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Une société formolisée

Le 3 mai, une immense manifestation a eu lieu à Tel Aviv pour exiger la démission d’Ehud Olmert suite au rapport de la commission Winograd dont la première partie vient d’être publiée. Ressort démocratique dont il faudrait se réjouir ?

Rien n’est moins sûr. Tout d’abord la commission elle-même ne s’intéresse qu’aux conditions et aux responsabilités de la défaite (le mot est finalement dit). Les causes de la guerre sont acquises et finalement portées au crédit du gouvernement. Aucune interrogation sur la justification de la guerre. La seule question qui circule autour du rapport et dans l’opinion est celle de pourquoi avons-nous échoué, jamais (sauf dans les mouvements anti colonialistes la guerre n’est dénoncée dans son choix fondamental. (Une guerre qui a détruit le sud Liban et tué 1200 personnes dont 950 civils, et 250 combattants de la résistance libanaise).

Il semble bien plutôt que ce qui se passe dans l’opinion israélienne est l’expression de rejet en interne d’affaires intérieures ; Olmert et la classe politique et militaire au pouvoir sont depuis plusieurs mois gravement compromis dans de multiples scandales de corruption et de mœurs, l’ échec » de la guerre du Liban n’est perçu que dans la dimension de ce qu’il a coûté aux Israéliens de leurs certitudes sur leur force, leur capacité à imposer leur loi par les armes, et aussi en pertes humaines et économiques.

Le reste n’intéresse pas l’opinion. De quoi est fait ce reste est sans doute le plus remarquable et le plus affligeant, c’est la relation à l’autre, dans toutes ses dimensions qui depuis 7 ans a été méthodiquement effacée des consciences -7 ans sans parler du passif bien plus ancien sur lequel repose cette société, construite sur la négation d’un peuple- .

Depuis le « nous n’avons pas de partenaire » de Barak- Beilin insufflé et porté dans cette société par les travaillistes pour excuser leur échec de camp David 2, non seulement la « fenêtre d’opportunité » de vraies négociations de paix s’est refermée inexorablement, mais la société israélienne a été habituée, entraînée, éduquée à l’enfermement. Un mur pour la séparer des « terroristes », un retrait unilatéral de Gaza qui signifie que l’on règle en interne le problème des colons de Gaza, sans interlocuteurs autres que le colon israélien face à la société israélienne, une relation au reste du monde qui impose les actes sur le terrain et refuse de rendre compte devant aucune législation, le refus de tendre ne serait-ce qu’une oreille aux propositions successives de paix globale émanant du monde arabe. Le mot paix ne figurait pas dans les programmes des dernières élections. Tous proposaient de régler les problèmes entre nous, et en ne comptant que sur nous même, le silence international complice et le soutien américain.

La presse israélienne ne parle plus de la paix. Les négociations pathétiques avec Abu Mahzen, la disqualification de la représentation palestinienne élue n’intéressent véritablement personne tant il est clair qu’elles ne sont qu’apparences et rideaux de fumée destinés à vaguement dissimuler ce qui avance tranquillement sur le terrain jour après jour et sans limite morale ou politique : la destruction de la Palestine, et de la société palestinienne, et l’achèvement de la colonisation.

Dov Weizglass parlait de formoliser le processus de paix, c’est la société israélienne toute entière qui a été formolisée pendant les dernières années.

L’autre en a disparu, l’autre Palestinien, l’autre Libanais, l’autre Arabe, la campagne menée en ce moment contre Azmi Bishara, le leader de Balad, le front national démocratique, le parti qui revendique « Un état de tous ses citoyens », sur la base d’une reconnaissance du fait palestinien, est le révélateur d’une société convaincue jour après jour qu’elle peut et doit se passer de l’autre. Celui derrière le mur ou les frontières, mais aussi celui à l’intérieur des frontières. Une société qui se rêve débarrassée des arabes, débarrassée de l’autre, une société malade.

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Le projet de constitution démocratique annoncé en février et publié par Adalah le 30 Avril 2007 qui tend la main en proposant un nouveau pacte social fondé sur l’égalité des citoyens, provoque un scandale parce qu’il est totalement inaudible dans une telle morbidité, évidemment ce n’est pas sans rapport avec la campagne contre « Citizen Bishara » ( Simone Bitton avait génialement souligné la fonction d’aiguillon de Bishara à travers ce titre.)

Avec Bishara et Adalah ce sont tous les Palestiniens d’Israël qui sont remis à leur place : Celle de l’impossibilité de vivre avec les israéliens juifs dans un rapport d’égalité, celle d’une citoyenneté de la soumission et du silence.

Les anticolonialistes n’étaient pas au rendez-vous de Tel Aviv ce soir, et pour cause, ils sont ceux qui ne renoncent pas au réel, celui de la vie avec l’autre, différent et égal, ils sont ceux qui éprouvent répulsion et dégoût à l’idée d’une société ethniquement nettoyée, prête à s’emmurer pour survivre par le glaive, dans un monde ou l’autre n’est qu’un ennemi mortel.

Eux construisent des ponts tous les jours à la place des murs, et montrent que l’autre existe qu’il n’est pas menaçant, que l’on peut lutter, travailler et vivre avec lui à condition bien sûr de le reconnaître.

Ils sont peu nombreux, et leur tâche est immense, devant ce naufrage de la pensée : trouver inventer le chemin des esprits et des cœurs, atteindre l’humain désorienté par la peur et les leit motiv ressassés depuis des années « ils ne nous aiment pas, on ne peut avoir confiance qu’en nous même et en notre force, ils veulent notre destruction, donc tout est permis. » Trouver inventer les mots les actes qui réveilleront la foi entre l’autre enfouie, qui seule peut changer l’avenir dans cette partie du monde.

Olmert parti, ou restant quel changement pour cette société ? Tout ce que promettent après lui les analystes politiques c’est un durcissement à droite… Le seul changement ne peut venir que de ces quelques milliers qui n’ont pas encore perdu la raison, qui ne sont pas déboussolés, comme le disait un texte de Michel Warschawski d’octobre 2000. ( publié dans « à contre chœur » ed.Textuel)

A la veille de l’élection présidentielle française qui risque de mettre au pouvoir une droite ultra libérale brutale et déterminée à aller vite, révélateur du durcissement de la société française, dans ses peurs de l’avenir, poussée vers le rejet de l’autre, à qui l’on offre le « tout sécuritaire » en compensation de l’inégalité structurelle et l’exclusion croissante des classes pauvres, nous abordons sans doute un tournant qui nous rapproche du terrible modèle de la société israélienne. Seule la constitution lente et difficile, d’un front commun national et international de résistance contre ces projets de domination et d’exclusion reste à l’ordre du jour pour garder le cap.

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