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La plaignante suisse n’a toujours pas été confrontée à Tariq Ramadan

Alors que Brigitte (prénom d’emprunt) a déposé plainte pour viol contre Tariq Ramadan le 13 avril 2018, et qu’une commission rogatoire a été envoyée à Paris le 14 septembre 2018, la confrontation n’a toujours pas eu lieu. D’où proviennent les blocages ?   

Mauvaise nouvelle pour le prédicateur. Le site de la radio-télévision suisse a annoncé mercredi 5 février que le Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire helvétique, déboutait définitivement Tariq Ramadan de sa très étrange demande. Il voulait que la justice ordonne à Brigitte de garder le silence ! Une exigence d’autant plus ubuesque que cette dernière ne s’est jamais exprimée depuis le dépôt de sa plainte en avril 2018. Elle laisse la parole à ses deux avocats Mes Robert Assaël et Alec Reymond. Et surtout, Tariq Ramadan lui-même ne se gêne pas pour l’attaquer. Dans son livre Devoir de vérité, sorti en septembre 2019, il prétend que si cette jeune femme a déposé plainte, « on cite le motif premier de l’argent : des individus l’auraient poussée à agir ainsi contre une importante rétribution », écrit-il, sans apporter la preuve de cette grave accusation. Résultat, Brigitte a déposé plainte contre Tariq Ramadan en novembre 2019, cette fois pour calomnie. 

Tariq Ramadan débouté à trois reprises

Cette volonté de faire taire son accusatrice semble une obsession pour le prédicateur. Dès juin 2018, il demande au Ministère public du canton de Genève de contraindre Brigitte à garder le silence. Désavoué à deux reprises au niveau cantonal, Tariq Ramadan s’est tourné vers le Tribunal fédéral. Celui-ci l’a non seulement débouté, mais il le condamne à verser une indemnité de 2 000 francs suisses (1 800 euros) à la plaignante, et à s’acquitter des frais de justice… Contrairement aux accusatrices françaises, Brigitte, de confession musulmane, vivant en Suisse, avait des amis communs avec Tariq Ramadan. Il n’y a pas eu de jeu de séduction entre eux.  Plusieurs semaines après un premier contact lors d’une séance de dédicaces, le prédicateur lui aurait proposé d’aller boire un café dans un hôtel de Genève le 28 octobre 2008.   

« viol » et « contrainte sexuelle »

Sous prétexte de l’aider à monter une planche à repasser et un fer, en prévision d’une émission de télévision, Tariq Ramadan l’aurait entraîné dans sa chambre. Ensuite, le scénario ressemble à celui décrit par les accusatrices françaises : elle aurait été  brutalement basculée sur le lit, insultée, giflée, contrainte à des actes sexuels. Brigitte évoque une « nuit d’horreur ». Suite à sa plainte déposée en avril 2018 (alors que Tariq Ramadan est incarcéré en France), le ministère public genevois ouvre une instruction pénale pour « viol » et « contrainte sexuelle » le 7 septembre 2018. Une semaine plus tard, le parquet adresse une commission rogatoire internationale à la France. Mais depuis, plus rien, ou presque.        

Interdiction de quitter la France

En novembre 2018, après presque dix mois d’incarcération, Tariq Ramadan est libéré sous caution (300 000 euros), mais soumis à un contrôle judiciaire. Il doit rendre son passeport. Il ne peut pas quitter le territoire français. Premier blocage : le procureur genevois demande à la justice française de lever l’assignation à résidence, afin de pouvoir convoquer le prédicateur, en présence de ses avocats, en février et mars 2019. Tariq Ramadan doit être confronté à Brigitte, mais aussi à huit témoins, dont deux médecins. Refus de la France de lever le contrôle judiciaire. Citoyen suisse, Tariq Ramadan pourrait fort bien, après les auditions, ne pas revenir dans l’Hexagone. Et comme la Confédération n’extrade pas ses ressortissants…   

La mauvaise humeur de la justice suisse 

On imagine qu’il ne s’agit que d’un contretemps de quelques semaines. Et bien non. La justice suisse affirme de son côté qu’elle a adressé une copie du dossier suisse au procureur de Paris le 22 mars 2019. Mais selon Le Journal du Dimanche, il faut attendre juillet 2019 pour que les juges parisiens envoient une demande d’entraide à Genève. En août 2019, Libération annonce que finalement la Suisse auditionnera Tariq Ramadan en France. Des deux côtés du Jura, la presse croit savoir que la confrontation aura lieu à l’automne 2019. Mais rien ne se passe. L’affaire est au point mort. Dans un article intitulé « Affaire Ramadan : Genève regrette la lenteur des autorités françaises », le site de la radio-télévision suisse évoque la mauvaise humeur du Ministère public genevois. « Si une plus grande célérité aurait naturellement été souhaitable, il n’appartient pas à l’autorité requérante de commenter le rythme de travail de l’autorité requise, laquelle est soumise à ses propres contraintes », commente le Palais de justice de la Cité de Calvin en termes diplomatiques. Résultat, en février 2020, on ignore toujours quand Brigitte sera confrontée à Tariq Ramadan. La plaignante est d’autant plus désemparée par ces retards inexplicables qu’elle est quotidiennement harcelée par les supporters du prédicateur sur les réseaux sociaux. 

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La justice française se penche sur le passé de Ramadan

En France, la brigade criminelle s’intéresse au comportement de Tariq Ramadan lorsqu’il était enseignant au cycle d’orientation des Coudriers, puis au collège de Saussure dans le canton de Genève, de 1984 à 2004. Un rapport commandé par le Conseil d’État (gouvernement) du canton de Genève, sur la conduite de l’enseignant, remis en octobre 2018, se montre particulièrement accablant. Tariq Ramadan est soupçonné de relations sexuelles avec plusieurs de ses élèves. Par ailleurs, un doute subsiste toujours sur le départ de Tariq Ramadan en 2004 : s’agit-il d’une démission ou d’une éviction ? On comprend que ce volet genevois intéresse tout particulièrement les magistrats français en charge du dossier. 

En revanche, n’est-il pas étonnant que la justice française puisse demander à la Suisse de pouvoir procéder à l’audition de l’universitaire Ali Merad ? Dans cette demande, celui-ci est présenté comme « second directeur de thèse » de Tariq Ramadan. Or, Ali Merad n’était pas son second directeur de thèse. Il était membre du premier jury thèse et il a démissionné, refusant de cautionner le travail de Tariq Ramadan. Par ailleurs, ce brillant islamologue, spécialiste de la pensée islamique moderne, n’habite pas en Suisse, ou plutôt, n’habitait pas en Suisse, mais en France. « Habitait », car il est mort le 23 mai 2017 à l’âge de 87 ans…     

 

 

    

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