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Forum Social Maghrébin

L’Assemblée Générale de préparation du Forum Social Maghrébin qui s’est déroulée les 27-28-et 29 janvier 2006 à Bouznika au Maroc, a rassemblé environ 450 personnes venues de Tunisie, d’Algérie, du Maroc, de Mauritanie, du Sahara et d’Europe. Ce rassemblement s’inscrit dans le cadre des forums sociaux polycentriques qui ont vu l’organisation des Forums de Caracas, de Bamako, de Karachi, afin de briser le monopole du Forum de Porto Alegre comme unique point de ralliement, de réflexion, et d’échanges des altermondialistes.

La mondialisation frappe aussi le Maghreb

Comme l’ensemble des populations pauvres dans le monde, les peuples du Maghreb sont concernés par la mondialisation néo-libérale qui aggrave la précarité, creusant davantage le fossé entre habitants des pays riches et pauvres, avec son cortège d’exclusions sociales et culturelles.

Il suffit d’observer l’effet des délocalisations vers la Chine de pans entiers de l’industrie du Maghreb comme le textile, qui se sont traduites par le chômage de dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses qui n’ont plus aucune perspective de retrouver un emploi. Ces effets dévastateurs entraînent l’apparition d’autres fléaux sociaux, comme la prostitution, l’usage et le trafic de stupéfiants, et multiplient également les tentatives d’immigration avec son lot quasi quotidien de « barques de la mort » transformant la mer Méditerranée en cimetière pour ces populations du Sud.

Un acquis pour la liberté d’expression

Malgré l’ expression d’une certaine forme de nationalisme qui était palpable durant cette assemblée générale, en raison notamment de la question du Sahara, mais aussi en raison de la méconnaissance mutuelle entre les différents mouvements sociaux du Maghreb, ou simplement par la présence « d’agents » ou d’acteurs liés aux pouvoirs en place, nous pouvons cependant constater une évolution au niveau des libertés individuelles et d’expression.

Il s’agit en effet d’une première dans nos pays d’origine. Des acteurs sociaux, des militants altermondialistes de l’ensemble des pays du Maghreb (les Libyens devraient intégrer prochainement) ont pu se retrouver pour débattre et s’organiser, sans avoir à subir les affres de répression ou les traditionnelles tracasseries administratives. Nous devons, ne serait-ce qu’à ce titre , encourager de telles initiatives et remercier les organisateurs Marocains de cette rencontre en contribuant à la mise en place du Forum Social Maghrébin dont la date est fixée au mois de Mai 2007.

Nous sommes concernés en tant que français d’origine maghrébine

Nous devons toujours avoir à l’esprit les raisons de notre présence en Europe, il en va de notre solidarité et de notre humanisme à l’égard des populations du Sud. Les flux migratoires du Sud vers le Nord qui ont organisé l’arrivée de nos parents sur le vieux continent, sont certes liés au passé colonial des pays du Maghreb (créant dans la douleur des liens culturels et linguistiques), mais sont surtout liés à la volonté des gouvernants et leurs donneurs d’ordre, de relancer l’industrie et l’économie française en particulier durant les Trente Glorieuses. C’est ainsi que nous avons assisté à des exodes au gré des besoins de l’économie, justifiant le choix sur place des plus valides et des plus robustes parmi nos parents.

Quarante ans après les indépendances, nous constatons que la situation est toujours aussi dramatique : l’absence de réelle démocratie conjuguée aux impératifs économiques et financiers de la mondialisation libérale, ne font qu’accentuer le désir de milliers de jeunes et moins jeunes de quitter leur pays pour l’Europe.

Le Maghreb moyennant des aides financières sur fond d’immigration choisie, s’est transformé en supplétif de l’administration européenne concernant le refoulement des populations sub-sahariennes qui cherchent à rejoindre l’Europe. L’exemple des refoulés de Ceuta et Melilia et le traitement inhumain subi par ces derniers sont encore dans nos mémoires.

Comment pouvons-nous assister dans l’indifférence à l’appauvrissement constant du Sud, alors que avons pour la plupart d’entre nous, des proches qui subissent de plein fouet les effets de ce libéralisme sauvage.

Qui n’a pas constaté la dégradation constante des conditions de vie des classes populaires. Il suffit seulement pour s’en apercevoir, de se donner la peine d’aller au contact de la population en quittant les lieux touristiques.

A défaut d’être altermondialistes ou réellement solidaires, nous devons veiller à ne pas servir de miroir aux alouettes à l’endroit de nos frères et sœurs qui vivent au Sud. En effet, beaucoup de personnes issues de l’immigration et présentes en Europe se rendent en vacances dans les pays d’origine. Certaines d’entre-elles étalent ostensiblement leurs signes extérieurs de richesse (ou de pseudo richesse, car acquise trop souvent au prix de privations parfois dramatiques ou par le biais de petits trafics) devant une population fragilisée par les difficultés économiques, et qui rêvent d’un Eldorado à la vue de ces exhibitions indécentes de voitures de luxe, bijoux en or, et autres maisons cossues en construction.

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Notre responsabilité est grande devant ces phénomènes. Nous devons éduquer nos enfants vers plus de responsabilité et de solidarité avec nos frères et sœurs du Sud, en leur évitant d’être « appâtés » par une société de consommation et un libéralisme débridé en les transformant à leur tour en appâts.

Y a-t-il une place pour les musulmans dans les Forums Sociaux ?

Lorsqu’on se plonge dans une lecture attentive des références islamiques, on ne peut qu’être encouragés, tant les notions de solidarité de partage et d’altruisme sont nombreuses, et la lutte contre les instincts bassement matériels fermement recommandée.

