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Entretien avec Mariame Tighanimine : « retirer le voile fut une décision libératrice »

Auteure du livre-manifeste « Dévoilons-nous » (Editions de l’Olivier), foncièrement antiraciste et féministe, on gardait de Mariame Tighanimine le souvenir d’une jeune femme musulmane entreprenante, cultivée, sereine et en phase avec son époque, vêtue d’un hijab qui ne laissait transparaître aucun doute lancinant, aucun mal-être existentiel.

Aux côtés de sa soeur, elle avait fait sensation sur le Net en 2008, en créant le premier magazine électronique dédié aux femmes françaises de culture musulmane, voilées ou pas : « Hijab and the City ». Elle n’avait alors que 21 ans.

Quatorze ans plus tard, Mariame Tighanimine a parcouru un long chemin, personnel et universitaire, parsemé sans nul doute de difficultés de tous ordres mais aussi de succès (elle est doctorante contractuelle et autrice), qui l’a conduite à prendre une décision cruciale et, à ses yeux, libératrice : elle a retiré le voile qu’elle a porté pendant dix-huit ans.

Née en banlieue parisienne, dans une famille croyante et pratiquante, Mariame Tighanimine se livre à coeur ouvert dans cet ouvrage édifiant, qui explore sans tabous les questions que soulèvent le port du voile d’abord pour les femmes, tout en instillant courageusement de la nuance dans un débat franco-français, passionnel jusqu’à sombrer parfois dans l’ubuesque, qui en manque cruellement.

Comme vous le faites justement observer, l’islam et le voile sont des sujets récurrents dans le débat public en France. Vous reprochez à la fois l’obsession française qu’ils révèlent et l’absence totale de nuances dans leur traitement. Est-ce la principale raison qui vous a poussé à écrire ce livre ?

La principale raison non, mais c’est un élément qui a aussi contribué à ce que je prenne la plume pour m’exprimer sur le sujet. La motivation première derrière ce manifeste est celle de répondre à un besoin qui m’est adressé depuis 2017 par des centaines de femmes, via les réseaux sociaux : celui de pouvoir retirer sereinement son hijab, sans craindre de se couper de son entourage, de se perdre, de tomber dans un rejet haineux de sa culture d’origine, comme on peut le voir chez des personnes qu’on appelle “ex-muslims”, en France et ailleurs dans le monde, souvent instrumentalisées par des individus et groupes de droite et d’extrême-droite. 

Certaines femmes m’ont également écrit pour me dire qu’elles souhaitaient sortir de la religion. Toutes ces femmes m’ont connue sur le Net, dès 2008, lorsque j’ai cofondé « Hijab and the City », le premier magazine en ligne qui donnait la parole aux femmes françaises de culture musulmane, voilées ou non. 

À la sortie de mon premier essai en 2017, où j’apparaissais dévoilée sur la couverture, j’ai reçu énormément de témoignages et questions, car j’avais opéré un dévoilement et une décroyance paisibles, non médiatisées, dans mon coin, sans m’en prendre à qui que ce soit. Il a fallu du temps pour que je comprenne que je n’étais pas seule, mais que j’avais eu le courage d’aborder le sujet publiquement, sans me faire instrumentaliser. Je me suis également rendue compte de l’importance de ces sujets qui manquaient de contributions nuancées et intelligentes. 

Rien qu’autour de moi, suite à mon dévoilement, une dizaine de femmes ont fini par le retirer. D’autres femmes de mon entourage ont avoué sérieusement questionner l’utilité de le garder. Elles ont pu voir, à travers mon expérience, qu’il était possible de questionner ses croyances sans se renier, sans renier sa culture qui ne se résume pas qu’à des pratiques religieuses.

