning of the End for Libya’s Rebels (Jamestown Foundation – 4/8/11)
http://www.unhcr.org/refworld/docid/4e3b9d8d2.html
(2) Rumeur reprise par Debka, site d’information et de désinformation israélien proche du Mossad
(3) Abdel Fatah Younis Assassinated By Rebels : Rebel Officer
http://www.huffingtonpost.com/2011/07/29/abdel-fatah-younis-assass_0_n_913634.html
(4) Daily Mail – 19/3/11
(5) Washington Post – 26/3/96
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