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Jean-Pierre Filiu, auteur de « L’Apocalypse dans l’Islam » : « Une littérature populaire venue d’Egypte annonce l’apparition de l’Antéchrist »

Le Coran n’est pas un livre apocalyptique. En revanche, certains hadith (paroles et enseignements du Prophète) contiennent ce que l’on peut appeler des « fragments apocalyptiques » et « d’imagerie apocalyptique ». Certains auteurs, souvent d’origine égyptienne, ont développé ces dernières années une « littérature apocalyptique musulmane », mélangeant sans aucune précaution tremblements de terre, éruptions volcaniques, Antéchrist, Armageddon, holocauste nucléaire, Mahdi, Nostradamus et soucoupes volantes. Cette littérature violemment antisémite rencontre un succès populaire incontestable.

Jean-Pierre Filiu, historien et arabisant, professeur associé à l’Institut d’études politiques de Paris, signe un excellent ouvrage intitulé « L’Apocalypse dans l’Islam » (*). Il est également l’auteur d’un autre livre, « Les frontières du Jihad », dont Oumma a rendu compte en 2007.

Il existe plusieurs figures messianiques dans la pensée musulmane. Jésus, qui doit revenir sur terre et dont la fonction sera de tuer l’Antéchrist. Après cette mise à mort, Jésus donnera le pouvoir au Mahdi. Toutefois, l’Antéchrist et le Mahdi sont deux figures absentes du Coran.

Avant même l’éclosion de cette littérature égyptienne millénariste, n’est-ce pas en Iran, en 1978, que l’on évoque l’arrivée du Mahdi, en même temps que le retour de Khomeiny à Téhéran ?

Pour dramatiser l’affrontement avec le Shah, les partisans de Khomeiny vont effectivement jouer sur le registre apocalyptique. Dans une prière pour le retour de l’ayatollah Khomeiny, il y a une assimilation explicite de l’imam au Mahdi attendu. Le 27 novembre 1978, la rumeur prétend que le visage de l’ayatollah est apparu sur la lune ! J’ignore si Khomeiny lui-même croyait à cette apparition, mais des millions d’Iraniens sont persuadés d’avoir vu les traits de l’ayatollah sur la lune.

Coïncidence, pratiquement à la même période, des centaines d’insurgés s’emparent de la Grande Mosquée de La Mecque, et parmi eux, le Mahdi…

Le chef des insurgés, Juhayman Al-Otaybi, présente son beau-frère, Mohammed Al-Qahtani, appartenant à une lignée de descendants du Prophète, comme le Mahdi. Pendant les affrontements, qui vont durer deux semaines, Al-Qahtani est tué. Les insurgés vont pourtant continuer à se battre. Cela tend à prouver que Al-Otaybi savait que son beau-frère n’était pas le Mahdi. Mais sans doute pensait-il que c’était un élément mobilisateur, susceptible de galvaniser les musulmans. Il a échoué.

Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah se prend-il pour un éclaireur du Mahdi ?

Je ne le pense pas. Mais il ne s’oppose bien évidemment pas à la publication de brochures qui lui donnent une stature apocalyptique. Il est présenté comme le « Yéménite », l’éclaireur du Mahdi. De la même façon, la guerre du Liban de l’été 2006 contre Israël est présentée comme une « victoire divine », sublimée par la grâce de l’Imam caché. On découvre même l’image de combattants du Hezbollah parés d’ailes angéliques. Ils s’abattent du ciel sur leurs ennemis. Il est écrit que « cette guerre est l’introduction à l’apparition » du Mahdi.

Le Président iranien évoque lui aussi régulièrement le retour du Mahdi.

Lors de son intervention devant l’Assemble générale de l’ONU en septembre 2005, Mahmoud Ahmadinejad prétend avoir été nimbé d’un halo de lumière. Il y voit la manifestation du soutien du Mahdi à son message international. Il faut savoir que lors de la première réunion de son gouvernement, Ahmadinejad et ses ministres ont prêté allégeance au Mahdi. Dans un livre publié au Liban, on peut lire que « Ahmadinejad est le chef des forces du Mahdi qui libèreront Jérusalem (…) Le projet nucléaire est lié à l’apparition de l’Imam-Mahdi ».

Cette pensée apocalyptique ne se manifeste-t-elle pas surtout dans la tradition chiite ?

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C’est exact, la tradition chiite (avec l’Imam caché) est plus fortement messianique que la tradition sunnite. Mais il est apparu à partir de 1986 au Caire une littérature apocalyptique. Le premier livre, du journaliste Saïd Ayyoub, est intitulé « L’Antéchrist ». Selon lui, l’histoire de l’humanité n’est qu’une succession de manœuvres de l’Antéchrist juif… Et cet Antéchrist vivrait aujourd’hui au milieu de nous. Ce livre antisémite a eu un énorme succès, non seulement en Egypte, mais dans l’ensemble du monde arabe, poussant beaucoup d’autres auteurs à se lancer à leur tour dans ce délire apocalyptique.

Ne s’agit-il pas d’une sous-culture particulièrement nauséabonde ?

Absolument. Le journaliste Mohammed Issa Daoud, écrivant dans la presse égyptienne et saoudienne, s’est illustré en interviewant un « djinn musulman » ! Dans l’un de ses livres, il va jusqu’à évoquer « les liens cachés entre l’Antéchrist, les secrets du triangle des Bermudes et les soucoupes volantes »… Les maisons d’édition se sont engouffrées dans ce créneau apparemment très porteur. On y mélange Armageddon, Mog et Magog, réchauffement climatique, tremblements de terre, prédictions de Nostradamus, etc…

La hiérarchie religieuse ne réagit-elle pas face à ces divagations ?

Si, mais très mal. Elle se montre très ambiguë. A la fois, elle est très critique vis-à-vis de ces pamphlétaires laïcs, mais en même temps, elle se discrédite en tombant dans la même tentation paranoïaque. En particulier, elle valide les « Protocoles des sages de Sion ». Or, il s’agit d’un faux provenant de l’antisémitisme occidental…

Curieusement, même des responsables d’Al-Qaida semblent, eux aussi, succomber à la tentation millénariste.

Ce n’est pas le cas d’Oussama Ben Laden, ni d’Ayman Al-Zawahiri. En revanche, Abou Moussab Al-Souri, avant son arrestation, s’est mis à collationner les hadih apocalyptiques à vocation djihadiste. Même les hadih les plus contestables. « Le peuple suivra des incultes et leur demandera de délivrer des fatwas, ce seront des fatwas sans fondement et chacun sera perdu (…) un temps viendra où des gens sans mérite liront le Coran (…) ou des mosquées seront ouvertes pour y prononcer des mots absents du Coran et de la tradition », écrit-il. Comme beaucoup d’autres, Al-Souri cherchait à retrouver le chemin des masses. Et pour cela, par démagogie, il utilisait un discours apocalyptique.

Propos recueillis par Ian Hamel

Signalons également une interview de David Cook, enseignant à la Rice University à Houston (Texas), spécialiste de la pensée apocalyptique musulmane, parue sur le site www.religionscopie.com/info/articles/010_Cook_apocalyptic.htm

(*) Jean-Pierre Filiu, « L’Apocalypse dans l’Islam ». Editions Fayard, 289 pages.

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