Pour moi, il y a une urgence à parler du dévoilement et de l’abandon de pratiques religieuses, car les individus et les sociétés changent. Partout dans le monde, même au sein des théocraties, les musulmans se sécularisent. De plus en plus de femmes abandonnent le hijab, on peut le voir notamment si on analyse méthodiquement les réseaux sociaux. Certaines sont connues comme l’essayiste et féministe Asma Lamrabet au Maroc, la blogueuse Dina Tokio au Royaume-Uni, la chanteuse Mennel en France.

On voit également de plus en plus d’Instagrammeuses et Tiktokeuses avec de grosses communautés le retirer. Et à chaque fois, ces femmes se font insulter, surtout par des hommes ou des femmes qui n’ont jamais porté le voile une seule minute de leur vie.

Vous avez franchi le pas du dévoilement au bout de dix-huit ans. Est-ce vraiment un choix intime ou est-ce que la profonde aversion pour le voile en France et l’instrumentalisation politico-médiatique qui en est faite y ont été pour beaucoup ?

Il est clair que porter le voile en France n’est pas facile, même si, avec le temps, il faut tout de même noter une amélioration dans la manière dont les femmes voilées sont perçues. On les voit plus à la télé, et pas seulement pour parler d’elles sans elles. Des personnalités publiques issues du monde de l’art ou de la politique expriment leur soutien envers elles. Des marques en France s’adressent à elles avec des produits spécifiques, comme le fameux hijab conçu pour la pratique sportive. 

En outre, on peut voir de plus en plus de femmes qui portent le hijab dans les tours de la Défense, dans des enseignes comme Ikea, H&M, Uniqlo, et c’est tant mieux. Par ailleurs, au sein des féminismes, l’intersectionnalité et l’antiracisme sont de plus en plus revendiqués avec pour conséquence, une inclusion des femmes voilées, ce qui n’était pas du tout envisageable il y a quelques années. Toutes ces avancées sont à souligner. 

Même si j’ai retiré mon hijab, et que je pense qu’il est le vestige d’un passé où le patriarcat était la norme partout dans le monde, je suis contre l’exclusion des femmes adultes, qui disent le porter par choix, au sein de démocraties comme la France, des espaces de savoir, de travail et de loisir. C’est notamment en sortant de chez soi qu’on s’ouvre aux autres, au monde, et qu’on finit par abandonner des pratiques limitantes.  

Pour en revenir à votre question, non, ce n’est pas le traitement du hijab en France qui m’a fait retirer mon voile. Cela n’a pas été facile de le porter de mes 10 à 28 ans certes, de subir des discriminations et des agressions aussi bien verbales que physiques. Il m’a fallu cinq ans pour retirer “physiquement” mon hijab, mais cinq minutes pour savoir qu’il ne me correspondait plus, et donc, le retirer “intellectuellement”. Mais bien avant cela, j’ai surtout arrêté de croire en la religion. Retirer le voile n’était qu’une manière d’acter la fin de mon processus de décroyance.

N’avez-vous pas craint de choquer votre entourage en retirant votre hijab ? Diriez-vous que votre décision a été plus lourde de conséquences que libératrice ?

Du tout, elle a été et est encore libératrice. Vous savez, on finit par oublier qu’on a porté le hijab tant il n’est qu’un accessoire. Tout comme l’habit ne fait pas le moine, le hijab n’a jamais fait la femme sérieuse, pudique, responsable, portée sur l’essentiel. Je le pensais déjà lorsque je le portais, car j’étais entourée de femmes remarquables qui ne portaient pas le hijab. Je le pense encore plus aujourd’hui. Et j’étendrai volontiers ce constat à la religion de manière générale. 

Bien sûr, l’entourage a besoin d’un temps d’adaptation, car j’ai toujours assumé de porter le hijab librement. Je n’ai pas été forcée à le porter ou plutôt, c’est par mimétisme que j’ai porté ce hijab que j’ai reçu, avec la religion, en héritage. J’ai fini par cultiver et construire un discours cohérent et libérateur pour me convaincre et convaincre les autres que j’agissais de manière libre.

