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2022 : message à nos imams de France et de Navarre… avant le forum sur « l’Islam de France » (attendu pour février)

Si les temps sont durs pour beaucoup d’entre nous, ils le sont surtout pour nos imams. En effet, cette vocation semble rencontrer, depuis quelques années, deux écueils : le premier obstacle est cette défiance que la charge de l’imamat suscite auprès des différents gouvernements français, un phénomène, reconnaissons-le, assez unique en Europe.

Et comme si cela ne suffisait pas, l’imam est confronté à un autre obstacle provenant, lui, du regard désapprobateur de la congrégation à son égard, car notre imam est contraint d’aller chercher une part de sa légitimité auprès des autorités locales et nationales. 

L’imam est ainsi balloté d’une difficulté à l’autre, à la fois interne et externe, ce qui relègue sa mission religieuse à un second plan. Le pouvoir temporel dicte la cadence au pouvoir spirituel, et l’imam, malgré lui, est empêtré dans les affaires du monde, à tel point qu’il néglige souvent son apostolat. Et c’est là, qu’il nous faut faire un rapide focus sur ce que doit appeler la charge de l’imamat en ces temps troublés. Le mot imam, selon l’usage qu’en fait le Coran, signifie archétype ou modèle. Aussi, seul celui qui est un modèle peut-être suivi selon la perspective éthique de l’Islam. 

L’imam ne peut donc être un chef ou un guide sans exemplarité, pas plus qu’il ne peut prétendre être à cette place, du seul fait de son savoir qui est un préalable certes, mais non une condition sine qua non. On l’oublie souvent, mais beaucoup d’imams désignés par le Prophète n’avaient pas l’érudition qu’auront bien plus tard nos chouyoukhs azhari (savants de l’université d’Al Azhar), mais disposaient davantage d’une pénétrante intelligence ; Mu’adh était de ceux-là. L’imam est celui qui réunit à la fois l’intelligence et la morale.

On l’aura compris, lorsque nous parlons d’intelligence (firasa) ou de connaissance (ma’rifa), nous ne faisons pas référence à cet ensemble d’informations accumulées (akhbar ou ‘ilm al fourou’) qui fait l’érudition, notamment et surtout dans le domaine exclusif du droit religieux (fiqh), mais nous voulons signifier cette capacité à acquérir la lucidité c’est-à-dire, une réelle aptitude à voir son présent avec ses potentialités mais aussi ses dangers (la fameuse basira)

On sait qu’un imam, selon un hadith, sera avec le commerçant, jugé au double de son action ; sa mission n’est donc certainement pas un privilège, mais une lourde responsabilité, qu’il a lui-même tendance à oublier, et ce à cause du sable mouvant qu’est l’attrait du monde, et qui fait que plus il s’y agite et plus notre imam s’enfonce. N’ayant plus le temps de lire, de s’instruire, de s’informer, ni même d’écouter, l’imam s’applique exclusivement à assurer l’office des cinq prières, dites quotidiennes, celle du vendredi et en prime, si la mosquée est chanceuse, un cours le samedi soir qui relève plus de la mémorisation de formules sur les ablutions (nous n’en sortirons jamais car ça fait 30 ans que les mêmes choses se disent et se répètent) ou de la narration d’histoires (souvent fausses) que de la compréhension (le vrai sens du mot fiqh). 

Avec ou sans cette charte (re)demandant aux imams de reformuler leur loyauté envers « les valeurs républicaines », nous avions déjà un problème de taille : réveiller l’imamat aux enjeux de la société narcissique et consumériste, mais aussi aux défis du digital-disruptif et du post-humain, en brisant cette maudite paresse intellectuelle/spirituelle qui hypothèque nos consciences et notre salut.

Ces réalités de civilisation sont totalement absentes des préoccupations des imams de France, alors que sur ces enjeux les imams anglo-saxons, turcs et asiatiques les ont déjà intégrées et étudiées ; les imams français accusent un retard inquiétant. Nous disons inquiétant, car leur congrégation entre dans la mosquée en étant défigurée par ces phénomènes et en sort non moins défigurée.

La mosquée n’est plus le lieu qui répare l’humain ; nos imams participent à installer un nouveau monde, celui de « Philentropia », un monde où l’amour du chaos et de l’inertie se perpétue. Le constat semble rude et sévère mais ce phénomène « philentropique » semble bien avoir été décrit par le fameux hadith Jibril, dit hadith « Oumm A’Sunna » (la matrice de la sainte coutume du Prophète), nous y reviendrons un peu plus loin.

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Sur la question de l’exemplarité, je ne peux m’empêcher de mentionner un commentaire d’Ibn Badis que j’avais lu, concernant les premiers versets de la sourate « Les Fourmis ». Par ce commentaire, Ibn Badis souhaitait qualifier le type de comportement que devait avoir notre guide qu’est l’imam. Ce commentaire fait à l’époque de l’Algérie colonisée, et à l’adresse des hommes du culte ou religieux, est selon nous, toujours efficient, surtout à un moment comme le nôtre où la tension entre l’imamat de France et l’Etat arrive à la limite de la brisure. 