Tout musulman fidèle à ses sources ne peut que reconnaître que le monde tel qu’il est dirigé court à sa perte. Au nom de cette même fidélité, il se doit d’œuvrer à sa transformation, à son amélioration en recherchant des solutions alternatives. Cette recherche doit être menée avec d’autres acteurs et mouvements animés par les mêmes préoccupations, et déjà engagés dans une réflexion depuis plusieurs années. La Charte des principes du Forum Social Mondial de Porto Alegre offre cet espace. Elle stipule : «  Il devient un processus permanent de recherche et d’élaboration d’alternatives » (…) « Le FSM est toujours un espace ouvert au pluralisme et à la diversité des engagements et actions d’instances et de mouvements qui décident d’y prendre part…dans la mesure où ils respectent la charte des principes ». Dans les principes de cette charte, rien ne va à l’encontre des principes de l’Islam, ni à l’encontre d’une éthique citoyenne. Nous pouvons y voir plutôt une cohérence avec nos principes. Nous sommes doublement invités à prendre part à ce chantier pour l’avènement d’un autre monde plus juste et plus fraternel.

C’est dans cette perspective, que plusieurs d’entre nous, à travers notamment le CMF (Collectif des Musulmans de France) et le MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues) se sont engagés dans ces dynamiques depuis plus de cinq ans en participant à l’anti G8, aux Forums Sociaux de Saint-Denis et de Londres, ainsi qu’au rassemblement du Larzac. Ces expériences particulièrement enrichissantes, ont permis de débattre autour de causes qui concernent l’humanité, dépassant ainsi nos petits intérêts individuels, communautaires ou corporatistes. Ces moments constituent un excellent moyen de faire reculer les préjugés, vaincre les peurs en allant à la rencontre de l’autre. Ce qui nous a permis de mieux nous connaître, de s’apprécier et de cheminer ensemble. Nos partenaires altermondialistes ont pu ainsi découvrir, que l’on peut se définir comme musulman pratiquant et être progressiste.

Le Forum Social Maghrébin : lieu de convergences ou club privé ?

Une réunion de préparation du groupe Immigration s’est déroulée à Paris avant l’Assemblée générale du Forum Social Maghrébin. Aucune association musulmane (ou d’obédience musulmane) n’a été invitée. Au cours de cette réunion, l’un des participants a affirmé publiquement qu’aucune association musulmane ne serait présente pour ce Forum Social.

C’est donc au nom des Indigènes de la République que j’ai pu participer à cette Assemblée générale où j’ai dévoilé publiquement ma présence de « clandestin » en tant que membre du Collectif des Musulmans de France. Alors que nous assistons en Europe, à une vague d’islamophobie sans précédent, que les peuples musulmans en Afrique et en Asie sont les premières victimes de l’impérialisme, des dictatures et des effets de la mondialisation, les mouvements qui se réclament de ce courant de pensée n’ont pas eu droit de cité à Bouznika. Ce qui est d’autant plus surprenant, que nous étions rassemblés dans un pays musulman où, il existe à la fois un tissu associatif et de militants musulmans particulièrement conséquent.

Lors de ce rassemblement, dans le cadre des travaux d’une commission, j’ai soulevé la question de l’islamophobie, ainsi que celle de la participation des musulmans au Forum Social. Les rapporteurs ont bizarrement occulté ces questions dans leur compte rendu. Au cours de la réunion plénière, un autre militant a pris la parole pour proposer un élargissement du forum social au monde arabe, avec la prise en compte des courants musulmans progressistes. Ce dernier qui n’a pu s’exprimer normalement, a été chahutée par un « éradicateur » pour qui certainement cette réunion s’apparente à un club privé.

Nous avons eu droit en revanche à une omniprésence du thème de la Laïcité évoqué à cinq reprises lors des comptes rendus. Une féministe algérienne a même proposé que ce thème soit présent dans tous les ateliers du prochain Forum Social Maghrébin. Pourtant, nous ne sommes pas sans savoir que la laïcité évoquée dans ces espaces, n’est qu’un concept d’importation lié à l’histoire spécifique de la France. Pour certains, il semble signifier « éradication » de l’Islam et des musulmans du champ des luttes et du mouvement social.

Selon ces derniers, les musulmanes et les musulmans semblent condamnés à ne jamais poser le débat de la lutte pour l’égalité à l’intérieur du champ de l’islam ou en référence à celui-ci, en opposition aux interprétations machistes et rétrogrades de certaines traditions.

L’islamophobie serait-elle seulement une affaire de lobbying politico-médiatique, ou à l’instar du transfert de technologie du Nord vers le Sud, un transfert de problématique socio-politique du Sud vers le Nord.

En discutant avec certains financeurs de cette Assemblée Générale, j’ai appris que les organisateurs s’étaient auto-censurés au sujet de la présence des musulmans, alors qu’étaient présents physiquement et symboliquement des mouvements catholiques et protestants.

Nous ne pouvons donc que regretter cette sélection des acteurs pour la préparation de ce forum social, censé refléter la diversité des mouvements sociaux qui respectent la charte des principes de Porto Alegre.

Nous ne doutons pas que s’il y a eu instrumentalisation dans ce dossier, des dispositions seront prises à l’avenir pour permettre la participation de tous et toutes dans la transparence et le respect mutuel. Nous avons consacré une décennie et beaucoup d’énergie à susciter et à accompagner le changement des mentalités, tout en procédant à l’évolution de la compréhension de nos sources, par une meilleure appréhension de notre contexte européen et planétaire. Nous trouverions consternant que les convergences autour de valeurs universelles pour la recherche d’un autre monde n’aient pas lieu, en raison de préjugés ou de l’ignorance de certains, et la malveillance des autres.

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