Sauf que je pense que le hijab, et plus généralement la religion, sont aliénants et absolument pas libérateurs. Les religions ne sont pas les amies des femmes, des minorités et des pauvres. Il s’avère que les musulman·es, mes semblables, sont tout ça à la fois en France et dans le monde. Beaucoup d’études montrent comment religiosité et pauvreté font bon ménage. Les musulman·es ne font pas exception en France, où ils font partie des populations sur-représentées dans les quartiers populaires et particulièrement touchées par le chômage et la précarité. 

On pourrait vous reprocher de renier vos valeurs familiales, d’encourager les femmes musulmanes voilées à vous emboîter le pas et, au final, de faire le jeu des pourfendeurs de l’islam. Qu’est-ce que vous répondez à cela ?

Je ne renie rien. Je suis et resterai maghrébine, de culture musulmane, Amazigh dont les ancêtres ont été islamisés, mais non arabisés. C’est un fait de l’Histoire pour lequel je ne ressens aucun ressentiment. L’histoire de l’humanité n’est qu’une succession de guerres et d’invasions. J’ai une tête bien typée et je sais d’où je viens. Je n’ai pas de problème identitaire. Je parle parfaitement tachelhit, la darija marocaine, et l’arabe standard. Je ne suis absolument pas fière de tout cela mais je n’en ai pas honte non plus. Je n’ai rien choisi de tout cela, mais je ne rejette rien pour autant. 

J’ai en revanche choisi de devenir une humaine plus rationnelle, consciente des problèmes que peuvent poser son origine sociale, son origine ethnique et son genre dans son quotidien et son développement. J’ai choisi de m’affranchir de croyances chimériques et superficielles pour me concentrer sur l’essentiel. J’ai choisi d’opérer une rééducation scientifique pour mieux comprendre le monde qui m’entoure, et ne pas subir les grands défis contemporains climatiques, sanitaires, économiques, qui se posent à nous. Par exemple, nous connaissons actuellement une pandémie qui n’épargne personne sur cette planète. Je suis bien contente de m’en remettre à des scientifiques qui développent des vaccins, plutôt qu’à des religieux professionnels qui n’ont rien d’autre à offrir que des invocations et des remèdes dangereux de grand-mère. 

Pour en revenir aux “valeurs familiales” que vous évoquez, ma mère n’était pas voilée à son arrivée en France, au début des années 70. Mon père ne portait pas de barbe à son arrivée en France, au début des années 60. Et c’est le cas d’énormément de parents arrivés en France à cette période-là. Pour un travail documentaire, j’ai parcouru des photos du Maroc dans les années 60, 70, 80. Et pas seulement des photos de femmes urbaines, lettrées, issues de l’élite. Il y avait aussi des photos de femmes issues de quartiers populaires ou de la campagne. Il n’y avait pas ou très peu de hijab, et quand ce dernier était présent, il était porté “à la maghrébine”, et non comme nous avons fini par l’adopter ici en France, à la façon des femmes des chaînes satellitaires. 

Par curiosité, j’ai aussi regardé des photos des pays voisins comme l’Algérie, la Tunisie, l’Égypte. Je suis tombée sur des photos de dignitaires religieux entourés de femmes de leurs familles, sans hijab, portant des tenues occidentales “modernes”. J’ai vu des jupes et des chemises à manches courtes revêtus par des étudiantes à l’intérieur de l’université d’Al-Azhar, l’un des plus anciens lieux d’enseignement islamique au monde.

Il y a une vidéo de Nasser qui tourne beaucoup, où il tourne en dérision un dignitaire religieux qui aurait eu comme proposition pour reconstruire l’Égypte le voilement des Égyptiennes. Il s’agit en fait du second « guide général » des Frères musulmans, dont ni la femme ni la fille, alors étudiante en médecine, ne portaient le voile à l’époque. Bien entendu, je ne blanchis pas Nasser et je n’ignore pas le côté anecdote de certaines de ces photos. Mais il est quand même frappant d’avoir des jupes à Al-Azhar et des chevelures féminines non-voilées au sein même des familles des cadres des Frères musulmans.

