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Le discours du Caire ou les mirages de l’Obamania

Lorsqu’il débute son discours, ce jeudi 4 juin 2009, à l’université du Caire, Barack Obama est un homme attendu. Sa position officielle sur l’islam, la situation dans le monde musulman (la Palestine, l’Irak et l’Afghanistan), le sort et l’avenir des citoyens américains musulmans, sont quelques-uns des sujets sur lesquels le nouveau président des États-Unis doit convaincre.

Que peut-on dire de cet exercice de style, “gigantesque opération de communication, soigneusement préparée depuis des mois et transmise en direct dans treize langues par la Maison Blanche grâce à internet. Facebook, son semblable pour l’Asie du Sud, Orkut, YouTube, Twitter, MySpace, SMS 1 , que doit-on en dire exactement ?

Rien, précisément. Il n’ y a rien à dire du discours d’Obama.

Bien sûr, ce n’est pas l’opinion des nombreux commentateurs, médias et intellectuels qui se sont penchés sur le sujet. De l’avis général, ce discours tourne une page de l’histoire mouvementée entre le monde musulman et les États-Unis, et en ouvre une autre. Même les plus sceptiques se sentent obligés de reconnaître qu’un vent nouveau souffle à la Maison Blanche.

Pour le site musulman anglophone islamonline, “le discours d’Obama marque la fin de l’ère du 11 septembre”. Aljazeera English évoque un Obama qui “ veut changer le monde musulman”.

S’exprimant dans le Washington Post, l’imam Feisal Abdul Rauf déclare que “son discours a marqué un changement majeur dans la politique étrangère américaine. Obama lance un appel direct à la religion pour construire la paix dans le monde, résoudre le conflit israélo-palestinien, mettre fin à la prolifération nucléaire et au terrorisme.”

La presse européenne n’est pas en reste. The Time Magazine, par la bouche de Scott Mac Leod, n’hésite pas à parler, à propos de ce discours, d’un “Making of a Prophet” (réalisation d’un Prophète). Le Bild parle d’”un nouveau départ” et le Corriere della Serra de “paix” et de “réconciliation”. Le Monde, pour sa part, souligne qu’ Obama “reconnaît la dette de la civilisation à l’islam”.

Même un intellectuel comme Tariq Ramadan, avec toutes les précautions d’usage, nous engage à prendre le président américain aux mots. En décrivant son discours comme ““un discours particulièrement fort qui ne fut pas seulement un “discours” : il exprime une vision à la fois positive et exigeante 2, Ramadan confirme la tendance générale observée : “Quelque chose a effectivement changé 3, nous dit-il.

Il met l’accent, en particulier, sur le changement de paradigme rhétorique de l’administration américaine, passée d’un “Eux” à un “Nous”. “Ces défis communs ont aidé le Président, une fois encore, à parler d’un « nous » inclusif, un nouveau nous pour ainsi dire, dans lequel nous sommes partenaires partageant les mêmes préoccupations, faisant face à des défis similaires et exposés aux ennemis communs 4.”

Ces “changements” l’incitent à prôner, en retour, un changement réciproque des musulmans à l’égard des États-Unis et de son gouvernement. “Il est impératif que les musulmans prennent Obama aux mots et, au lieu d’adopter une attitude passive ou victimaire, de contribuer à un monde meilleur en étant autocritiques et critiques, humbles et ambitieux, cohérents et ouverts 5.”

Mieux, à nous inviter à davantage de tolérance et de patience sur la nouvelle politique étrangère américaine, caractérisée par son volontarisme mesuré, son rééquilibrage, et le rôle d’arbitre qu’Obama entend jouer sur la scène internationale. On peut être en désaccord avec la lecture et l’interprétation que fait Obama de ce qui se passe en Afghanistan, en Irak et en Palestine (et le rôle des États-Unis dans ces conflits), mais il a clairement évité de négliger ces sujets et il a appelé toutes les parties à prendre leur responsabilité afin de faire cesser la violence et de promouvoir la justice et la paix 6.