Ibn Badis, rappela donc l’épisode où le roi-prophète Salomon passa devant la « Vallée des Fourmis » : « Quand enfin elles (les troupes de Salomon) arrivèrent à la Vallée des Fourmis, une fourmi dit : « Entrez, Fourmis, dans vos demeures (de peur) que Salomon et ses troupes ne vous écrasent sans le savoir ! » – A ces paroles, Salomon sourit (…) » (C. 27, 18-19).

Nous n’insisterons pas sur ce clin d’œil coranique fait à la science que sera la myrmécologie qui étudiera le comportement des fourmis, insecte social par excellence, au sein de leur colonie, et notamment, leurs différents modes de communication (trois ont été actuellement découverts). Pour le savant algérien, cet épisode semble vouloir insister sur deux qualités que possèderait cette fourmi, et qu’un imam, selon Ibn Badis, devrait avoir : elle a, en effet, vu le danger avant tout le monde, l’imam doit être visionnaire, et elle a eu la volonté de protéger les siens, c’est pourquoi l’imam doit, également, être altruiste et se mettre au service de l’intérêt général. 

Tout dans le Coran compte, même le sourire de Salomon, qui peut paraître comme anecdotique ce qui, bien sûr, n’est pas le cas. On pourrait voir dans ce sourire, l’expression de ce bienfait qui lui a été fait de comprendre ce langage mais surtout, ce sourire exprime la grâce que Dieu lui fait de profiter de ce rappel à travers cette fourmi ; le Coran nous enseigne que l’enseignement peut provenir de situations insolites et inattendues.

Comme roi-prophète, Salomon doit avoir la même attitude qu’elle, et bien-sûr, apprendre qu’il y a au-dessus de lui, plus grand. Ici, le Coran rappelle l’interaction entre l’infiniment petit et l’infiniment grand qui s’impose à tous, même à Salomon qui est, par rapport à Dieu, comme cette fourmi l’est par rapport à lui, extrêmement faible. Le Coran rappelle aussi, que dans une société harmonieuse chacun doit jouer son rôle selon la place qui doit être la sienne. Or, ce qui nous a toujours étonné, c’est de voir ces sociétés musulmanes modernes qui semblent s’être habituées au désordre, ce qui les met aux antipodes de l’esprit du Coran. 

Pour revenir à nos préoccupations actuelles, notre imam français doit se souvenir de cet épisode qu’il lit, par ailleurs, chaque mois de ramadan dans l’intention de le méditer en réinterrogeant sa position et ses devoirs. Un imam au 21ième siècle, doit investir son présent et être en alerte sur ce qui se pense et se passe à l’échelle locale comme à l’échelle globale. L’on ne peut plus s’accommoder d’un berger aveugle aux évènements cruciaux de son époque, dans le domaine des sciences, de la culture et de la société.

C’est ce que semble signifier le hadith Jibril que nous avons évoqué plus haut. Selon ce hadith, plusieurs questions ont été posées au Prophète par un homme inconnu des compagnons, qui n’est autre que l’archange Gabriel nous dit la tradition, en insistant à la fin de son interrogation sur des évènements majeurs qui arriveront dans l’histoire humaine. On voit déjà que malgré ce haut moment de spiritualité, qu’est ce dialogue entre le Prophète et l’Archange, l’Islam insiste pour que les hommes de religion investissent leur présent et aient une relative capacité à percevoir les mouvements historiques importants traversant l’époque. Dans ce hadith deux choses importantes se produiront : la naissance d’une génération et d’une société qui feront sécession avec l’héritage spirituel et intellectuel de leurs aïeux (« lorsque la femme enfantera sa maitresse » dit le hadith). Ce phénomène générera, et c’est le deuxième évènement majeur, une société globale très urbanisée ayant le goût de la démesure (« lorsque des pauvres rivaliseront dans des constructions vertigineuses » prévient le hadith) ; ces sociétés auront dès lors, comme fondement le désir insatiable et l’orgueil. 

Ce qu’il faut comprendre c’est que l’imam agit au sein de sa société et doit donc, faire preuve d’une sagacité vigilante. La formation de l’imam français doit être remise en question et refondée sur les bases qui viennent d’être évoquées, en y ajoutant cette impérieuse nécessité de disposer d’une théologie « qui redonne du sérieux à la vie humaine ». Sinon, ce sera l’échec assuré malgré une restructuration formelle. La régénération de l’Islam français devrait passer par l’imam si, et seulement si, celui-ci décide de sortir de sa torpeur et d’une certaine paresse intellectuelle pour garantir sa liberté et celle des autres.

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