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Si le hijab et la religion en général sont devenus centraux dans nos familles maghrébines, c’est notamment à cause de deux éléments : le panarabisme et le wahhabisme, illustrant ce que j’appelle la “complexité coloniale”. D’abord, le panarabisme qui ironiquement, a été initié comme mouvement décolonial, mais qui est devenu à son tour un acteur de grand effacement culturel et surtout de privation de droits fondamentaux des autochtones Amazigh d’Afrique du Nord.

Ensuite, autre exemple de complexité coloniale faisant le lien avec le sort et le présent des personnes de culture musulmane en France, le colonialisme wahhabite des années 1980. Ce n’est pas une colonisation par les chars, les armes, mais par les livres, les financements de mosquées, les cassettes VHS, et les DVD… Ce colonialisme a eu lieu pendant la guerre froide, quand des pays comme le Maroc se rangeaient du côté de l’Arabie Saoudite et des États-Unis contre “le mécréant soviétique”. Ce colonialisme n’a pas eu lieu qu’au Maroc. Il a débordé chez nous en France, via les consulats et les ambassades, puis les mosquées, auprès d’une population souvent analphabète qui ne cherchait que foi et spiritualité, mais qui a donné trop de crédit à l’institution mosquée.

Finalement, quand je m’adresse à mes sœurs en humanité qui souhaitent se dévoiler pour leur bien, à elles et elles seules, c’est clairement de ce colonialisme que je les invite à s’émanciper. Et je sais que parmi les “pourfendeurs du voile” pour reprendre votre expression, il y a beaucoup de personnes racistes qui, avec ou sans voile, ne nous aiment pas et ne veulent pas de nous en France.

Je ne vis pas pour ces gens-là. Et je ne vais pas faire mentir l’Histoire et les faits de peur qu’ils me récupèrent. Nous ne pouvons les combattre que si nous devenons des acteurs et producteurs de savoir, de science, de richesse. Et cela passe par l’éducation et la liberté. Cela passe par se débarrasser de toutes croyances et pratiques empêchant l’émergence de l’esprit critique.

Vous affirmez que le mot hijab, qui est mentionné dans sept versets coraniques, ne revêt pas le sens qu’on lui donne communément, à savoir « voile ou couvre -chef ». Quelle est sa signification exacte dans le Coran et comment expliquez-vous, alors, que seule la notion de voile ait subsisté à travers le temps ? 

Je ne vais jamais sur le terrain strictement théologique, car cela ne m’intéresse pas. Je ne suis pas théologienne. Cependant, j’ai tenté dans un chapitre de mon manifeste de raconter la genèse du voile, de manière factuelle, historique et logique.

Je définis le hijab comme un “mème”, soit un élément culturel qui s’est disséminé par imitation, et qui a voyagé dans le monde et dans le temps. Nous connaissons d’autres mèmes célèbres comme le mythe du déluge ou la pratique de la momification que l’on retrouve dans différentes parties du monde et dans différentes cultures. Le voile est une pratique qui a précédé l’Islam, qui lui a succédé aussi, et qui était présente chez les Grecs, les Byzantins ou encore les Perses.

Le voile est donc un mème qui a été repris, diffusé, politisé, dépolitisé, modifié, adapté, repartagé, jusqu’à ce qu’on oublie ses parentés, ses interprétations, ses charges symboliques, politiques et morales. J’indique donc de manière factuelle que le mot hijab est mentionné dans sept versets du Coran. 