Prudence et raison

Et pourtant…

Dans ce florilège de louanges et d’allégresse, la part de l’espoir et du romantisme, ceux de l’histoire en marche, suinte abondamment. Au point de nous étourdir, de leurs émanations enivrantes, pénétrantes, obsédantes. Toxiques.Nous savons que le monde musulman, en perdant le sens de l’histoire, a également, depuis longtemps, perdu le sens des réalités. Que l’émotion, cette autre maîtresse d’erreur, est le principal levier de son actionnement. A l’image de tous les peuples.

Mais, que des élites musulmanes elles-mêmes succombent à l’euphorie et à l’enthousiasme ambiant, en relayant ces discours, voilà qui n’est pas de bonne augure. Tout ceci cultive et maintient l’infantilisme de la communauté musulmane. Les politiques doivent être évalués à leurs discours et jugés à leurs actes. Non l’inverse. C’est à cet unique étalon que peuvent s’authentifier leurs promesses.

La cohérence de leur politique est la rigoureuse articulation entre ces deux termes de l’équation : discours/actes. Par conséquent, il est inutile de présumer ce que sera, ou ce que devrait être la politique d’Obama. Pas de naïveté. Ce qu’il faudra en dire, le temps seul nous le dira. Et il sera toujours temps de le faire. Voilà pourquoi il n’y a rien à dire du discours d’Obama.

Le Prophète (PBDSL) nous enseignait que le croyant n’est jamais atteint deux fois par le même mal.

Le philosophe allemand Emmanuel Kant définissait, pour sa part, Les Lumières comme“la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre 7.

Prudence et raison sont donc de rigueur, peut-être plus, en politique, que nul part ailleurs. Parce que les peuples musulmans ont été trop souvent victimes de promesses fallacieuses, d’espoirs idéologiques illusoires, parce qu’ils ont été l’objet d’instrumentalisations aussi perverses que subtiles, ils ont ce devoir prophétique de la prudence.

Parce que trop souvent victimes de leurs émotions, l’arme politique préférée des politiciens, ils doivent aiguiser leurs raisons.Il faudra donc plus qu’un “salam alékum” et la nomination de Dalia Mogahed8 , pour nous convaincre du contraire.

De l’Obamania au scepticisme

Ce devoir de scepticisme nous semble d’ailleurs confirmé par les premiers faits, seuls indicateurs réels de la politique. Et rien ne semble indiquer que celles des États-Unis ait changé.

On a beaucoup parlé des promesses d’Obama de fermer Guantanamo, de faire rentrer les troupes d’Irak et de sa volonté de changer de cap quant à la politique impérialiste de son pays.

Force est de constater que, pour l’instant, rien n’indique un tel changement de cap. Bien au contraire.

Sur Guantanamo, la promesse initiale de fermeture rapide s’est transformé en prolongation du maintien et du mandat du tribunal militaire. “L’annonce de la fermeture de la prison de Guantanamo par l’administration Obama avait réjoui les organisations de gauche et de défense des droits de l’homme. La réouverture des tribunaux militaires d’exception chargés de juger les terroristes présumés qui s’y trouvent aura sans doute l’effet contraire. Le président américain a annoncé, vendredi 14 mai, une réforme de ces “commissions militaires” mises en place sous George W. Bush, qui seront rouvertes avec plus de garanties légales pour les détenus 9.” 

Plus de garanties légales pour les détenus. En fait, pour quelques-uns seulement 10. On est loin des effets d’annonces. La seule décision juste aurait été de fermer, sans plus de délai, cette institution illégale, première prison politique du pays et de dédommager les détenus innocents, dont certains ont vécu ces sept dernières années, un cauchemar carcéral et tortionnaire, dont on a peine à concevoir la réalité.

