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Un « prix à payer » ? Remarques sur l’article de Khalid Chraibi

Je n’aurais aucune des qualités requises pour discuter le fond de l’article de Khalid Chraïbi publié par « Oumma » le 8 janvier 2008, sous le titre « Islam, laïcité, et droits humains ». Je ne suis ni musulman, ni même croyant d’aucune religion. Tout débat théologique m’est étranger. Mais certaines des formulations de cet article – peut-être accessoires pour l’auteur – me semblent appeler commentaire.

Pour tout dire, je trouve choquante – et je choisis là à dessein un mot mesuré – l’introduction de ce texte.

Il s’ouvre en effet par les paragraphe suivants :

« Quand on est à la fois Français et musulman, les questions suivantes peuvent parfois se poser avec acuité : Est-ce la citoyenneté française qui doit primer, avec les lois qui lui sont associées, ou bien est-ce que ce sont les convictions religieuses de l’individu, et les prescriptions juridiques qui les accompagnent ?

Ainsi, lors du débat sur la laïcité, il y a quelques années, certains membres de la communauté musulmane ont-ils adopté des positions extrêmes sur la question du foulard, alors que certaines jeunes filles affirmaient fièrement, avec le soutien de leurs parents, qu’elles préfèreraient abandonner l’école, tout simplement, plutôt que d’y retourner sans foulard.

Mais, les bienfaits de l’éducation sont tellement incommensurables, par rapport au fait de porter un foulard, que la question ne devrait même pas se poser à un esprit raisonnable. Le Prophète n’a-t-il pas préconisé de « rechercher la connaissance jusqu’en Chine, si nécessaire » ? Alors, s’il faut sacrifier un foulard pour obtenir une éducation dont on recueillera, soi-même et toute sa communauté, les bénéfices toute sa vie, le prix est-il si élevé ? »

J’observe d’abord que les questions du premier paragraphe sont biaisées, car dire que telle ou telle règle « prime » est sans portée si l’on ne dit pas en quoi consiste cette « primauté ». Au demeurant, aucune loi n’est « associée » à la citoyenneté française : chacun sait que les étrangers vivant dans un pays quel qu’il soit sont soumis aux lois de ce pays.

Quant à la question de savoir si on accepte de se soumettre à la loi du pays dans lequel on vit elle est indépendante, et de la nationalité, et des convictions religieuses. Nicolas Sarkozy avait beau dire au cours de sa campagne électorale que « être français, c’est respecter la loi », chacun sait qu’on peut tout aussi bien être français et refuser certaines loi, ou être étranger et s’y soumettre.

Les tribunaux condamnent chaque jour des citoyens français de pure souche. J’ajoute que lorsque, comme Français, il m’arrive par exemple de prêter assistance à des étrangers en situations irrégulière, je m’affranchis d’une obligation légale sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec ma nationalité. Et que c’est même en tant que citoyen que je refuse la loi.

Quant à la manière dont s’articulent le cas échéant les prescriptions de la loi et celles tirées de telle ou telle religion, chacun est en mesure de gérer cela à sa façon. Le catholicisme, par exemple, est opposé au divorce (même pour le mariage civil, qui n’a pourtant aucun sens du point de vue religieux), ou opposé à l’interruption volontaire de grossesse. Rien n’oblige les catholiques à demander le divorce ou à interrompre leur grossesse, et le fait que la loi civile les y autorise n’y change rien.

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Mais de tout cela, on peut certes débattre. Ce qui me conduit à réagir, ce sont les deux paragraphes suivants, qui expédient la question posée par la loi « anti-foulard » de 2004 d’une manière qui me semble parfaitement scandaleuse.

Mon propos n’est pas de prendre parti quant à la question de savoir si les lycéennes qui entendent porter le foulard, fût-ce au prix de leur scolarité, on tort ou raison. Ni même de prendre parti sur la formule de Khalid Chraibi selon laquelle il s’agirait de « positions extrêmes ». Il est de m’étonner que la question soit posée comme si la prohibition du foulard à l’école était une contrainte naturelle, logique, et à laquelle il n’y aurait rien à dire. Et, comme le suggère le titre de l’article, comme si cette contrainte était le simple effet du principe de laïcité.

La démonstration du contraire n’a pourtant plus à être faite ; je me bornerai sur ce point à renvoyer à l’article très complet de Pierre Tévanian [1]. La question, dit Khalid Chraibi, « ne devrait même pas se poser à un esprit raisonnable ». Veut-il dire que la raison, dont chaque être humain est pourtant doté, fait défaut à ces jeunes filles ?

Mais à vrai dire, ce n’est pas elles qui ont posé cette question, mais les promoteurs d’une prohibition que rien ne justifiait. Évoquer la « querelle du foulard » sans rappeler à quel point la loi de 2004 a constitué une atteinte injuste au droit d’étudier pour des centaines de lycéennes, c’est sans le dire prendre parti pour la prohibition.

La question, en somme, est moins de savoir si « le prix à payer » par les lycéennes portant le foulard est ou non « élevé » que de savoir s’il est légitime de l’exiger. Et de se demander pourquoi on l’exige d’elles.

Qu’il me soit simplement permis de citer cette réaction de mon amie Z. A., qui avait été elle-même, lorsqu’elle était lycéenne, victime des menées de nos prétendus laïques. Lorsque, après la promulgation de cette loi – qu’ils avaient combattu – divers responsables et leaders d’opinion musulmans ont fait le même raisonnement que Khalid Chraïbi, et invité les lycéennes musulmanes qui souhaitaient porter le foulard à l’ôter à l’entrée de l’école, pour bénéficier des bienfaits de l’enseignement, elle s’est écriée : « Ce n’est tout de même pas un mec qui va me dire ce que je dois faire de mes cheveux !! »

Note :

[1] Voir « Loi de 2004 : une révolution conservatrice dans la laïcité », publié en décembre 2005 sur Oumma.com, http://www.oumma.com/La-loi-de-2004-une-revolution. Ces arguments sont repris dans un article au titre voisin, « Une révolution conservatrice dans la laïcité », publié en mars 2007 sur le site « Les mots sont importants » http://lmsi.net/spip.php ?article530 . Voir aussi, son ouvrage « La république du mépris », La Découverte, 2007.

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