Seulement, à aucun moment hijab ne signifie voile ou couvre-chef. Dans les sept versets, il veut dire mur, barrière, obstacle… L’autre source religieuse mobilisée pour justifier l’obligation du hijab qui couvre la tête est un hadith, parole prophétique, qu’aurait relaté Aïcha, l’une des femmes du prophète Mohammed, et qui concerne sa sœur Asma. Je rappelle également de manière factuelle que la transmission des hadiths en Islam se fait de manière spécifique, avec une chaîne de transmission supposée rendre toute fraude impossible.

Sauf que le plus grand rapporteur de hadiths, Boukhari, est né plus de cent soixante-dix ans après la mort du prophète Mohammed dont il est supposé́ avoir recueilli la parole, ainsi que celle de ses contemporains. Sans compter qu’il déclarait avoir collecté, authentifié, appris ou mis sur papier six cent mille hadiths en seize ans, soit quatre hadiths par heure… C’est tout à fait impossible. 

Par ailleurs, ce fameux hadith est considéré moursal, soit un hadith qui ne mentionne pas le nom d’un compagnon qui aurait entendu la parole prophétique. Un hadith moursal, c’est un hadith qui n’est pas fiable, pas crédible. Ce hadith à propos d’Asma, c’est un hadith consigné par un rawi, un rapporteur affirmant qu’il tient ce hadith de Aïcha, femme du prophète Mohammed… qu’il n’a pas connue, car il est né après sa mort ! Ces éléments montrent à quel point on a mis dans une situation de domination des millions de femmes, à travers le monde, avec des arguments d’une grande indigence intellectuelle.

Pour ce qui est des femmes ailleurs dans le monde, forcées à porter le voile, je dis qu’on ne peut fermer les yeux sur le fait qu’il peut y avoir un lien entre le porter librement dans une démocratie et le porter sous la contrainte dans des pays autoritaires. Il y a forcément une incidence, ne serait-ce que celle de participer à maintenir en vie ce mème qu’est le hijab.

Dire cela ne revient absolument pas à justifier les interdictions en tout genre et les violences que peuvent subir les femmes qui portent le voile en France et ailleurs. C’est juste reconnaître que si nous faisons aujourd’hui des connexions, des corrélations et même des causalités entre nos manières de consommer, de nous déplacer, entre nos décisions politiques, nos productions culturelles et intellectuelles, au sein de nos pays privilégiés et libres, avec ce qui se passe ailleurs, particulièrement dans des pays autoritaires, alors la position “je ne suis pas responsable de ce qui se passe là-bas” n’est plus tenable. Qu’il s’agisse du voile ou d’autre chose. Enfin, revendiquer l’universalité du féminisme, du sexisme et du patriarcat, avec évidemment des degrés différents, implique, je pense, une universalité de la sororité et plus généralement de la solidarité.

Vous écrivez que « si la subsistance du patriarcat est un fait, affirmer qu’il s’exerce de la même manière partout en est un autre et qu’il est intellectuellement dangereux de dresser  des équivalences entre les sociétés ou les expressions du patriarcat qui n’ont pas les mêmes conséquences sur la vie des femmes ». Pourriez-vous développer ce point ?

Effectivement, je fais cette remarque pour questionner le relativisme dont font preuve certain·es, souvent de gauche et de bonne foi, et ne souhaitant pas ajouter une pièce à la machine islamophobe et raciste entretenue par des personnalités politiques. Mais le résultat donne souvent un mélange de paternalisme et de malhonnêteté intellectuelle.

Il est intellectuellement dangereux de dresser des équivalences entre des sociétés où le patriarcat et ses expressions n’ont pas les mêmes effets sur la vie des femmes ou entre différents groupes de femmes d’une même société. L’abolition du patriarcat est l’horizon ultime, mais à court ou moyen terme, l’atténuation du patriarcat est urgente pour des femmes qui sont par exemple condamnées à mort au sein de théocraties, aux mariages forcés, à l’excision, à recevoir moins que ce que reçoivent les hommes dans le cadre d’un héritage, à la relégation sociale, etc. 