Sur la torture des soldats américains sous l’administration Bush, Obama fermera les yeux. Aucune poursuites ne sont prévues, encore moins concernant les décideurs. “Il ne souhaite pas qu’une commission d’enquête se penche pour l’instant sur la torture et les excès de la lutte antiterroriste de l’époque Bush. L’idée lui paraît porteuse de divisions 11.

Et pour s’en assurer, Obama a interdit la publication de nouvelles photos démontrant les sévices

pratiqués par des soldats américains sur leurs prisonniers. “En s’opposant finalement à la publication de nouvelles photographies de sévices qu’auraient pratiqués des soldats américains sur des prisonniers, Barack Obama a suscité un tollé dans les rangs démocrates (…)

La puissante association de défense des libertés publiques (American Civil Liberties Union, ACLU), a immédiatement fait part de son indignation. “L’adoption par l’administration Obama des tactiques d’obstruction et des politiques d’opacité de l’administration Bush apporte un démenti cinglant au désir exprimé par le président de rétablir l’État de droit”, a-t-elle indiqué dans un communiqué.

Un sentiment partagé par les organisations Amnesty International et Human Rights Watch, qui dressent une liste peu flatteuse des derniers revirements du président. Il s’était notamment opposé à d’éventuelles poursuites contre les responsables politiques de l’administration Bush ayant autorisé le recours à la torture contre certains détenus 12.”

Une traduction en justice et une condamnation des tortionnaires et de leurs décideurs politiques auraient marqué un vrai changement avec l’administration Bush. Encore fallait-il braver et ignorer les pression conjuguées du Parti Démocrate et de la hiérarchie militaire. Ce que n’a pas osé Obama.

Quant au changement de cap sur la politique étrangère, on en est loin. A commencer par l’Afghanistan. Rappelons que ce pays est occupé militairement par les États-Unis, depuis 2001, et que sa population en est régulièrement victime. Pour 2008, on dénombre officiellement 2 118 civils tués directement ou indirectement par les forces américaines13.

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Ainsi, le mois dernier, un bombardement aveugle dans l’ouest du pays, causait des dizaines de victimes afghanes. Après enquête,“Le New York Times et CNN ont d’ores et déjà affirmé que les premières conclusions montraient la responsabilité de l’armée américaine dans la mort de ces civils (…) Les forces étrangères tuent régulièrement des civils au cours des combats, provoquant la colère de la population et des autorités 14.”

En guise de réponse, “Les États-Unis ont affirmé dimanche qu’ils ne renonceraient pas aux frappes aériennes en Afghanistan mais ont promis de “redoubler d’efforts” pour éviter les pertes civiles après la mort récente de dizaines de personnes dont le président Karzaï leur a imputé la responsabilité 15. Les afghans sont rassurés !

N’oublions pas le Pakistan, allié militaire de Washington, qui ne semblait pas satisfaire son parrain politique dans sa lutte anti-talibane. Après une convocation, avec le président afghan, à la Maison Blanche, les choses semblent s’améliorer. Désormais, pour Islamabad, la priorité militaire ne sera plus seulement l’Inde, mais les forces talibanes. “Mme Clinton elle-même s’est dite “impressionnée” par les opérations entreprises par le gouvernement pakistanais. “Action a été réclamée. Action a été menée”, a-t-elle félicité. Jusqu’ici, les autorités d’Islamabad mettaient en avant le fait qu’elles ne veulent pas dégarnir leur frontière indienne pour refuser les demandes américaines d’augmenter la pression le long de la frontière afghane (…) Mme Clinton a encore tenté de les convaincre, récemment, que leur ennemi n’est pas l’Inde, mais l’islamisme radical 16.”

L’heure est donc à l’offensive, plus que jamais. Dans son discours du Caire, Obama ne l’a pas caché.

Une véritable politique afghane aurait consisté à amorcer un dialogue politique avec les mouvements de résistance armées, accompagné d’une aide économique au développement, transférée aux ONG islamiques, reconnues et œuvrant sur place, pour sortir le pays de son obscurantisme socio-économique féodal, et aboutissant à une démobilisation progressive des troupes américaines, pour ne pas perdre la face. Une politique digne d’un vrai leader international. Une politique que ne suivra pas, de son plein gré, Obama.