J’évoque notamment l’exemple de l’historienne et féministe américaine Joan W. Scott. Lorsqu’on interroge cette dernière sur des pratiques comme le mariage forcé ou les crimes d’honneur, elle explique les désapprouver, mais ajoute malgré tout un bémol.

Elle dit, je la cite : « Je n’approuve évidemment rien de ces pratiques horribles. Mais il y a dans cette façon de partir en croisade morale pour imposer nos choix culturels à des populations une espèce d’arrogance occidentale blanche qui ressemble à la continuation d’une forme de colonialisme. Ce n’est pas sans évoquer ces séances de dévoilement qui avaient été organisées sur la place publique d’Alger en 1958, durant la guerre, par des femmes d’administrateurs de la colonie et qui étaient censées symboliser la mission civilisatrice de la France.» (source : Marie Lemonnier, « Joan W. Scott : “Non, la laïcité ne garantit pas l’égalité des sexes” », bibliobs.nouvelobs.com, 7 septembre 2018). 

Je comprends ce qui peut motiver Joan W. Scott à tenir pareil propos. Mais je trouve ce propos d’une grande faiblesse intellectuelle, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, convoquer ce que j’appelle une constante dans les actes coloniaux, c’est-à-dire l’importation et l’imposition, avec violence, lors de conquêtes coloniales, d’un logiciel politique, social, économique et religieux lié à l’État central colonisateur.

Cette constante, nous la retrouvons dans de nombreuses conquêtes coloniales antérieures à celles des États modernes. Nous la retrouvons, par exemple, chez le prophète de l’Islam, Mohammed, et avant lui, chez le père mythique des religions abrahamiques Abraham. Ces deux figures religieuses organisaient des sessions de démolition de statues qui représentaient des dieux polythéistes. Quiconque ayant lu les textes religieux ou ayant suivi des cours d’éducation religieuse sait à quel point ces événements sont présentés comme vertueux. Il s’agit d’un exemple parmi d’autres que je donne, non pas pour minimiser la violence des cérémonies de dévoilement ou toute violence coloniale, mais pour les inscrire dans une tradition universelle d’imposition de ses croyances aux autres, au nom d’une supériorité supposée. 

Deuxièmement, convoquer l’épisode des cérémonies de dévoilement en Algérie, pendant la colonisation française, contribue à donner une teinte (néo)coloniale à toute critique de l’objet voile, et donc à la disqualifier. Pourtant, de nombreuses personnalités de culture musulmane, soit depuis leurs pays d’origine ayant connu la présence coloniale de pays occidentaux, soit depuis des pays occidentaux où elles-mêmes ou leurs aïeux ont fini par émigrer, remettent en cause depuis des années des croyances et des pratiques religieuses qui ne s’imposent qu’aux femmes.

Plus encore, des voix critiques du voile et de la religion en général existaient chez des femmes de pays musulmans colonisés au même moment. On peut citer l’exemple de femmes algériennes qui luttaient, je les cite, contre le “double impérialisme” : d’une part, celui de la présence française, et d’autre part, celui du patriarcat musulman.

A l’orée de la trentaine, quelle femme êtes-vous aujourd’hui ?

J’aspire quotidiennement à être une humaine honnête intellectuellement et bienveillante envers elle-même et les autres humain·es. Je n’ai pas choisi d’être française, je n’en suis pas fière, mais je n’en ai pas honte. En revanche, je suis fière d’être née dans une démocratie, certes imparfaite, mais démocratie tout de même.

Lorsque je vois le pays de mes ancêtres, le Maroc, une dictature où l’on emprisonne encore au 21e siècle des journalistes, des militants des droits humains, une monarchie de droit divin aux mains d’une famille, les Alaouites, sanguinaire et prédatrice des richesses d’un peuple qu’elle spolie et maintient dans la misère, je ne peux qu’être heureuse d’être née dans un pays qui m’assure, entre autres choses, le respect de mon intégrité physique et morale. 

Propos recueillis par la rédaction Oumma

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