Quant à la question palestinienne, la formation de son gouvernement nous éclaire davantage sur son orientation que tous les discours. La seule nomination d’Hillary Clinton, sénatrice très sioniste de l’État de New-York, aux affaires étrangères, l’autre nomination d’Emmanuel Rahm, sioniste d’origine israélienne au poste de « Chief of Staff » de la Maison Blanche, l’équivalent du secrétaire général de l’Élysée, désigné par le quotidien israélien Ma’ariv comme “Notre homme à la Maison-Blanche” et la démission du nouveau/ancien directeur du National Intelligence Council, Charles Freeman, suiote aux pressions du lobby juif américain (AIPAC), sont éloquents par eux-mêmes et se passent de commentaires. 

Spectateurs de l’histoire

Tout ces faits démontrent clairement que l’Obamania n’est pas de circonstance et que l’actuel politique du président américain s’appliquera, avant toute chose, dans le cadre des intérêts de son pays, des institutions qui le représentent et des lobbys qui le dirigent. Depuis bien longtemps, ces intérêts s’opposent à ce que l’on pourrait appeler le monde musulman. Seul un affaiblissement profond et une réorientation radicale de la société américaine pourrait justifier un revirement stratégique, aussi bien économique que militaire des État-Unis, à son égard. Pour le reste, on est plus proche des conte de fées, que des faits.

Et quant bien même un tel revirement serait réalisé, ce que l’on peut toujours espérer à condition de ne pas y croire, il ne serait pas fondamentalement utile au monde musulman. Pour qu’il le soit, encore faudrait-il que ce dernier ne soit plus spectateur mais acteur de son destin. Qu’il recouvre sa triple souveraineté économique, politique, culturelle, indispensable à l’émergence d’une authentique force historique.

Là-encore, (la responsabilité en incombe aux peuples musulmans), on en est loin.

Politiquement, la quasi totalité des gouvernements du monde musulman sont autocratiques, dictatoriaux, et, pour une bonne part d’entre eux, en allégeance totale aux États-Unis.

Économiquement, ils sont gangrénés par la corruption, le clientélisme, affaiblis par une dépendance patente à leurs hydrocarbures et l’absence d’auto-suffisance au niveau des biens de consommation, en particulier alimentaires (ce que l’on appelle la souveraineté alimentaire), sans oublier le renoncement à toutes politiques économique de production nationale. Un monde qui s’enrichit, sans créer et sans redistribuer.

Culturellement, le monde musulman est globalement toujours en sommeil. Les rares innovations ne sont pas encouragés. La reproduction culturelle et l’arabisation ou l’islamisation de produits importés, restent la norme. Dans ces conditions, il importera peu aux peuples du monde musulman de profiter ou non d’un changement de politique américaine.

Tant qu’ils ne sortiront pas de l’ornière de l’histoire où ils se sont réfugiés, ils resteront ce qu’ils sont  : les valets de son développement, qu’ils subiront, indéfiniment, sans y prendre part.Spectateurs ou acteurs de leurs destin : telle est, semble-t’il, la seule question qui mérite d’être posée.

Notes

1-Bakchich.info, 5 juin 2009

2- www.tariqramadan.com, 5 juin 2009

3- ibid

4-ibid

5- ibid

6- ibid

7- Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, cité in Aufklärung, les Lumières allemandes, édition Garnier-Flammarion, p 25.

8- Américaine d’origine égyptienne, chercheuse, musulmane voilée, elle a rejoint le cabinet gouvernemental en tant que conseillère aux affaires religieuses.

9- Le Monde, 15 mai 2009.

10- ibid

11- Le Monde, 25 avril 2009.

12- Le Monde, 14 mai 2009.

13- Le Monde, 8 mai 2005.

14- ibid.

15- AFP, 10 mai 2005

16- Le Monde, 7 mai 2009.

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